CHAPITRE XIX : Défendre les livres (1)

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La visite interdite

— Mais non, tu ne peux pas faire ça. Tu exagères et ce pauvre Biber, tu vas le compromettre.

Viviane n’avait plus rien à apprendre sur le tempérament taquin d’Aude. Cependant, vouloir entrer dans la bibliothèque de la collégiale !

— Tu sais bien que nous avons des archives qui dorment dans notre bibliothèque. Des documents dont nous ne connaissons même pas la teneur pour certains. J’ai promis à Biber qu’il aurait la permission de père pour les examiner. Visiblement, ça l’emballe assez pour qu’il ait accepté le défi.

— Tu es diabolique et malsaine par certains côtés.

— Voilà un beau compliment ! j’y vais.

— J’espère qu’Aléma t’accompagne, sortir de nuit en ville ! Ah, mais je suis bête, bien sûr qu’elle vient.

Aude lui fit son plus grand sourire et disparut. Elle retrouva Aléma dans la cour. La soirée était avancée et l’obscurité contrée par une superbe pleine lune.

— Votre père n’aimerait pas, vous savez ça, hein ? murmura Aléma.

— Bon d’abord, Aléma finit de se vouvoyer. Je suis Aude et tu es Aléma d’accord ?

Avec satisfaction, elle constata l’embarras d’Aléma. Elle sentait bien qu’elle ne lui était pas indifférente. Elle effleura sa main et devina une esquisse d’un geste d’Aléma qui semblait vouloir la retenir. Elles rabattirent leur cape et se dirigèrent d’un pas rapide vers la collégiale.

Elles trouvèrent Biber qui se tenait dans le renfoncement du grand porche. Il avait prévu une aube large pour qu’Aude puisse se dissimuler. À cette heure tardive, il y aurait peu de monde dehors. Il avança avec précaution.

— Bonsoir, Biber, et encore merci, chuchota Aude.

— Oui, bon, tenez, mettez cela par-dessus et remontez bien la capuche. Aléma, vous pouvez rentrer aussi, mais vous restez dans la cour où vous devez rester cachée.

Aude s’exécuta, elle rabâta la capuche et baissa la tête.

— Bien suivez-moi et pas un mot, bien sûr.

Elle le suivit au plus près. Biber connaissait les bâtiments par cœur et ils évitèrent les zones exposées à la lumière et les dépendances encore occupées par le personnel. Ils arrivèrent devant la grande porte qu’il poussa dans un grincement tel qu’Aude s’attendit à voir surgir quelqu’un. Mais les couloirs étaient vides. Dans un détour, un prêtre apparut qui marchait vers eux. Le cœur d’Aude s’accéléra, elle se remémora le conseil de Biber, baisser la tête et marcher droit avec détermination. Le prêtre les croisa avec un salut et s’éloigna. Ils pénétrèrent dans la vaste salle centrale. Biber s’assura qu’il n’y avait personne et fit signe à Aude. Elle rabattit sa capuche pour pouvoir mieux contempler ce spectacle exceptionnel qui s’offrait à elle. Une des plus grandes bibliothèques du royaume ! Les rayons de livres s’élevaient jusqu’à se perdre dans l’ombre des plafonds. Elle était fascinée par les tranches de certains ouvrages, décorées d’or ou d’argent.

— Qu’elle chance tu as de pouvoir consulter tout ce que tu veux ici, murmura-t-elle.

— Je sais, c’est vraiment ma passion, mais ce qui me désole c’est qu’une vie n’y suffira pas.

— Il y a sans doute plein d’ouvrages sans intérêt. Je serais, moi, passionnée par l’histoire, les mystères de la vie…

Ils marchèrent lentement, Aude ne savait où porter le regard, elle était au paradis. Biber lui déplia un livre qui laissa Aude sans voix devant l’exceptionnelle finesse des gravures.

— C’est du vélin, lui expliqua Biber, de la peau de veaux mort-nés.

Aude ne se lassait pas de caresser la surface très douce du document.

— La peau est apprêtée jusqu’à devenir une feuille fine et très blanche. C’est un support très précieux réservé aux écrits religieux avec enluminures. On pourrait également préparer des peaux d’agneau, mais leurs surfaces sont plus petites.

Il rangea l’ouvrage avec précaution. Il regarda le rayon supérieur et tira un autre volume imposant, souffla doucement sur la couverture pour en chasser la poussière, et l’ouvrit avec une infinie précaution.

— Regarde celui-ci, murmura-t-il, les yeux brillants d’une admiration qu’il ne cachait pas.

Les pages révélaient des enluminures d’une splendeur inouïe. Des motifs floraux et des scènes miniatures, rehaussés d’or et de pigments éclatants, dansaient sur le vélin avec une vivacité presque irréelle. Chaque détail semblait avoir été créé par des mains divines, les plis des vêtements, les regards des personnages, les arabesques délicates qui encadraient le texte sacré.

Aude, émerveillée, passa un doigt tremblant sur une lettrine ornée d’un dragon dont les écailles scintillaient sous la lumière vacillante de la lanterne.

— C’est… magique, souffla-t-elle, la voix brisée par l’émotion.

— Ce livre est une œuvre unique. Il a dû nécessiter des mois, peut-être des années de travail pour le copiste et l’enlumineur.

Aude tourna une page avec extrême douceur.

— Comment peut-on abandonner une telle merveille dans l’oubli ? murmura-t-elle.

Biber referma le livre et le remit à sa place. Il la regarda.

— C’est pour ça que je suis ici. Pour que ces trésors ne sombrent pas dans les ténèbres. Tiens, regarde ça, dit-il en lui en ouvrant un autre.

Aude ne lui trouva rien d’extraordinaire si ce n’était sa consistance. Biber prit un air satisfait.

— Ah tu as remarqué, sais-tu ce que c’est ?

— Bien sûr que non.

— C’est du papier. C’est fabriqué avec du lin qui est trempé, chauffé, essoré et étiré. Les fibres s’entrecroisent et ça fait un support solide. Les prêtres ici ne veulent pas l’utiliser par orgueil parce que cette technique n’a pas été inventée chez nous. C’est stupide, car c’est bien plus pratique et bien moins cher.

Aude se rassasiait de tous ses renseignements. Sa passion pour les écrits allait croissant et elle devait trouver une solution pour consulter ces livres. Elle s’en ouvrit à Biber. Il se montra sceptique.

— Peut-être que je pourrais en sortir quelques-uns pour te les prêter, mais tu devras les lire rapidement.

Mais alors qu’ils continuaient leur exploration, un bruit sec retentit dans un couloir voisin. Tous deux se figèrent.

— Quelqu’un arrive, murmura Biber, le visage blême.

Il éteignit prestement la lanterne et attrapa le bras d’Aude pour l’entraîner dans une alcôve. Le bruit se rapprochait, des pas lourds, un souffle… puis le cliquetis distinct d’une clé tournant dans une serrure.

Aude se sentit excitée par cette situation. Elle regarda Biber avec amusement en le voyant aux aguets. Un prêtre entra dans la salle. Il se promena lentement sur les lieux, ses pas résonnant comme des coups de marteau dans le silence oppressant. Il sembla s’attarder près de leur cachette, et Aude retint sa respiration, sa main se crispa sur celle de Biber.

Enfin, l’homme s’éloigna, ses pas s’évanouissant dans les profondeurs de la bibliothèque. Elle regarda Biber et pouffa. Ils sortirent de leur cachette et elle lui déposa un baiser sur la joue. Elle le devina troublé.

— Bon nous devons partir, marmonna-t-il.

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