CHAPITRE XVI : des âmes tourmentées (6)

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Ancelin et son cas de conscience

Il l’attendait toujours avec la même patience. Ce soir la belle semblait prolonger le plaisir avec son amant. Il faillit se laisser surprendre quand elle sortit avec discrétion. Elle regarda à droite et à gauche, rabattit sa large capuche et s’esquiva d’un pas vif. Ancelin dû faire appel à tout son talent pour la suivre sans éveiller sa méfiance. Il la rattrapa alors qu'elle passait dans un renfoncement non éclairé. Il prit sa dague fine et lui mit la main sur la bouche avant qu’elle n’eût le temps de s’apercevoir de quoi que ce soit.

Il leva son arme et laissa son geste en suspens. À quelques mètres, un gamin se tenait là, immobile. Dix ans à peine, ses vêtements rapiécés et ses grands yeux sombres fixant intensément Ancelin. Il ne criait pas, ne bougeait pas, comme une apparition irréelle. Ce regard… quelque chose dans cette scène brisa le froid détachement du tueur.

Il se vit, lui, enfant. Ce même regard, autrefois brillant d’innocence, lui revenait en mémoire. Et à travers ce miroir, une voix intérieure s’éleva. « Mais regarde-toi ! qu’est-ce que t’es devenu ? Tu t'apprêtes à tuer cette jeune femme que tu ne connais pas et pourquoi ? de l’argent ». La femme se débattait, mais il la maintenait toujours fermement et puis, il la lâcha, elle se retourna juste un bref moment suffisant pour qu’il puisse lire la terreur dans ses yeux, puis elle courut et disparut dans l’ombre des ruelles. Le gamin s’était évaporé, laissant Ancelin désemparé qui se demanda s’il n’avait pas été victime d’une hallucination. Jusqu’à maintenant, il avait toujours réussi à mettre sa conscience à l’écart de ses agissements, mais ce soir… Au fond de lui-même, il comprit que ce sale boulot était fini, il tournait la page.

Ancelin entra brusquement dans la chambre, son esprit encore embué des images et sensations du contrat qu’il venait d’abandonner. Lianor sursauta sur le lit, le dévisageant avec inquiétude.

— Tu m’as effrayée, souffla-t-elle, scrutant son visage. On dirait que tu as vu des démons.

Il resta immobile un instant à la regarder, nue devant lui, si belle. Un contraste déchirant avec ce qu’il venait de vivre. Il s’approcha, s’assit au bord du lit et enfouit sa tête dans sa poitrine. La douceur de ses seins lui prodigua une chaleur inhabituelle qu’il n’avait pas ressentie depuis l’enfance.

— Ancelin, souffla-t-elle.

Son trouble augmenta. Il sentit les doigts de Lianor lui caresser les cheveux, déclenchant une vague d’émotion inattendue.

Il releva la tête. Elle comprit à son regard qu’il venait de vivre quelque chose de tout à fait inhabituel.

— C’est pas loin d’être ça, murmura-t-il, finalement.

Il resta silencieux à la regarder.

— Mais dis-moi ! insista-t-elle.

Que lui dire ? Lui avouer l’inavouable qu’il n’était qu’un tueur dénué de tout scrupule, froid et immoral ? il soupira.

— Tu sais, dans ma vie j’ai fait des actes dont je ne suis pas fier… ce soir je devais tuer…

Il ne put continuer.

— Je ne veux pas t’en parler, mais je veux que ça cesse.

Il chercha un appui dans son regard. Il n’y vit ni jugement ni rejet. Au contraire, il y avait là une douceur déconcertante qu’il ne savait comment accepter. Une part de lui, brisée depuis si longtemps, voulait croire qu’elle pourrait comprendre. Mais il avait trop souvent perdu ceux qui comptaient pour lui, et cette peur d’aimer, cette peur d’être abandonné encore une fois, l’enchaînait.

Il se ressaisit, se déshabilla et se colla à elle. Elle vint contre son épaule dans un geste d’affection qu’elle ne dispensait que rarement.

— Il y a des choses que je veux changer dans ma vie.

Son petit rire résonna comme une délivrance.

— Décidément nous nous sommes donné le mot.

Il se tourna vers elle d’un air interrogateur.

— Aujourd’hui j’ai passé la journée à l’hospice avec le practice.

Elle baissa la voix

— Je crois que je suis destinée à soigner, pas à… ce que je fais d’habitude.

Elle marqua une pause et hésita avant de continuer.

— Alors nous deux…

Il resta silencieux, se rendant compte brutalement de la place qu’elle avait prise dans sa vie. Du havre de paix indispensable qu’elle représentait. Il s’approcha tout prêt de son visage.

— Écoutes, je ne me livre pas beaucoup, tu le sais, mais… je tiens à toi, j’ai besoin de toi.

Elle se retourna et s’allongea sur lui. Elle le regarda droit dans les yeux.

— Je serais donc plus qu’une putain pour toi ?

Il prit une profonde inspiration. Et puis, après un silence.

— Oui, souffla-t-il.

Elle plaqua sa joue sur sa poitrine et resta silencieuse. Ancelin lui caressa les cheveux. Les secondes s’égrainèrent et puis elle releva la tête.

— Depuis le temps, j’ai appris à te connaître et j’ai bien deviné tes tourments. Je sens bien qu’il y a des cauchemars qui te hantent, tu parles la nuit d’ailleurs et il y a aussi ces insomnies. Je sais que, derrière tout ça, il y a un homme différent. Alors oui, on peut continuer à se voir.

Elle plaqua sa bouche avec force sur ses lèvres en cherchant sa langue. Il lui rendit son long baiser. Elle se redressa et s’assit à califourchon sur son bassin. Elle se cambra, lui exposant sa poitrine généreuse.

— Mais ce soir c’est ma dernière nuit payée, alors ce sera une livre.

— Mais c’est exorbitant !

Elle éclata de rire.et glissa sa main entre ses cuisses pour lui saisir le sexe.

— Oui, c’est vrai, mais ça va être la fête.

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