CHAPITRE XVI : des âmes tourmentées (3)

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Benoit

La messe s’achevait dans une clarté encore très tenue, annonçant une journée de grisaille. Le ciel était sombre comme l’esprit de Benoit qui se débattait toujours dans ses tourments. Il se laissa porter par le groupe de chanoines. Il aperçut le père Augustin, son instructeur, qui se tenait à l’écart, un regard paisible posé sur la nef déserte. C’était le moment. Benoît inspira profondément et s’avança vers lui.

— Mon père, puis-je vous enquérir d’une question qui me tourmente.

Le prêtre se tourna vers lui avec un regard bienveillant. Il lui fit signe de la suivre jusqu’à une petite pièce attenante au cellier.

— Bien sûr, Benoît. Qu’y a-t-il ? Tu sembles troublé.

Benoît hésita, puis se lança.

— Je suis en proie à des doutes, père. Depuis peu, une femme… une jeune femme que j’ai rencontrée hante mes pensées. Elle n’a rien de mauvais, rien de malveillant. Mais pourquoi, pourquoi l’Église nous enseigne-t-elle que l’amour pour une femme est une tentation ? Pourquoi serait-il incompatible avec notre foi ?

Le vieux prêtre demeura silencieux un moment, ses yeux fixant Benoît avec intensité.

— L’amour en soi n’est pas mauvais, Benoît. Il est même une des manifestations les plus pures de la création de Dieu. Mais en choisissant la prêtrise, tu as fait un autre choix, celui de consacrer ton cœur tout entier à Dieu et à son Église. Aimer une femme, dans ton cas, signifie diviser cet amour, risquer de détourner ton dévouement de ta mission sacrée.

Benoît fronça les sourcils, cette réponse ne le rassurait pas vraiment.

— Mais pourquoi, alors, ce choix est-il si absolu ? Pourquoi ne peut-on pas servir Dieu tout en aimant une femme ? N’est-elle pas aussi une de ses créatures ?

Augustin soupira doucement, comme s’il avait souvent entendu ces mêmes questions.

— Cette question est aussi vieille que l’Église elle-même. La réponse, Benoît, se trouve dans la nature de notre mission. En renonçant à l’amour humain, nous nous efforçons de vivre une vie spirituelle détachée des liens terrestres. Ce sacrifice est une manière de témoigner du Royaume à venir, un état où l’amour de Dieu dépasse tous les autres.

— Mais si ce sacrifice nous laisse vides ? Si, au lieu de me rapprocher de Dieu, il m’éloigne de lui ?

Cette fois, Augustin sembla réfléchir plus longuement.

— Alors, il te faut prier. Chercher des réponses dans le silence de ton cœur. Ce n’est pas une faiblesse de douter, Benoît. La foi n’est pas une certitude, c’est un chemin. Si ton cœur te dit que tu t’es trompé de voie, alors il faudra en reparler. Mais pour l’instant, laisse le Seigneur te guider.

Benoît quitta le bureau du père Augustin en proie à une agitation encore plus grande. Les paroles du vieux prêtre résonnaient en lui, mais ne le satisfaisaient pas. En traversant la nef vide, il s’arrêta devant l’autel, le regard fixé sur le tabernacle.

— Seigneur, murmura-t-il, pourquoi m’as-tu donné ce cœur capable d’aimer, si c’est pour m’interdire de le faire ?

La réponse, comme toujours, se faisait attendre. Benoît savait qu’il était à un carrefour de sa vie, mais il ignorait encore quelle voie emprunter. Il se ressaisit, car il avait été désigné pour accueillir quelques fidèles dans leur confession. Il entra dans la salle du confessionnal et ne vit qu’une toute jeune femme qui attendait. Il la salua simplement, elle semblait très préoccupée. Il entra en premier avant de l’appeler. Il l’entendit se glisser à l’intérieur et s’agenouiller face à la grille.

— Je vous écoute, ma fille.

Déjà cette expression le perturbait un peu. Il confessait depuis très peu de temps, car c’était une charge importante, et n’avait pas encore réussi à accaparer tout le rituel.

Il perçut une respiration nerveuse de l’autre côté de la cloison ajourée.

— Mon père, commença-t-elle, hésitante.

— Parlez… ma fille, lui répondit Benoît d’une voix douce. Dieu écoute, et son pardon est infini.

— Je… je ne sais pas par où commencer, avoua-t-elle.

— Commencez par ce qui pèse le plus lourd sur votre cœur.

Elle prit une profonde inspiration, et ses mots jaillirent, entrecoupés de sanglots.

— J’ai péché, mon père. Gravement. Je suis mariée, mais… mais j’ai laissé mon cœur et mon corps s’égarer.

Benoît sentit son souffle se raccourcir légèrement, les mots de la jeune femme faisaient écho à un trouble qu’il connaissait bien. Il serra discrètement le crucifix pendant à son cou.

— Continuez, ma fille, dit-il avec douceur.

— Cela a commencé innocemment, poursuivit-elle. Un voisin… Il était souvent là pour m’aider quand mon mari était absent. Nous parlions, beaucoup. Puis… voilà. Je ne voulais pas que cela arrive, mais il était tellement…

Elle s’interrompit, honteuse.

— Et depuis ? demanda Benoît.

— Depuis, je suis rongée par la culpabilité. Mon mari est bon, il ne mérite pas cela. Mais une partie de moi… une partie de moi se demande si c’est vraiment un péché d’aimer quelqu’un d’autre. Pourquoi aimer serait-il une faute ?

Cette dernière question résonna comme un coup dans l’âme de Benoît. Il se sentait de plus en plus déstabilisé.

— Ma fille, dit-il après un silence, l’amour n’est pas en soi un péché… Mais dans votre cas, vous avez violé le sacrement du mariage, qui est une promesse devant Dieu.

— Je sais, répondit-elle, et c’est ce qui me détruit. Mais… pourquoi Dieu nous donne-t-il un cœur capable d’aimer plusieurs personnes, alors qu’on ne peut en aimer qu’une seule ?

Benoît sentit un frisson parcourir son échine. Ces paroles, presque identiques à celles qu’il avait lui-même adressées à son confesseur, le plongeaient dans une tempête intérieure.

— Peut-être… commença-t-il avant de s’interrompre, rassemblant ses pensées. Peut-être que Dieu nous donne ce cœur pour que nous apprenions à discipliner nos désirs et à lui consacrer cet amour qui déborde en nous.

— Mais si aimer est un don de Dieu, pourquoi devrions-nous en avoir honte ? insista-t-elle.

Benoît sentit ses certitudes vaciller davantage. Il s’efforça de se ressaisir. Il comprit qu’il allait devoir écourter cet entretien.

— Ce n’est pas l’amour en soi qui est honteux, mais la manière dont il peut nous détourner de nos engagements et blesser ceux que nous aimons. Avez-vous l’intention de confesser votre faute à votre mari ?

Elle éclata en sanglots.

— Je ne peux pas ! Je le perdrais ! Et pourtant, je sais que je ne mérite pas son pardon.

Benoît trouva finalement des paroles réconfortantes.

— Dieu vous pardonne, ma fille, si votre repentir est sincère. Mais il faudra aussi prier pour la forcer à restaurer la vérité dans votre vie, de retrouver le chemin de l’intégrité. Pour votre pénitence, je vous demande de réciter chaque jour pendant une semaine le psaume 51, le psaume du repentir. Prier ces mots de tout votre cœur vous aidera à ressentir le pardon de Dieu et à chercher la voie juste.

Il énonça les paroles d’absolution, mais au fond de lui, il restait ébranlé. Cette confession ne se contentait pas de mettre en lumière les péchés de cette femme ; elle réveillait ses propres doutes, son propre tiraillement entre son rôle de prêtre et l’ombre de Lisette dans son cœur.

Lorsqu’elle quitta le confessionnal, Benoît resta un moment immobile, le regard perdu à travers la grille ajourée.

— Seigneur, murmura-t-il, guide-moi. Car je suis aussi faible qu’elle.

La fatigue pesait sur ses épaules. Il sortit du confessionnal avec un poids dans la poitrine, incapable de trouver les réponses à ces questions.

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