CHAPITRE XIX : Défendre les livres (5)

5 minutes de lecture

On découvre un corps

Ancelin n’avait dormi que peu de temps, mais pensait avoir récupéré suffisamment. Il s’était réveillé avec une faim tenace et il mangeait seul à l’auberge du chat noir. il devait rejoindre Aléma dans la matinée pour prendre la route d’Ensigesheim. Soudain, la porte s’ouvrit brusquement. Un garde entra, visiblement pressé. Il s’approcha d’Ancelin, son visage sérieux.

— Je viens vous prévenir que nous avons trouvé un cadavre à une demi-lieue au nord de la ville, près de la rivière, dit-il. Le corps est à l’hospice.

Ancelin se leva en regardant son repas avec un profond soupir.

— Bien j’y vais tout de suite, allez prévenir Aléma l’abyssinienne sis chez les Weinberghügel, qu’elle me rejoigne là-bas.

En arrivant, il rencontra le practice qui l’attendait déjà.

— Venez avec moi, il est là-bas, lui dit celui-ci.

— Il est étrange n’est-ce pas ?

Le practice le regarda avec étonnement.

— Étrange ? non c’est un homme comme vous et moi.

— Ah, alors il y a erreur, ce n’est pas notre agresseur, mais bon, allons voir quand même.

Le mort avait été débarrassé de ses vêtements et Ancelin vit immédiatement la vilaine blessure à l’aine. Il resta sans voix.

— Je ne comprends pas. Je veux voir son dos.

Ils le firent basculer de côté et il put voir la longue estafilade qu’il lui avait infligée la veille.

— Mais ça alors, il était différent hier. Plus svelte, souple et surtout ces yeux de chat avec la pupille verticale et le visage…

— Rien de tout cela, répondit doucement Paul de Laon en le dévisageant curieusement. Ancelin remarqua son regard plus que perplexe.

— Mais je vous assure, il était… différent

Ils restèrent à supputer jusqu’à ce qu’Aléma arrive. Elle regarda le corps sans surprise.

— Oui, c’est bien celui, je vois la blessure là, c’est mienne.

Ancelin n’y tint plus.

— Mais enfin, il n’a rien à voir avec notre agresseur qui ressemblait à…. à un chat, quoi !

En contraste, Aléma restait de marbre.

— Oui, mais lui mort, alors… comment… qubeessuu… magie ou sortilège oui voilà, sortilège fini et homme redevient normal.

Ancelin restait planté, les bras ballants, sans mots.

— Bon alors, toi, ça ne te surprend pas.

— Non, commenta Aléma laconiquement. C’est normal.

Un long silence s’installa entre les deux. Le practice tenta de rompre cette atmosphère lourde, presque irréelle.

— Écoutez, demain, je peux vous proposer une autopsie, dit-il. Je fais ça de temps en temps, et cela pourrait être une bonne occasion d’initier Lianor. Je vais voir s’il y a une anomalie au niveau des organes. Qui sait ?

Ancelin, perdu dans ses pensées, jeta un dernier regard au cadavre, à Aléma, puis à Paul. Il pensa à Lianor.

M’étonnerais qu’elle apprécie ou alors elle aura bien changé.

Il soupira en haussant les épaules.

— Merci practice, après tout, au point où l’on en est, finit-il.

Le médecin regarda Aléma.

— Vous êtes abyssinienne n’est-ce pas ? demanda Paul de Laon. Et vous arrivez d’Égypte. Je connais ce pays, mais pas l’Abyssinie que l’on décrit comme le pays des merveilles.

— Pas toujours, murmura Aléma.

Ils sortirent. Le trouble d’Aléma lorsque le practice avait parlé de son pays n’avait pas échappa à Ancelin, mais il se garda bien de relever. Il la regarda.

— Bon, je n’ai pas fini mon repas et je veux manger avant de partir pour Ensigesheim, vous m’accompagnez ?

Un espoir pour Benoît ?

La matinée était déjà bien entamée lorsque la supérieure s’approcha du lit de Benoît. Le jeune homme gisait toujours sans réaction, les traits tirés et la respiration à peine perceptible. Elle l'observa longuement, les mains croisées sur son scapulaire, avant de secouer la tête avec un soupir.

— Il faudrait le laver, dit-elle doucement.

Lisa, postée à ses côtés, acquiesça avec énergie.

— On s’en charge. Un bain chaud, ça pourrait lui faire du bien… peut-être même, provoquer une réaction. Qui sait ?

Lianor arriva à cet instant, les yeux encore rouges de sommeil. À peine eut-elle entendu les propos de Lisa qu’elle se proposa pour aider.

— Je vais vous aider à le porter.

Elles furent finalement quatre à transporter Benoît avec précaution, le corps inerte posé sur un brancard. Le jeune homme semblait si fragile que chaque mouvement, chaque effort, était accompagné de murmures rassurants, comme si leurs paroles pouvaient l’atteindre à travers ce voile d’inconscience. Elles l’emmenèrent jusqu’à une salle où un grand bassin fumant avait été préparé. Lianor, avec l’aide de Lisa, le déposa doucement dans l’eau tiède, veillant à maintenir sa tête hors du bain.

Lianor entreprit de défaire le bandage qui enserrait son crâne. La plaie, bien qu’impressionnante, était propre. Le souvenir de l’attaque était encore vif dans son esprit, et elle sentit un frisson lui parcourir l’échine en contemplant les bords rouges et boursouflés de la blessure. Elle nettoya délicatement la zone avec une infusion antiseptique, puis appliqua un baume apaisant avant de refaire un bandage plus net et serré.

— Il a l’air tellement loin, murmura Lisa en guettant le moindre signe. Est-ce que ça sert à quelque chose ?

— Tout sert, répondit Lianor avec gravité. Tant qu’il respire, il y a de l’espoir.

Elles le laissèrent dans le bain une dizaine de minutes, lavant son corps avec soin. Lianor s’occupait des blessures, tandis que Lisa veillait sur ses mains et ses pieds glacés. Finalement, elles le séchèrent et le ramenèrent sur son lit, dont elles avaient changé les draps entre-temps.

En fin de matinée, Salih arriva pour examiner Benoît. L’air préoccupé, il s’approcha du lit, ses gestes précis et méthodiques. Il passa longuement ses doigts sur les contours du crâne, vérifiant la solidité des sutures, palpant doucement les tempes. Alors qu’il observait ses mains, il perçut un infime frémissement.

— Un mouvement ! s’exclama-t-il en retenant son souffle. Les doigts…

Lisa accourut, la main sur la bouche, les yeux humides.

— Mon Dieu, il revient, murmura-t-elle.

Salih releva un regard grave.

— Peut-être. Mais le chemin sera long, prévint-il. Ce genre de traumatisme ne disparaît pas en un jour. Nous devons prévenir le practice immédiatement.

Le reste de la journée fut marqué par des évolutions ténues, mais significatives. En soirée, Benoît commença à remuer légèrement les bras, un gémissement indistinct brisant le silence de la chambre. Sous ses paupières closes, on percevait de petits mouvements d’yeux, comme s’il luttait pour émerger de ce profond sommeil. Une aide-soignante lui tenait la main, murmurant des paroles rassurantes.

Dans un coin de la pièce, le père Hubert, doyen de l’abbatiale, se tenait auprès de Paul de Laon, le practice. Tous deux observaient Benoît avec une attention soutenue. Le père Hubert brisa le silence.

— Quel est votre sentiment, maître ?

Paul croisa les bras, l’expression concentrée.

— Le fait qu’il y ait déjà des signes de réveil est un bon présage, même si nous ne pouvons pas dire jusqu’où ira la récupération. Par expérience, des plaies aussi graves au crâne laissent presque toujours des séquelles. Sa guérison sera lente et incertaine.

Le doyen hocha la tête, son regard se perdant dans le vide.

— Cet incident est incompréhensible. Hugues de Dabo m’a confié que l’agresseur avait pour but de mettre le feu à la bibliothèque. Une telle perte aurait été inestimable… et impardonnable.

Sa voix se durcit.

— Les mesures de sécurité ont été renforcées dans toute la ville, mais cela ne suffit pas. Il y a quelque chose de plus vaste derrière cette attaque, j’en suis convaincu.

Paul posa une main sur son épaule, un geste bref, mais réconfortant.

— Laissons les choses suivre leur cours. Benoît semble prêt à revenir parmi nous. Mais il aura besoin de temps… et de prières.

Le père Hubert soupira de nouveau, puis bénit silencieusement le jeune homme alité, espérant qu’il reviendrait non seulement à la vie, mais aussi à la lumière.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Bufo ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0