Il regagna lentement sa demeure, le cœur alourdi par des pensées tumultueuses. Les mots échangés durant la soirée tournaient encore dans son esprit comme des ombres insaisissables. Lorsqu'il approcha de la porte, il vit une silhouette familière qui l'attendait dans la pénombre.

— Je t'attendais, dit Naraël doucement.

Thibaut hocha la tête. Il n’était pas vraiment surpris.

— Viens. Retournons près du feu, proposa le vieux.

Les flammes, bien que diminuées, crépitaient encore. Leur lumière vacillante projetait des ombres mouvantes sur les visages des deux hommes. Naraël s'assit et tapota le sol à côté de lui.

— Installe-toi. Nous avons à parler.

Thibaut obéit, posant les coudes sur ses genoux, son regard fixé sur les braises rouges. Le crépitement du bois semblait presque trop fort dans le silence qui s'étira avant que Naraël ne parle.

— Tu te demandes pourquoi je t'emmène, dit-il finalement.

Thibaut releva les yeux.

— Oui… tu parles souvent de ce… don, mais je ne sais pas vraiment ce que c'est. Et cet Arbre-Maître… pourquoi moi ? Je ne suis qu'un charbonnier.

Un sourire fugace éclaira le visage de Naraël, mais une lueur trouble passa dans son regard, presque imperceptible.

— Peut-être que toi, tu te vois ainsi, mais il y a en toi quelque chose que tu ignores encore. Un lien avec la forêt. Plus profond, plus ancien que celui des autres. Je l'ai senti dès notre première rencontre. C’est précieux.

Le jeune homme détourna les yeux, mal à l'aise.

— Je ne comprends pas, murmura-t-il.

Naraël pose une main rassurante sur son épaule.

— L'Arbre-Maître n'est pas qu'un simple arbre. C'est une mémoire vivante, un esprit ancien qui veille sur la forêt et ses secrets. Il sait ce qui menace son équilibre et, parfois, ce qui pourrait arriver. Ses réponses nous guident, mais elles sont souvent énigmatiques… et jamais sans coût.

Thibaut sentit un frisson le parcourir.

— Un coût ?

— Chaque fois que je consulte l'Arbre-Maître, je sens davantage le poids des années. Il demande une part de nous en échange de sa sagesse. Mais toi, tu es jeune, tu ne sentiras rien et il pourra t'offrir des visions plus claires.

Thibaut baissa la tête, troublé.

— Des… visions ? tu veux dire que je vais voir des choses ? fit Thibaut, la voix tremblante.

— Peut-être, répondit Naraël. Ce que tu verras ne sera pas une vérité absolue. Ce sera un possible parmi d’autres. À toi de l'interpréter.

Il marqua une pause, et son regard s'assombrit légèrement, comme si un secret trop lourd pesait sur sa conscience.

— Et si je me trompe ? Si je ne suis pas assez fort pour comprendre ?

Naraël serra légèrement son épaule, son sourire se teintant d'une certaine tristesse.

— Alors, nous apprendrons ensemble. Personne n'est jamais vraiment prêt pour cela, Thibaut. Mais tu as le cœur, et le courage, pour essayer. C'est tout ce qui compte.

Un silence pesant s'installa, brisé seulement par le crépitement des flammes. Thibaut réfléchissait intensément, pesant les mots du vieux contre ses propres doutes.

— Alors je viendrai, dit-il finalement. Je veux comprendre. Et aider, si je peux.

Un sourire, fatigué, mais sincère, se dessina sur les lèvres de Naraël.

— Voilà qui me rassure. Mais ne t’inquiète pas trop pour demain. Tu vas me regarder faire dans un premier temps et ensuite, ce sera ton tour.

Thibaut hocha la tête. Mais l'appréhension ne l'avait pas quitté, et Naraël le devina facilement.

— Allez, retourne te coucher. Nous avons un long chemin devant nous.

Thibaut se leva, encore un peu troublé, mais plus déterminé. Il jeta un dernier coup d'œil au vieil homme, qui contemplait les flammes avec un air pensif, presque mélancolique.

— Merci, murmura Thibaut, la gorge nouée. Je vais parler aux parents.

Naraël releva les yeux, et, dans son regard brillait une étrange tendresse mêlée d'une peine secrète.

— Bonne nuit, Thibaut et souviens-toi, la forêt te parle déjà, il suffit de l’écouter.