CHAPITRE XV : premiers maléfices (2)
La mission de Gunnar
Hakon avançait vers lui, un sourire satisfait flottant sur ses lèvres. Gunnar, dégoulinant de sueur, achevait son entraînement. Il venait une fois de plus de projeter violemment son adversaire au sol. Son souffle court témoignait des efforts intenses qu’il venait de fournir, mais il se garda de montrer sa fatigue.
Hakon s’arrêta à quelques pas, son ombre massive projetée par les torches vacillantes.
— Je pense que tu n’as plus rien à prouver. Alors, écoute, demain, tu pars avec un autre sur une première mission. Le maître et la maîtresse te font confiance. Tu vois, ça arrive plus vite que prévu. Allez ! vas te reposer, demain, rendez-vous à l’aube.
Gunnar restait le regard rivé sur le dos de son chef qui s’éloignait. « Enfin, enfin ! », pensa-t-il. Il allait faire ses preuves.
Il retourna à sa couche, les muscles encore endoloris de l’entraînement. Allongé sur la paillasse rude, il laissa son esprit vagabonder. Ses réflexions l’emportèrent vers le début de cette aventure commencée il y a un certain temps, un temps trop long, une éternité en fait qu’il avait rejoint ce groupe énigmatique. Des exercices aux combats et corvées, il n’avait rien trouvé de bien valorisant dans cette nouvelle vie.
L’entraînement avait été brutal, impitoyable. Les combats n’étaient pas des exercices, ils étaient des tests de survie. Les faibles étaient laissés à leur sort, souvent mortel. Gunnar se souvenait des mots d’Hakon, lâchés avec un détachement glacial.
— Le maître ne garde que les meilleurs.
Le maître… Toujours présent dans les paroles, jamais dans les actes. Un spectre d’autorité dont seuls les lieutenants semblaient connaître le visage. Gunnar n’avait pas encore compris ce qu’il espérait retirer de ses recrues, mais il savait une chose, il n’était pas venu ici pour échouer.
Le lendemain, à l’aube, il se tenait face à Hakon, avec son coéquipier. Il se sentait mal à l’aise dans cette salle qui devait être une ancienne crypte. De larges voûtes alourdissaient l’ambiance et contribuaient sans doute à son sentiment d’inconfort.
— Avant vous, allez recevoir un pouvoir qui va développer chez vous des capacités que vous ne soupçonnez même pas. Pour cela vous allez être soumis au rituel de la grande sorcière noire.
Son cœur s’accéléra. Il lui en fallait beaucoup pourtant, mais, depuis qu’il était ici, il entendait parler de cette sorcière et des liens étranges qu'elle entretenait avec le maître. Il ne voulait pas trop prêter l’oreille à toutes ces rumeurs. Certains disaient qu’elle lisait dans les âmes, d’autres qu’elle façonnait les corps à sa guise. Il n’avait jamais prêté attention à ces murmures, mais, aujourd’hui, ils prenaient un sens terrifiant.
Ils se tenaient debout, tous les deux, nus dans une vaste pièce froide. Le temps s’écoula très lentement. Le froid mordait sa peau, mais Gunnar se concentrait pour ne pas bouger. La moindre faiblesse pouvait être fatale. Un début de leur mise à l’épreuve. Et puis elle entra. Gunnar eut conscience de sa présence avant de la voir. Il l’avait ressentie dans son esprit. Ce qui pénétra dans la pièce ne semblait pas humain, une vision, une sensation tout au plus. Et pourtant, ils se retrouvèrent face à une femme à l’extrême beauté, grande, voluptueuse, aux rondeurs assumées et très impressionnante. Regard noir et chevelure ébène, revêtue d’une unique tunique d’un noir profond qui ne le laissait rien ignorer de ses courbes. Malgré la sensualité qui se dégageait de cette présence, le regard froid, perçant, sans émotion, ôtait tout plaisir à cette rencontre. L’impression que cette femme flottait au-dessus du sol renforçait le malaise, mais Gunnar se dit qu’il s’agissait d’une simple illusion. Lorsqu’elle le fixa, il se sentit entièrement à sa merci. Elle leur tendit deux coupes.
— Buvez !
Il obéit sans réfléchir, comme si sa volonté avait été effacée. Le liquide glissa dans sa gorge, brûlant, acide, et une chaleur intense irradia dans tout son corps. Elle commença à psalmodier dans une langue ancienne, gutturale, et le monde sembla se disloquer autour de lui. Gunnar tomba à genoux, secoué de spasmes. L’obscurité se resserra autour de lui. Et puis elle leva les bras, releva la tête et lança une dernière incantation. Tout à coup, Gunnar se sentit défaillir, il tomba au sol en proie à des spasmes et perdit conscience.
Lorsqu’il revint à lui, le sol était froid sous ses mains. Il se redressa lentement, son corps douloureux, mais étrangement vif. Un éclat attira son attention. Il tourna la tête et vit son coéquipier. Non, ce n’était plus lui. Ses traits étaient là, mais déformés, ses yeux, fendus comme ceux d’un félin, brillaient d’un éclat étrange.
Il baissa les yeux vers ses propres mains. Plus fines, plus puissantes. Ses muscles semblaient vibrer d’une énergie nouvelle, démesurée. Une soif irrationnelle de mouvement, de vitesse, de violence l’envahissait.
Hakon entra pour les informer sur leur mission.
— Massacrer une famille, c’est tout ! s’insurgea Gunnar à la fin de l’explication de Hakon

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