CHAPITRE XVII : se confronter aux sortilèges (1)

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Les sangliers maléfiques

Dans la clairière, sous une lune hésitante, voilée par moment de sombres nuées, Nix se tenait, drapée dans sa robe noire ornée de symboles oubliés. Autour d'elle, la nuit s’était enfermée dans un silence anormal, seulement troublé par le bruissement léger du vent dans les branches, comme si la forêt retenait son souffle. Elle leva les bras vers le ciel et, d'une voix caverneuse et chargée d'une autorité ancestrale, entama son incantation.

Ó, djúpr myrk, andir niðrra, hlýddu boð mitt!
Lát yðar, blóðstæðir villtir, af röskum ætt, safnast hér nú!
Með krafti mínum, skipa ek yður:
Lát spor yðar slá um jörð, láta fjör yðar skera loft,
ok láta reiði yðar hrífast um heiminn!
Lát blóð fornra ok andardrátt nætur yður life,
ok lát ótti umvafra þá, sem draga ekki at lifa í friði!"

(Esprit de l’abîme, âmes des ténèbres, entendez mon appel. Que les sangliers maudits, nés du chaos, se rassemblent ici et maintenant. Par mon pouvoir, je vous commande que vos sabots foulent la terre, que vos crocs fendent l'air, et que votre fureur s'abatte sur le monde. Que le sang des anciens et le souffle de la nuit vous animent, et que la terreur s'étende comme un voile sur ceux qui osent vivre en paix !)

À mesure que ses paroles se propageaient dans l'air glacé, une vibration sourde se fit sentir dans le sol. Les ombres se mirent à s'agiter et lentement, comme née du néant, une horde de sangliers maléfiques émergea du sous-bois. Leurs yeux brûlaient d'une lueur infernale et leurs grognements résonnaient comme le grondement d'un présage funeste.

Nix, le regard impassible, laissa échapper un sourire froid. Son incantation avait pris vie. La horde, obéissante à sa volonté, se trouvait réunie tout autour d’elle. Un silence absolu s’installa sur la clairière. Les bêtes se tenaient en attente d’un signe, d’un ordre, prêtes à déferler dans un chaos redoutable.

Nix leva le bras et les bêtes immondes se diluèrent dans la végétation dans un silence absolu, comme si elles n’avaient jamais existé.

Ce fut un bruit indéfinissable qui réveilla Udo. Il lui fallut un léger instant pour prendre pied dans la réalité. Il perçut la main de Lienel en travers de sa poitrine et puis le souffle court des enfants qui dormaient juste à côté. Le bruit s’intensifia l’obligeant à se lever.

Soudain le bruit devint vacarme. Un grondement sourd s'éleva de la forêt, mêlé à des grognements inhumains, comme si la nuit elle-même se rebellait.

— Qu’est-ce c’est, souffla Liene qui s’était redressée sur leur couche.

Il se tourna vers elle, son pâle visage reflétait l’inquiétude.

— Je ne sais pas, reste ici avec les enfants, je vais voir.

Il entrouvrit la porte.

— Sois prudent.

La nuit était à peine éclairée par une lune incertaine. Il ne comprit rien à la scène qui s’offrait à lui. Des silhouettes massives se déployaient, surgissant du sous-bois comme des ombres vivantes. Il reconnut des sangliers, mais des sangliers monstrueux, aux défenses acérées et aux yeux luisants d'une lueur rouge surnaturelle. Il ne devinait que des formes sombres chargeant à travers le village.

Il vit des bêtes dévaler au milieu des modestes chaumières, renverser charrettes et outils, et semer la panique parmi ceux qui se réveillaient en sursaut.

Les cris perçants des gens, mêlés aux hurlements des animaux, se confondaient en un vacarme terrifiant. Son cœur se serrait à mesure qu’il voyait, à travers la brume, l'ombre mouvante d'un de ses voisins se faufiler, pris au piège de ce déferlement de cauchemar.

Au milieu de ce chaos, la terre semblait vibrer sous le poids de la terreur. Les bêtes, guidées par une volonté implacable, se jetaient sur tout ce qui se trouvait sur leur chemin. Il regardait, impuissant, son village se transformer en un champ de bataille où l'ordre et la paix se dissolvaient dans l'ombre et le tumulte.

Dans cette nuit d'horreur, il eut le sombre pressentiment qu’ils étaient désormais à la merci d'une terreur nouvelle, la menace d’une nature anormale.

La horde s’évanouit dans la nuit, ne laissant derrière elle qu'un silence macabre et le chaos d'un village brisé. Les habitants hagards se hasardèrent à sortir précautionneusement. Sous la pâle lueur vacillante des torches, ils se tenaient, hébétés, devant ce qu'il restait de leur foyer, de leur étable, de leur hameau…

On devinait des corps allongés dans la pénombre. Puis ce fut le temps des plaintes et des pleurs, chacun reconnaissant un proche, un ami.

Le froid de la nuit se mêlait aux relents de sang et de fumée, créant une atmosphère lourde où chaque ombre semblait murmurer des prières d'agonie. Des maisons, dont les murs avaient été souillés par la hargne des assaillants, se dressaient comme des carcasses abandonnées.

Il se pencha vers le vieux Mathias assis au milieu des décombres de sa masure. Il tremblait autant de froid que d'émotion, fixant l'horizon d'un regard vide, incapable de croire que tout ce qu'il avait connu avait disparu en un seul déferlement. Autour de lui, ce n’était plus que lamentations et désespoir.

La nuit, témoin de ce carnage silencieux, gardait jalousement ses secrets, et dans le froid glaçant, la douleur persistait, indélébile, comme un lourd fardeau sur l'âme du village.

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