CHAPITRE XV : premiers maléfices (1)
Les doutes de Freyhild à Dànn
Freyhild s’agenouilla devant l’autel d’Yggra, face à l’arbre sacré. Ce simple mouvement réveilla des douleurs sourdes qui lui rappelèrent son âge.
Mon corps demande le repos. Un repos que je ne peux lui donner encore.
Une tension sourde emplissait l’air depuis plusieurs jours. Freyhild ne pouvait la nommer, mais elle sentait, comme une racine malade sous un arbre majestueux, qu’un mal grandissait quelque part.
— Yggra, muoter aller dinge, waz sal ih sehen ? Zeig mir den weg… ob ê daz ein weg noch ist
(Yggra, mère de toutes choses, que suis-je censée voir ? Montre-moi le chemin… si tant est qu’il existe encore un chemin.)
Sa voix s’éteignit dans un soupir.
Elle ferma les yeux, cherchant à percevoir les murmures des esprits sous l’arbre sacré, mais ils lui échappaient, fuyants comme un vent trop léger pour agiter les branches. Cette absence la troublait. Était-ce un signe qu’elle perdait son lien avec Yggra ? Ou bien était-ce la menace elle-même qui voilait les réponses ?
Suis-je prête à affronter cela ? Suis-je encore à la hauteur ?
La question la tourmentait plus que tout. Elle avait affronté des crises, des famines, et même la guerre dans sa jeunesse, mais la vieillesse lui apportait une nouvelle ennemie, le doute.
Elle serra le pendentif en forme de feuille d’Yggra contre sa poitrine. Ce symbole, qu’elle avait toujours porté avec fierté, lui semblait étrangement lourd ce soir. Le peuple comptait sur elle pour protéger l’équilibre, mais ses épaules voûtées pouvaient-elles encore porter ce fardeau ?
Une jeune femme s’approcha d’elle.
— Wispergada, Thabor est là.
Elle soupira profondément et se leva avec difficulté. Rien ne lui serait donc épargné de ce fardeau qui s’alourdissait chaque jour.
— Fais-le entrer.
Elle fit un effort pour lui sourire. Ils restèrent debout face à face.
— Alors qu’elles sont les nouvelles ?
L’homme s’inclina et afficha un sourire radieux.
— Très bonnes, Wispergada, très bonne. Notre intrigue a apporté les résultats souhaités.
— Explique-moi.
Il lui détailla l’arrestation du fils du Comte d’Eguisheim, le procès et le jugement.
— Et la situation maintenant ?
— Le Comte a restauré l’accès libre à notre lieu de culte et enlevé une part des prérogatives du prélat. Il semble qu’Héloïse d’Eguisheim se soit retirée.
— Très bien, murmura-t-elle.
Elle congédia Thabor d’un geste de la main, ses pensées étaient déjà ailleurs. Ce succès, bien que stratégique, ne lui apportait aucune satisfaction.
Tant d’efforts pour simplement préserver ce qui aurait dû être naturel, le culte de l’équilibre.
Une vague de lassitude l’envahit. Elle posa une main tremblante sur l’écorce de l’arbre sacré. Les années passées à protéger ces lieux l’avaient épuisée.
Que l’arbre tienne encore debout quand viendra la tempête… car moi, je ne sais pas si je le pourrai.
Sa prière resta suspendue dans le silence du sanctuaire. Freyhild ferma les yeux, écoutant une dernière fois le vide.

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