CHAPITRE XII : Chez les Dabo (1)

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Le grand jour

Robert de Dabo ne cherchait plus le sommeil qui l’avait quitté depuis une heure déjà et son esprit s’activait à planifier toutes les tâches qui l’attendaient. Sa femme Heilwige dormait, nichée au creux de sa poitrine. Son souffle régulier souleva une bouffée de tendresse. Il lui caressa les cheveux et y déposa un baiser. Son corps nu contre le sien lui apporta une légère chaleur dans les reins. Ils s’étaient aimés avec passion au cœur de la nuit. Au bout de ces vingt-deux ans de mariage, leur amour restait toujours intact et le désir affleurant les emportait régulièrement dans des élans fiévreux.

Robert repoussa doucement Heilwige en se glissant hors des draps. Elle émit un soupir et se retourna sans se réveiller. Il chercha, nu, sa longue robe de chambre jetée au hasard dans la pièce. La fraîcheur de cette matinée de début d’été le surprit. Le feu s’était éteint sans que la servante vienne le rallumer, craignant sans doute de les déranger dans leur intimité. À peine habillé, il ouvrit la porte pour appeler une servante qui se précipita.

— Oui, Monseigneur ?

— Il faut rallumer le feu et préparez-nous un bon bain chaud, vite.

— Tout de suite, Monseigneur.

Revenant dans la chambre, Robert se pencha sur son épouse encore endormie. Il lui effleura les lèvres d’un baiser pour la réveiller doucement.

— Heilwige, ma chérie, il faut se lever. On nous prépare un bain.

Elle entrouvrit un œil, lui adressa un sourire fatigué, mais complice, et s’étira longuement.

— Un bain ? murmura-t-elle. Quelle générosité ! Je suis encore toute flapie de cette nuit. Quelle idée de me réveiller !

Robert éclata de rire.

— Moi ? Je te rappelle que tu es la première à te plaindre si le souper n’est pas parfait. Et ce soir, nous recevons l’envoyé du prélat de Metz. Tu supervises tout. Pas de relâchement !

Heilwige lui lança un coussin, qu’il esquiva adroitement.

Les chambrières revinrent et tirèrent un rideau dissimulant un grand baquet de chêne. L’œuvre, ornée de gravures érotiques qu’Heilwige avait commandées à un artisan talentueux et un brin provocateur, arracha un sourire à Robert.

— Ces gravures, vraiment… Comment veux-tu que je garde mon sérieux ?

— Pourquoi garder ton sérieux ? C’est un bain, pas un concile ! répliqua Heilwige avec un clin d’œil.

Une jeune femme disposa un vaste drap blanc pour tapisser l’intérieur du baquet. Tout de suite, une noria de servants apporta de grands seaux d’eau chaude. Une chambrière versa délicatement du parfum d’amande amère, emplissant la pièce de son agréable fragrance. Heilwige s’étira en dévoilant des yeux fatigués et regarda Robert avec un large sourire.

— C’était bien cette nuit.

— Ça se voit, lui répondit-il avec un sourire moqueur.

Une chambrière s’approcha.

— Le bain est prêt, Monseigneur.

— Nous arrivons.

Robert se dirigea en premier vers la place de bain. Deux aides attendaient à côté du baquet fumant. Il donna sa robe de chambre à une des deux femmes et s’insinua doucement dans le bain très chaud. C’était maintenant un rite journalier, car le seul moment où s’estompaient ses douleurs articulaires. Heilwige arriva nue pour se précipiter dans l’eau mousseuse.

— Mon Dieu que ça fait du bien.

Elle se laissa glisser jusqu’à ras du menton avec délectation. Une chambrière prit une toile de jute qu’elle trempa dans l’eau et commença à laver Robert qui se pencha en avant pour libérer le dos. Heilwige offrit son corps à la deuxième femme. Ils s’abandonnèrent totalement aux mains expertes des deux servantes qui effectuèrent un nettoyage complet. Ensuite, les deux époux s’accordèrent un moment de repos en fermant les yeux.

— Au fait je ne t’ai pas dit, mais j’ai eu des nouvelles de Dànn hier soir, lui confia Robert.

Le regard d’Heilwige s’illumina.

— Comment va notre fils ?

Robert s’attendait à sa réaction enthousiaste.

— Eh bien, vu ce que m’a conté l’envoyé, il fait de nets progrès en politique et dans l’art d’éliminer les importuns. Il apprend vite ce garçon.

Le visage de sa femme se rembrunit. Elle poussa un soupir et afficha une moue triste.

— Pour moi, c’est toujours mon petit garçon et le voir ainsi devenir calculateur m’effraie un peu. Nous avons élevé un gentil fils, j’espère que le pouvoir ne va pas le dévoyer. Nous en avons trop vu de ces jeunes nobles transformés en loup, et je ne parle pas de ceux qui pourraient finir par tuer père et mère pour arriver à leur fin.

Robert émit un léger rire.

— Ma chérie, nous n’en sommes pas là quand même, non ! Hugues est quelqu’un de bien. Mais tu sais bien l’univers qui l’attend s’il s’engage dans les arcanes du pouvoir. Il faut être ferme quand c’est nécessaire. Sa vie sera en jeu. Et je veux l’aider à aller loin.

— Oui je sais, murmura Heilwige avec un soupir.

Elle se laissa glisser au fond du baquet, l’eau chaude montant jusqu’à son menton. Ses yeux fixèrent Robert avec une lueur de tristesse qu’il reconnaissait trop bien. Il posa sa main sur son bras mouillé, un geste de réconfort empreint de tendresse, et soupira.

— Je sais… On ne peut jamais parler de Hugues sans que tu penses à lui aussi.

Elle lui répondit par un sourire mélancolique, si fragile qu’il sembla prêt à se briser.

— Oui, murmura-t-elle. Lui. Une vraie victime de ce jeu cruel qu’est la politique. Jusqu’à mon dernier souffle, je penserai à lui. Je ne peux m’empêcher d’imaginer la vie qu’il aurait pu avoir ici, auprès de nous… S’il n’avait pas fallu…

Elle s’interrompit, le regard perdu dans le vide, comme si elle voyait au loin une ombre du passé. Robert resserra doucement sa prise sur son bras, comme pour la ramener au présent.

— Je sais tout ça, Heilwige, dit-il d’une voix grave. C’est une plaie que ni le temps ni la raison ne pourront refermer. Pour toi, pour moi… Mais avais-tu vraiment un autre choix ? Nous n’avions pas le luxe de l’hésitation.

Elle détourna les yeux, le silence répondant à sa question. Puis, après un instant, elle hocha la tête lentement.

— Non, bien sûr, murmura-t-elle. Je préfère qu’il soit vivant. Même loin, même avec cette famille qui n’est pas la sienne… Mais parfois, je me demande s’il sait seulement que je l’aime. Que je l’ai toujours aimé, même en le confiant à d’autres bras.

Sa voix se brisa presque sur les derniers mots. Elle plongea légèrement plus bas dans l’eau, comme si elle voulait s’y cacher, les yeux brillants de larmes retenues.

— J’espère toujours qu’un jour, le vent m’apportera des nouvelles de lui. Juste une, juste pour savoir qu’il va bien. Qu’il est heureux, peut-être même qu’il a trouvé une vie meilleure que celle que nous aurions pu lui offrir ici.

Robert ne répondit pas immédiatement. Il savait que tous les mots du monde ne suffiraient pas à combler ce vide, à apaiser cette douleur sourde. Alors, il se pencha et déposa un baiser sur son front mouillé.

— Peut-être qu’un jour, chuchota-t-il. Les miracles arrivent parfois, même à ceux qui n’osent plus les espérer.

Leur silence commun, plein de non-dits, pesa un instant dans la pièce, seulement troublé par le doux clapotis de l’eau.

— Allez ! une longue journée nous attend.

Il se leva et se retrouva enroulé dans une grande serviette tendue par la jeune chambrière. Heilwige fit de même. La jeune femme entreprit de sécher le corps de son seigneur avec zèle sous le regard amusé d’Heilwige. La servante frotta largement le dos et s’attarda à minutieusement essuyer chaque fesse l’une après l’autre pour le petit plaisir de Robert. Ensuite elle se plaça face à lui et sécha le reste. Rober était aux anges. Il surprit le regard amusé de sa femme. Il eut un mouvement d’épaule comme un gamin pris en flagrant délit de bêtise.

— Tu ne vas pas me suggérer de mettre de la chair fraîche dans notre lit ? lui demanda-t-elle, mi-amusée.

Il abandonna une chambrière dépitée pour l'enlacer et l’embrasser.

— Mais non, ma chérie, ce n’est plus de mon âge.

— Ah oui ? Pourtant, cette nuit…

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