CHAPITRE XIII : Les amours interdites (2)

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Le désespoir de Renaud

Renaud repoussa du pied le brouet froid que le geôlier avait déposé dans un bol ébréché. La faim lui tordait l’estomac, mais il ne pouvait rien avaler. Chaque gorgée d’air semblait alourdie par l’humidité putride de la cellule. Une nuit s’était déjà écoulée sans qu’aucun visage familier n’apparaisse, et l’attente lui pesait davantage que les chaînes imaginaires qui entravaient ses pensées. Pourquoi sa mère ne venait-elle pas ? Il comprenait, en partie, l’absence de son père, car il se devait de garder une apparente impartialité.

Seuls les parents d’Aubert s’étaient risqués jusqu’à lui, observant en silence depuis l’autre côté de la grille. Renaud avait essayé de leur adresser un bonjour, mais leurs regards froids et emplis de reproches l’avaient figé. Aucun mot ne franchit leurs lèvres. Le malaise lui serra la poitrine. Quand ils s’éloignèrent, il se retrouva à nouveau seul, incapable de deviner s’ils éprouvaient de la honte, de la colère ou une tristesse qu’ils n’osaient exprimer.

Des bruits de pas résonnèrent soudain dans le couloir, accompagnés de voix étouffées. Son cœur bondit lorsqu’il reconnut la voix de Geneviève. Il s’agrippa aux barreaux, espérant entrevoir son visage. Lorsqu’elle surgit dans la pénombre, elle se précipita vers lui, ses yeux brillants de larmes.

— Oh, mon frère, enfin, je peux te voir. J’ai dû me cacher pour venir.

— Mais enfin pourquoi ? Pourquoi père ou mère ne sont pas venus ?

Elle le regarda avec tristesse et angoisse.

— Tu sais… cette… histoire a pris beaucoup d’importance. Tout Eguisheim le sait et… il va y avoir un procès.

— Un procès, se répéta-t-il pour lui-même.

Il baissa la tête qu’il cogna contre les barreaux.

— Mon Dieu et qu’est-ce qu’il va se passer et quand ?

— Ce sera rapide, d’ici deux ou trois jours.

Elle le regarda avec des larmes plein les yeux.

— C’est grave, tu sais, mais père m’a expliqué qu’il avait préparé ta défense et t’épargner une peine… lourde. Mais il y aura une punition.

— Et Aubert ?

Elle baissa les yeux et murmura.

— Je ne sais pas.

— Il est d’une honnête famille bourgeoise et reconnue sur la place, il devrait être épargné.

Sa vue se brouilla de larmes. Il vit l’angoisse dans les yeux de sa sœur. Elle ne pouvait plus le consoler, et cela le rendait triste. Elle lui prit les doigts à travers les barreaux et les serra.

— Courage, nous nous reverrons bientôt. Je ne peux rester plus longtemps, je t’aime.

Elle recula lentement, comme si s’éloigner lui coûtait autant qu’à lui. Il resta agrippé aux barreaux, appelant son nom dans un souffle désespéré, mais elle disparut dans la pénombre. Le silence retomba, oppressant.

Guerte soufflait enfin. Elle avait fini les lessives et préparé les couches pour les futurs clients. Elle se redressa en se tenant les reins. L’âge lui lançait quotidiennement des avertissements dont elle ne pouvait tenir compte. Il y avait encore des bouches à nourrir à la maison et un mari fainéant à entretenir. Elle descendit l’escalier de bois raide et grinçant à souhait. Elle se dirigea vers Guibert, le tenancier de l’auberge du moulin.

— J’ai fini mon ouvrage, je rentre.

Il lui fit à peine un signe d’acquiescement. La soirée s’installait et les ombres envahissaient les petites rues d’Eguisheim, surtout les passages étroits le long des remparts. En allant son train, elle ne pouvait s’empêcher de repenser à ces deux malheureux que le guet avait extirpés de force il y avait deux jours. Deux beaux gars. Voir ces magnifiques corps nus lui avait échauffé le sang malgré elle, car elle se sentait terriblement coupable. Elle gardait encore l’angoissant souvenir de cet homme qui était venu la voir il y avait quelques jours. Il lui avait clairement expliqué que deux hommes viendraient bientôt à l’auberge pour se livrer à la sodomie.

— Vous savez, comme cet acte est répugnant et condamné par l’église, hein Guerte ?

L’homme de haute stature se montrait menaçant. Elle ressentait encore toute la peur que lui avait inspirée cet inconnu.

— Oui, oui monsieur

— Alors écoute bien Guerte, lorsqu’ils viendront, tu devras aller chercher le guet. Tu comprends ?

— Oui, souffla-t-elle.

— Si tu te comportes bien, il y aura une récompense. Tu as un petit garçon malade non ?

Elle hocha la tête.

— Tu ne veux pas qu’il lui arrive malheur ?

Elle se redressa.

— Oh non, monsieur !

— Alors, tu feras ce que je te demande ?

— Oui, monsieur.

Il l’avait laissé sans plus d’explications. Ce qu’il exigeait lui posait un cas de conscience. Mais les menaces sur sa famille n’étaient pas à prendre à la légère. « Et puis, après tout, deux vieux cochons qui se déduisent. Tant pis ». Lorsqu’elle vit les deux jeunes gens, si beaux, si heureux, si rayonnants, elle fut mortifiée. Elle trouva le guet tout prêt. À se demander si les deux gardes ne se tenaient pas en attente. Elle assista à l’arrestation avec un sentiment de douleur et de remords.

Tous ces événements défilaient encore dans sa tête lorsqu’elle tourna dans l’impasse au cerf. Elle vit les deux hommes venir en face. La peur la saisit, elle stoppa. Ils arrivèrent très vite. Le premier la jeta à terre d’une gifle violente. Elle tomba à genoux. Le second en profita pour lui donner un coup de pied dans le ventre, elle hurla, chuta sur le côté en se protégeant la tête pendant que les coups pleuvaient. Et puis tout cessa. Elle n’était que douleur incapable de bouger. Elle perçut un de ses agresseurs se pencher à côté d’elle.

— La prochaine fois, je pense que tu sauras reconnaître le fils de notre seigneur.

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