CHAPITRE XIV : Chroniques du royaume d’Elsàss (3)

5 minutes de lecture

Chez les Combefer

Léonor se réveilla brusquement, elle se rendit compte qu’elle s’était assoupie sous les caresses de son époux, Edmond de Combefer. Le vieil homme n’avait jamais été capable de lui faire plus que des caresses ou de la contempler pendant des heures. Il aimait souvent laisser sa tête sur les belles fesses de sa femme. Les vingt ans de Léonor demandaient autre chose, bien sûr, mais elle n’attendait pas plus de ce vieillard que son père lui avait obligé d'épouser. Au début, elle était révulsée rien qu’à l’idée de sentir ses mains sur elle. Elle se mortifiait des perspectives qu’offrait sa vie après ce mariage. Et puis elle avait été touchée par la gentillesse d’Edmond et comprit une chose, au moins il ne lui ferait jamais de mal. Malgré tout, elle s’allongeait à côté de lui en déployant un effort pour supporter ses attouchements.

Allongée sur le ventre, elle sentait tout le poids de la tête d’Edmond sur ses fesses avec une sensation d’humidité.

Il dort encore.

— Edmond ?

Aucune réponse, elle se secoua et n’obtint aucune réaction. Un mauvais pressentiment l’envahit. Elle le poussa et se retourna. Son visage, blême et inerte, restait figé dans une expression immobile, la bouche entrouverte laissant s’échapper un filet de salive. Elle sauta du lit et se précipita vers la porte avant de se rendre compte qu’elle était nue. Elle enfila rapidement une chemise de nuit.

— À l’aide ! le Baron se sent mal, s’il vous plaît.

Une servante arriva en courant, Léonor lui désigna la chambre. La servante entra et approcha du lit.

— Mon Dieu, il est mort !

Léonor sentit ses jambes se dérober sous elle. La sensation d’un vide immense l’envahit. Plusieurs serviteurs pénétrèrent dans la pièce.

— Il faut prévenir sire Ernaut, dit quelqu’un.

En entendant le nom du fils aîné, Léonor sursauta et sortit de sa sidération.

— Vite, aide-moi à m’habiller, dit-elle à une servante.

Ernaut de Combefer entra en trombe et se dirigea immédiatement vers le lit sans un regard pour Léonor. Il resta deux minutes, immobile, et puis se retourna.

— Bien, apprêtez-le pour la veillée mortuaire et préparez tout ce qu’il faut pour la cérémonie et la crémation qui aura lieu demain, devant la crypte.

Au moment de sortir, il s’arrêta face à Léonor.

— Il faut que nous parlions. Je vous attends à mes appartements.

Il repartit aussi vite qu’il était venu sans un signe d’émotion avec sa démarche rapide habituelle, le regard hautain et méprisant.

— Est-ce que Tristan est prévenu ? demanda-Léonor à son habilleuse.

Cette dernière acquiesça.

— Bien, vous pouvez me laisser.

Elle se retrouva seule, s’approcha du lit. Elle devait réfléchir et vite. Tristan entra. Elle se précipita dans ses bras.

— Mon amour ! qu’allons-nous devenir.

La main dans la main, ils contemplèrent le mort. Tristan fut secoué de sanglots. Léonor l’enlaça. Il se tourna vers elle et ils échangèrent un long baiser.

— Ton frère m’a déjà convoquée.

Il resta silencieux et poussa un soupir.

— Tu vas devoir être forte, je sais que tu le peux. Mais je sais aussi combien il peut être impressionnant. Garde bien en tête que, selon les règles de notre famille, c’est toi, la femme du Baron, qui détiens toutes les prérogatives maintenant. Nous en avons déjà parlé.

— Mais tu sais bien que ton père ne m’associait quasiment à aucune des affaires du domaine et qu’il se contentait de signer les documents que lui proposait Ernaut.

— Je t’aiderai et je t’accompagne chez mon frère.

— Non, je dois y aller seule. Je ne dois pas lui laisser croire que j’ai besoin d’être… « chaperonnée ». Je dois lui faire entendre quelques vérités.

Elle lui prit le visage.

— Ne t’inquiète pas, ça va aller. Nous aurons tout le temps de reparler de tout ça. Va, laisse-moi.

Elle appela ses serviteurs pour leur donner des instructions et se dirigea vers le logement de Ernaut De Combefer. Comme elle s’y attendait, il la fit attendre longuement. Chaque minute amplifiait sa colère et sa résolution. Lorsqu’elle fut enfin admise, il l’accueillit avec un mélange de mépris et de condescendance, comme s’il avait déjà décidé de la place qu’elle devait occuper dans l’avenir du domaine.

— Enfin, murmura-t-il d’un ton glacé, vous voici.

Léonor s’inclina légèrement, mais son regard restait fixe, défiant.

— Mon père était souffrant depuis des mois, commença Ernaut, ce qui a retardé la signature de certains documents essentiels. Nous ne pouvons plus nous permettre de prendre du retard. Vous comprendrez donc qu’il faudra mettre de l’ordre rapidement.

Il s’interrompit, scrutant Léonor comme pour évaluer sa réaction. Mais elle ne cilla pas.

— Je vous arrête tout de suite, mon beau-fils, dit-elle d’un ton tranchant. Le temps est au recueillement et à honorer votre père, pas à régler nos affaires.

Ernaut écarquilla les yeux, surpris par son interruption, mais sa surprise fit rapidement place à un rictus méprisant.

— Vous êtes bien prompte à revendiquer un rôle que, jusqu’ici, vous avez laissé à d’autres, rétorqua-t-il avec froideur. Vous n’avez jamais participé aux décisions importantes du domaine. Ce n’est pas maintenant que cela va changer.

Léonor inclina légèrement la tête, un sourire glacial aux lèvres.

— Peut-être n’en ai-je pas eu l’occasion, répondit-elle calmement. Mais tout change, Ernaut. Je suis désormais Baronne de Combefer, et à ce titre, je m’assurerai que les traditions de notre famille soient respectées. J’ai déjà pris toutes les dispositions. Le corps de votre père sera présenté dans notre chambre, et la crémation aura lieu dans deux jours, comme le veut la coutume de notre famille.

Elle marqua une pause, guettant la moindre réaction dans le regard d’Ernaut. Voyant qu’il restait figé, elle ajouta.

— Quant aux affaires du domaine, elles attendront. Vous aurez tout loisir de me présenter ces fameux documents après les cérémonies. Et soyez assuré que je les examinerai attentivement.

Ernaut serra les poings, le visage déformé par une colère qu’il peinait à contenir.

— Vous jouez avec le feu, Léonor, gronda-t-il. Ne sous-estimez pas les responsabilités que vous prétendez assumer. La gestion d’un domaine comme celui-ci demande bien plus qu’un titre.

Léonor soutint son regard, implacable.

— Ne sous-estimez pas non plus ma détermination, Ernaut. Nous avons tous les deux des responsabilités. Les vôtres consistent à honorer la mémoire de votre père et à me prêter le serment d’allégeance qui incombe à tout membre de cette maison.

Elle pivota pour partir, mais s’arrêta à la porte, se tournant une dernière fois vers lui.

— Ah, et une dernière chose : j’ai convoqué tout le personnel cet après-midi pour leur expliquer la nouvelle situation.

Sans attendre de réponse, elle sortit, refermant la porte derrière elle avec un claquement sec. À l’intérieur, un hurlement furieux d’Ernaut retentit, suivi du fracas d’un objet brisé.

Léonor s’arrêta dans le couloir, respirant profondément. Ses jambes tremblaient légèrement, mais elle était satisfaite. Elle venait de poser les premiers jalons de sa lutte pour le pouvoir. Pourtant, elle savait qu’elle venait de se faire un ennemi redoutable.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Bufo ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0