CHAPITRE XVIII : Un moment de réconfort (3)

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La menace se précise

Il marchait d’un bon pas vers le château, tenant son cheval par la bride. Ses pensées étaient troublées, sa déclaration d’amour tournant en boucle dans sa tête. Il avait toujours perçu ce genre de confession comme un aveu de faiblesse, et pourtant, il n’en éprouvait aucun regret. Son sentiment pour Lianor était sincère, profond, et la certitude que son amour était réciproque lui apportait une joie nouvelle, presque déroutante. Il arriva face à la grande porte sans s’en rendre compte.

Il confia sa monture à un palefrenier et se fit annoncer. On l’escorta à l’intérieur.

Tiens, aujourd’hui, j’ai le droit de rentrer.

Il trouva Hugues de Dabo en conversation avec la capitaine. Il lui fit signe.

— Je m’excuse, je suis un peu en retard et…

Hugues l’interrompit d’une main. Il fit signe de s’asseoir autour d’une petite table toute proche.

— La capitaine Hugel m’a narré les faits. Dramatique ! j’ai pris des dispositions pour la famille de ce pauvre garçon. Je voulais votre avis sur ce qu’il s’est passé.

Ancelin marqua un silence.

— Écoutez sire, cela reste confus tellement ce fut rapide. Je n’ai eu le temps que d’entrevoir cette… forme… ce tueur, car il faut bien le voir comme cela. Mais je ne saurais comment qualifier cet être nu et fluide que j’ai vu. Le déluge a sans doute renforcé cette impression. En pleine lumière, je crois que la vision en aurait été tout autre. Quoi qu’il en soit c’est un tueur redoutable. Combien sont-ils comme ça ?

Ils restèrent silencieux. Hugues soupira.

— Oui, ils sont plusieurs, c’est évident. Et cela semble correspondre à une volonté de répandre la terreur. Je vous rejoins.

Ancelin leva la main.

— Je suis d’accord, approuva Ancelin. Quand il m’a fait face... Il aurait pu me tuer aussi vite qu’il a frappé Yvain. Mais il s’est contenté de me défier, comme pour prouver qu’il pouvait frapper où il voulait, quand il voulait. Une démonstration de force, rien de plus classique... mais diablement efficace.

Hugues soupira.

— Par ailleurs, on m’a informé d’un drame dans un hameau éloigné vers le nord de la vallée. Une attaque de bêtes. Il semble que ce soit encore des sangliers… anormaux. J’ai envoyé une petite troupe sur place. Je n’en sais pas plus pour le moment.

Il se planta devant Ancelin, le visage marqué.

— Je pense qu’il est temps d’en informer le Margrave à Ensigesheim. Nous sommes face à des événements très graves qui laissent sourde une vraie menace. Ce qui se passe dans cette vallée dépasse le simple brigandage, et je voudrais qu’une expédition militaire s’y rende. En attendant, vous avez pris la bonne décision en rapatriant ces gens. Ancelin, je voudrais que vous fassiez partie de la délégation qui se rendra chez le Margrave. Je vous tiendrai informé.

— Bien, sire. Ah au fait j’oubliais ! j’ai trouvé cette pièce sur le lieu du massacre de la famille.

Il la tendit à Hugues, qui l’examina attentivement.

— Je ne connais pas. Il y a un écusson, des armoiries. Je vous conseille d’aller voir à la bibliothèque. Je suis sûr que vous trouverez à quelle famille cela correspond. Rien de ce que nous connaissons de toute façon et elle paraît récente. C’est étrange.

— D’autant plus étrange qu’elle était posée bien en évidence sur une pierre. Les tueurs voulaient qu’on la trouve.

— Un signe, une marque de reconnaissance ? répondit Hugues.

Ancelin haussa les épaules et sortit après une courte révérence.

Finalement, il décida d’aller tout de suite à la bibliothèque. Il avait le pressentiment que c’était important. Il passa le grand porche et se renseigna auprès de deux prêtres qui se rendaient au potager. Il poussa un battant de la haute porte en bois massif. Décorée de fer forgé, elle était tenue par des gonds énormes scellés dans les pierres. « Les grincements ont dû alerter tout le monde là-dedans » pensa-t-il. Mais il fut surpris du silence. Il fallut un petit moment pour que ses yeux s’habituent à la faible lumière. Seuls quelques grands lustres espacés dispensaient une chiche lueur. Ses pas résonnèrent sur le pavage. Il passa un long couloir voûté qui débouchait sur une vaste salle. Il y avait des livres jusqu’au haut plafond et toujours aucune âme qui vive !

— Que cherchez-vous ?

Surpris, il se retourna et se retrouva face à Biber.

— Ah, bonjour Biber.

— Ah oui, bonjour Ancelin, je ne vous avais pas reconnu. Que cherchez-vous ?

Il exhiba sa pièce.

— Il faudrait en apprendre plus sur cette pièce. Surtout savoir à quelle famille elle correspond.

— Vous permettez.

Biber se montra très intéressé par les armoiries.

— Je vois, je suis libre, si vous voulez, on peut aller chercher ça.

— Ah ! tu es prêtre alors ?

Biber rit.

— Non, je suis laïque, intendant adjoint de la bibliothèque. Vous avez la personne qu’il faut !

— Dans ce cas, je te suis.

Ancelin restait surpris du jeune âge de ce … bibliothécaire. Mais après tout, pourquoi rester sur l’image dépassée d’un vieux avec une longue barbe ? Biber l’entraîna entre des rayonnages interminables à la simple lueur de sa lanterne. Dans ce secteur, les lustres étaient plus nombreux et on y voyait un peu mieux. Ils croisèrent un prêtre en lecture qui ne les regarda pas. Biber s’arrêta près d’une grande table et y posa sa lanterne. Il chercha dans un tiroir et prit une loupe. Il contempla les étagères.

— On devrait trouver ça par là. Il nous faut un recueil sur les familles et leurs armoiries. Pas compliqué en fait. Tiens, « Chronique des Maisons d’Origine ». Commençons par là. Montrez-moi votre pièce.

Il la détailla à la loupe.

— Il y a la tête d’un animal au centre, un sanglier, on dirait. On voit les défenses. Il est encadré par deux épées. Sur l’autre face, ce portrait. Il semble accompagner une forme féminine, très étrange. Cela ne me dit rien du tout.

Il ouvrit l’ouvrage et passa assez vite les pages, s’arrêtant par moment sur un insigne. Il se redressa.

— Non, rien là-dedans. Bon ! réfléchissons.

Il partit ranger le livre et parcourut quelques rayonnages l’air songeur. Il se décida pour un livre plus volumineux.

— En voici un plus exhaustif qui tient compte des familles disparues. Après tout, même si votre pièce paraît assez récente…

Il reprit sa lecture. Ancelin laissait faire, il maîtrisait mal la lecture et avait un peu honte de l’avouer. Biber tourna longuement les pages, reprenant sa loupe par moment pour inspecter l’objet. Enfin, il se redressa.

— J’ai trouvé, là.

Il mit le doigt sur une ligne

— Famille Schattenfels. J’en ai vaguement entendu parler et pas en bien, il semble.

— Effectivement, Ulrich von Schattenfels un triste sire, le dernier de ces représentants, le sinistre baron qui a tant fait parler de lui durant la guerre des deux empires. Mort depuis. À ma connaissance, le château et toutes les demeures associées ont été rasés. Le pays à l’abandon total.

— Bon, par contre, ce n’est pas tout à fait semblable. Le sanglier et les deux épées y sont bien, c’est conforme, mais il y a, en plus, cette forme féminine. Mais de toute façon, il n’y a rien d’autre qui s’en approche. Et ça ne correspond à aucune famille actuelle. Il n’y a aucune explication.

— Le sanglier ! c’est troublant.

Il lui parla des sangliers maléfiques. Il ne savait quoi penser de tous ces événements. Il ramassa la pièce et la fit tourner dans ses doigts.

Biber se redressa face à lui.

— Je vous propose de faire des recherches sur cette Famille, ainsi que la symbolique du sanglier. Qui sait, cela nous éclairera peut-être.

— Merci oui. Tiens-moi au courant dès que tu auras quelque chose.

— Par contre, je veux bien garder la pièce, car il y a ce portrait. On peut, peut-être l’identifier.

Ancelin quitta la bibliothèque, les idées encore embrumées par les mystères entourant la pièce. Le ciel, teinté de pourpre et d’or, annonçait la fin du jour. Il hâta le pas vers la taverne, où il savait que Lianor l’attendait. En entrant, il repéra sa silhouette familière, déjà installée dans un coin tranquille, une chope de bière entre les mains. Elle lui adressa un sourire lumineux.

Le Muff s’approcha avec regard ironique.

— Je vous ai mis à l’écart en amoureux, termina-t-il avec un clin d’œil.

Ancelin s’assit, un peu raide, conscient des regards furtifs que les clients leur jetaient. Il avait encore du mal à se détendre pleinement en présence de Lianor, surtout après leur récent échange aux bains. Mais, comme toujours, elle prit les devants. Sans hésiter, elle l’embrassa, un baiser long et tendre, si audacieux qu’il en oublia un instant la salle bruyante autour d’eux.

— Tu sais, le secret est bien éventé de toute façon, lui souffla-t-elle.

— Oui, je vois ça.

— Alors ? ça va mieux ?

— Oui et je suis allé à la bibliothèque au sujet d’une pièce trouvée sur les lieux. Vraiment impressionnante cette bibliothèque. Tu aurais vu ça tellement vaste, presque oppressant.

— Je te comprends, ce n’est pas forcément un endroit où l’on se sent à l’aise, lui glissa-t-elle.

Il fronça les sourcils. Lianor sourit et lui prit les mains affectueusement.

— J’ai compris que… disons… tu ne maîtrisais pas bien la lecture, mais qu’est-ce que ça peut faire…. Hein ?

Il resta silencieux. Elle reprit.

— Ceci dit oui, cette bibliothèque, Salih m’en a parlé. Ce doit être intéressant à voir, mais il m’a dit que les femmes ne sont pas admises dans l’enceinte centrale de la collégiale.

Elle se redressa et montra l’intention de changer de sujet.

— Bon ! j’ai commandé un bon ragoût de porc, des friands aux pommes et enfin de l’Hypocras, finit-elle avec un large sourire.

Le repas se déroula dans une ambiance douce et chaleureuse. Ancelin, peu habitué à de tels moments de sérénité, ne quittait pas Lianor des yeux. Son rire léger, sa façon de raconter des anecdotes, même sa manière de tenir sa cuillère le faisait sourire sans qu’il s’en rende compte.

À peine les assiettes vidées et le vin terminé, Lianor se leva d’un geste et le tira par la main.

— Viens !

Ancelin rougit en comprenant ses intentions, surtout en sentant les regards et les murmures amusés des autres clients. Mais il ne pouvait rien refuser à Lianor. Elle l’entraîna vers l’escalier menant aux chambres, sa main serrée dans la sienne, tandis que la salle éclatait de rire et en applaudissements discrets. Ancelin, agacé, mais amusé malgré lui, se dit que, décidément, il n’était pas près d’oublier cette soirée.

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