CHAPITRE XVIII : Un moment de réconfort (4)

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La repentance

Héloïse avait demandé à rencontrer Gérard. Depuis les événements dramatiques, ils se voyaient très peu. Il avait repris les affaires en main. De toute façon, sa femme s’était retirée très clairement de tous ses engagements. La ville avait dû faire face à des actes de rébellion dans la semaine qui avait suivi le procès. Quelques mouvements de foule avaient dû être contenus avec le moins de violence possible, car Gérard comprenait parfaitement la réaction de ces gens. Le prélat s’était fait très discret depuis. Lors d’une entrevue, Gérard lui avait expliqué la nouvelle donne et mis les cartes en main. Il avait bien compris que l’établissement du dogme devait marquer le pas.

Les deux époux se regardaient silencieusement, debout et face à face. Gérard constata que sa femme semblait avoir vieilli d’un coup tant son visage restait marqué. Elle inspira profondément.

— J’ai décidé de me retirer dans un couvent. Je vais rejoindre la toute nouvelle communauté des nonnes de Schwartzenthann.

Gérard marqua un silence, puis se redressa.

— Très bien, je crois qu’en effet, la rigueur reconnue de ce monastère vous conviendra parfaitement.

— Je partirais dans deux jours. Je viendrai vous dire adieu.

— Irez-vous voir votre fils ?

Elle ne répondit pas, puis laissa échapper un « oui » dans un souffle. Elle se retria. Gérard resta immobile un moment, à réfléchir. La gouvernance lui revenait donc totalement, c’était confirmé. Ses épaules se voûtèrent lorsqu’il se remémora les événements qui s’étaient succédé depuis quelques mois et qui avaient bouleversé le cours de leurs existences.

Geneviève enroula Renaud dans une grande serviette. Elle devait encore l’aider à se laver. Depuis le supplice, elle avait tenu à s’occuper personnellement de son frère. Chaque cicatrice, chaque marque infligée à son corps la tourmentait autant que lui. Les striures rouges semblaient crier une souffrance encore vive, et pourtant, il fallait les toucher, appliquer le baume, répéter inlassablement les gestes nécessaires à sa guérison.

Elle le fit asseoir et entreprit de passer du baume sur le dos. Ensuite elle devait l’aider pour l’exercice douloureux des étirements. Quotidiennement, il devait à la fois s’étirer complètement et puis se recroqueviller. Tout cela de nombreuses fois de suite. Le soigneur avait expliqué que c’était très important pour que la peau ne se rétracte pas sous l’effet de la cicatrisation et occasionne une gêne plus tard. Heureusement, sa jeunesse éviterait ce handicap. Le processus était brutal, et Renaud avait besoin de soutien à mi-parcours, lorsque la douleur devenait insupportable. Chaque mouvement semblait raviver les flammes de son supplice. Geneviève devait le soutenir dans son parcours de douleur.

Ensuite, elle l’aidait à s’habiller. C'était seulement depuis quelques jours qu’il pouvait enfiler des vêtements de toile légère. Elle le soutenait encore un peu pour regagner sa chambre. Enfin, il pouvait délaisser le lit et s’asseoir dans un grand fauteuil. Elle le distrayait du mieux qu’elle pouvait avec des lectures, des chants ou en lui commentant les derniers potins. Mais elle restait mortifiée par le désespoir qui ne quittait pas son regard. Il avait profondément aimé Aubert et ne pouvait accepter sa disparition, surtout dans ces circonstances. Sa mère n’avait plus remis les pieds dans sa chambre. Il ne pouvait plus la voir.

Elle quitta la pièce et fut surprise de voir Héloïse approcher. Elle stoppa devant elle. Geneviève fut frappée par la pâleur de son teint. Elle parla d’une voix faible.

— J’ai décidé de me retirer dans un couvent.

Geneviève, sans surprise, approuva cette décision. Sa mère n’était plus que l’ombre d’elle-même de toute façon, et cette retraite semblait une conclusion logique.

Héloïse lui demanda son avis avant de voir son fils. Elle lui donna son sentiment et proposa de l’accompagner. Elle toqua à la porte et entra. Il était sur son fauteuil, affichant une expression très calme.

— Je suis venu te dire que mère est là et elle a quelque chose d’important à te dire. Elle peut entrer ?

Il resta inexpressif, puis fit un léger mouvement de tête. Elle s’effaça pour laisser passer sa mère. Celle-ci avança lentement et s’arrêta devant son fils. Elle hésita avant de parler.

— Renaud… mon fils… Je suis venu te dire que je vais rejoindre la communauté de Schwartzenthann. Je me retire.

Il ne dit rien, la regardant fixement. Geneviève la vit accuser le coup devant le silence de Renaud. Après une légère hésitation, elle se dirigea vers la porte. Au dernier moment, elle se retourna, le visage défait.

— Me pardonneras-tu ?

Encore un long silence. Puis, juste avant qu’elle ne parte,

— Je ne sais pas mère… je ne sais pas.

Geneviève s’agenouilla devant lui et lui prit les mains.

— Laisse-la partir, Renaud. Elle porte ses propres chaînes.

Il détourna les yeux, mais deux larmes roulèrent sur ses joues, silencieuses et amères. Geneviève sentit son cœur se briser. Elle posa sa joue contre ses mains tremblantes, cherchant à partager un peu de sa peine. Lentement, elle passa ses bras autour de lui, l’attirant doucement contre elle.

En le tenant ainsi, une vague de souvenirs l’envahit. Elle revit Renaud enfant, courant dans les champs en riant aux éclats, son visage éclairé par une lumière d’innocence. Elle se remémora leurs jeux, les cachettes secrètes qu’ils partageaient, les complicités sans paroles. Ces moments d’insouciance, si pleins de vie, lui paraissaient désormais appartenir à une autre vie, une vie effacée à jamais par la brutalité des événements récents.

Geneviève ferma les yeux, retenant ses propres larmes. Elle murmura.
— Je voudrais pouvoir te ramener vers nos jours heureux… mais je ne peux pas.
Renaud ne répondit pas. Dans son silence, Geneviève sentit une infime ouverture, un pont fragile tendu entre eux, comme une chance ténue de reconstruire quelque chose.

Ils restèrent ainsi, enlacés, unis dans une douleur que ni le temps ni les mots ne pourraient apaiser pleinement. Mais à cet instant, pour Geneviève, ce simple contact valait tout.

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