CHAPITRE XIX : Défendre les livres (2)

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L’attaque

Ancelin se réveilla juste pour entendre sonner l’angélus à la collégiale. La lune pleine inondait la chambre d’une lueur bleutée, et il se retrouva face à un spectacle des plus envoûtants, deux demi-lunes parfaites. Les fesses de Lianor se dessinaient dans la lumière, sublimant les courbes de son corps endormi. Son doigt suivit doucement le sillon de la colonne vertébrale. Elle dormait pleinement, comme à son habitude, sur le ventre avec un doux ronflement. Il se sentait bien réveillé et décidé à sortir. Hugues lui avait confié une mission de surveillance, c’était une heure idéale pour errer dans les rues. Il déposa un baiser sur chaque fesse.

— Dors bien, ma lionne.

Il se glissa doucement du lit et s’habilla. Les rues étaient désertes, silencieuses, à l’exception du froissement des feuilles et du murmure de la rivière. C’était son heure favorite, celle où tout semblait appartenir à ceux qui osaient arpenter les ombres. Rien ne plaisait plus à son esprit calculateur que l’exploration du calme trompeur des nuits. Il croisa deux hommes du guet qui le saluèrent.

— Rien de suspect ce soir ?

— Non, sire, seulement un homme ivre qui tapait sur une prostituée.

— Eh bien, je vais aller vers les remparts.

Lorsqu’il atteignit la porte est, les gardes le laissèrent passer sans poser de question. Il longea la rivière qui scintillait sous les rayons lunaires. Il parvint à la brèche dans le mur des remparts extérieurs toujours ouverte à cause des travaux. Il accéléra le pas, montant sur le tas de pavés laissé par les maçons, et repassa de l’autre côté de la brèche. En avançant dans la rue du guet, il tendit l’oreille. Le silence semblait inhabituel, comme si la nuit elle-même retenait son souffle. Il ne vit rien jusqu’à ce qu’il arrive le long du mur de la collégiale. Ce fut en longeant le mur qu’il la vit enfin, une silhouette se déplaçant avec une agilité presque inhumaine, en équilibre sur le sommet du mur. Ancelin s’immobilisa une fraction de seconde, ébahi par l’audace de l’intrus. Mais son esprit reprit vite le dessus, et il s’élança vers l’entrée de la collégiale, calculant la trajectoire.

Il le vit sauter dans la cour intérieure. Il accéléra. Il savait que cet intrus n’était pas un simple vagabond. Cette intrusion était lourde de menaces.

Aléma vit une silhouette humaine se faufiler vers le bâtiment de la bibliothèque. Elle s’y dirigea rapidement. Elle devinait une volonté de se dissimuler chez ce visiteur, sans doute indésirable. Elle devait vérifier.

Aude et Biber sortirent de la bibliothèque. Biber referma précautionneusement la porte. Ils suivirent le couloir. Au détour d’un pilier, ils virent un homme jaillir devant eux, une flamme à la main. Mais l’individu en question présentait une allure anormale. Il s’approcha et ils lui virent un visage félin avec des yeux inhumains. Ils étaient immobilisés par la peur. Soudain, Aléma surgit derrière la créature.

— Hé toi, t’es qui ?

L’homme se retourna et jeta sa flamme. Aléma avait déjà son épée en main. Une dague surgit dans la main de l’assaillant qui se précipita sur elle. Elle esquiva le premier coup de justesse, surprise par la souplesse et la célérité de son agresseur. Elle sortit sa dague et ainsi, une arme dans chaque main, elle adopta une pose et une technique apprise par un maître d’armes en Égypte. Ne pas affronter l’adversaire de face, se montrer aussi fluide que lui. L’homme revint à la charge, mais Aléma était prête ; les deux lames sonnèrent et elle le repoussa. Elle l’entendit cracher comme un chat. Il se recroquevilla dans un coin de porte, prêt à bondir.

— Allez, viens, j’ai appris à me battre contre des ekeraa (fantômes en oromo).

Ancelin poussa la porte de la collégiale et courut vers la cour. Il ne vit rien. Et puis il perçut des bruits d’armes qui s’entrechoquaient. C’était vers la bibliothèque ; il se précipita, ouvrit la lourde porte difficilement. Deux prêtres réveillés par le bruit apparurent.

— Mais que faites-vous là ?

— Pas le temps de vous expliquer, restez à l’abri.

Il se dirigea au bruit et arriva sur les lieux. Il lui fallut un petit temps pour analyser la situation et il comprit qu’une femme noire était en train de ferrailler avec un homme-chat. Après quelques secondes, il se ressaisit. Il dégaina. Aléma a eu juste un coup d’œil vers Ancelin. Ils se placèrent de front. La créature bondit avec un élan incroyable, mais il avait maintenant trois lames à affronter et l’épée d’Ancelin l’égratigna le long du dos. Il sembla surpris, un moment d’inattention qu’Aléma mit à profit pour frapper durement cette fois. Elle vit nettement la pointe de sa dague pénétrer dans l’aine. Le hurlement qui sortit de la bouche de l’agresseur fut terrifiant tellement il était bestial. Il s’enfuit, laissant une traînée de sang.

Ancelin et Aléma restèrent immobiles et silencieux un instant. Ils devaient récupérer leur souffle. Biber et Aude sortirent de derrière un pilier, livides.

— Ça va ? demanda Aude d’une toute petite voix.

— Oui, mais nous n’étions pas trop de deux, répondit Aléma en regardant Ancelin.

Ancelin ne pouvait détacher ses yeux de la belle Abyssinienne. Aléma soupira et se campa devant lui.

— Je m’appelle Aléma, attachée au service de sire de Weinberghügel.

Aude vint à côté d’elle.

— Merci, vraiment, mais qu’est ce… qu’est-ce que c’était ?

Nama-bineensa, répondit laconiquement Aléma.

— Ou un Werewolf jedhamu , on dit ça chez nous. C’est comme un homme bête quoi.

Pour le moment, elle avait, en face d’elle, quatre personnes muettes. Ancelin se ressaisit.

— Un homme-chat, j’ai déjà eu affaire à… ça. Ce sont deux comme ça qui ont massacré une famille. Ils sont apparus dans la vallée, voilà un bon mois. Mais alors, toi aussi ?... Tu connais ?

Aléma haussa les épaules.

— Dans mon pays, ça existe, oui c’est comment dire… falfala… magie, je crois, oui, on dit ça chez vous.

— De la magie, mais c’est… c’est. Enfin ça n’existe pas, murmura Aude.

— Oui, ça existe, reprit Aléma. Pas ici, alors ? Pourtant, vous avez vu.

— On ne peut nier ce que l’on a vu de toute façon, trancha Ancelin. Mais maintenant, ils viennent en ville, on dirait. Je vous ai vu combattre, très impressionnant, cela tenait autant de la danse que du combat. Et ça semble très efficace, finit-il avec un grand sourire vers Aléma.

— Une technique apprise en Égypte par un maître d’armes … très… très bon.

— Des hommes-chat ? se contentait de répéter Biber, mais ça n’a pas de sens, finit-il.

Ancelin leva les épaules.

— Et pourtant !

— Mais qu’est-ce ça… qu’est-ce qu’il faisait là ? s’interrogea-t-il.

Ancelin inspecta les alentours et ramassa quelque chose.

— J’ai ma petite idée.

Il leur montra sa trouvaille.

— C’est du lignite avec de l’étoupe, un objet incendiaire. Visiblement il voulait mettre le feu à la bibliothèque.

— Mon Dieu, murmura Biber.

Un brouhaha enfla à l’extérieur. Ils s’y dirigèrent et découvrirent un attroupement de prêtres et quelques femmes du service qui entouraient un prêtre au sol.

— Mais c’est Benoit dit Biber, en se précipitant.

— Cette… chose est sortie comme un éclair et l’a frappé à la tête, ensuite c’est monté là-haut, expliqua frère Théodor en montrant du doigt.

— Le diable, murmura-t-il.

Aléma regardait les murs et la cour.

— Avec tout ce sang qui perd, je comprends pas qu’il court encore. Oui, il y a vraiment la magie.

Ancelin s’agenouilla vers Benoît, une femme en pleurs lui levait légèrement la tête. Il examina la plaie au crâne. Le coup avait coupé net l’os crânien sur le dessus, on entrevoyait de la cervelle et beaucoup de sang.

— Emmenons-le à l’hospice et allez chercher le practice, dit frère Théodor.

— Je vais chercher Lianor, elle est initiée, compléta Ancelin. Il faudrait appeler le guet, il ne doit pas être loin.

— Je vais faire et je ramène vite Aude chez elle. Je reviens tout de suite après, dit Aléma.

Arrivées devant la demeure familiale, Aléma laissa Aude rentrer seule. Mais cette dernière, visiblement bouleversée, se retourna un instant et déposa un baiser rapide sur les lèvres d’Aléma.

— Merci, souffla-t-elle simplement, une lueur d’inquiétude dans le regard.

Aléma resta immobile un moment, ses pensées partagées entre la situation qui se déroulait à l’hospice et ce geste d’affection inattendu. Mais elle se ressaisit rapidement et se dirigea vers la collégiale.

On s’occupe de Benoit

Tout s’organisa efficacement. Benoît fut transporté dans l’hospice. Ancelin courut vers l’auberge. Il monta vite à la chambre. Lianor dormait toujours profondément. Il dut la secouer. Elle releva la tête.

— Il faut que tu viennes, il y a un blessé grave à la collégiale.

Elle ne comprit pas tout de suite, il lui répéta. Elle s’habilla, ils se précipitèrent, la collégiale était toute proche. Ils trouvèrent le guet en arrivant. Lianor fila à l’hospice et Ancelin expliqua la situation aux trois hommes et demanda qu’on renforce la surveillance sur la ville et de prévenir le gouverneur. À cet instant arriva Aléma en courant.

— Il faut aller voir le gouverneur pour lui expliquer. Mais en attendant les renforts, il faudrait faire une surveillance autour.

Aléma approuva de la tête et remonta la rue lentement, sa dague à la main.

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