CHAPITRE XX : La menace se précise (4)
L’autopsie
— Prête ?
Lianor se tenait en face du practice, entre eux, le cadavre du tueur allongé sur le dos. Elle acquiesça sans vraiment savoir si elle était vraiment prête. Elle se sentait fébrile, pressentant une expérience hors norme. Elle inspira profondément. Le médecin prit une lame très coupante qu’elle commençait à connaître. Elle resta pétrifiée de le voir faire une longue incision depuis la gorge jusqu’au pubis.
— Ça va ?
— Oui, bon c’est impressionnant quand on n’a jamais vu ça.
— Et pour une première fois, tu es remarquable.
J’espère que ça va continuer.
Elle était partagée entre la curiosité insatiable de tout comprendre et l’horreur brutale de la scène. Le practice prit un instrument tranchant plus gros et entreprit de dégager la peau des os de la cage thoracique. Ensuite il agrandit l'ouverture de l’abdomen. Avec un burin fin et un marteau, il coupa le sternum. Lianor luttait contre un sentiment de malaise.
— Une pause ou je continue ?
Elle s’écarta, les deux mains posées sur la table, pour retrouver une respiration normale. Les couleurs lui revinrent.
— Ouf ! ça va.
— Je vais écarter les os du thorax là. Nous allons voir le cœur et les poumons. C’est le début de la leçon. Attention, ça va craquer !
Il introduisit deux lames dans l’os fendu et, avec un mouvement de levier, écarta les côtes dans un horrible bruit de craquement. Lianor serrait les doigts sur la table à s’en faire mal, mais elle rassemblait toute son énergie pour rester concentrée. Elle savait que le practice guettait ses réactions.
— Tu vois, tu tiens le coup.
— Oui, mais là…
Il la regarda un bref moment, puis reprit.
— Bien, maintenant, regarde.
Il décrivit longuement les différents organes visibles. Lui explicita le rôle du cœur et des poumons. Lianor, malgré la scène sanglante et la chaleur nauséabonde de la pièce, écoutait attentivement. Petit à petit, la curiosité l’emporta sur le dégoût, elle se plongea dans l’analyse de chaque organe. Quand le Practice ouvrit l’abdomen en grand, il n’hésita pas à sortir les organes un par un, les tenant avec une habileté étonnante pour les examiner et les expliquer. Lianor se concentra sur ses paroles, oubliant presque qu’il s’agissait d’un être humain, désormais réduit à un amas de chair et d’organes.
— Tout ce que je t’explique là, je l’ai appris à notre université, mais j’ai aussi complété ma formation par moi-même en pratiquant plusieurs autopsies. C’est, pour moi, le seul moyen de progresser dans la connaissance. Il y a très longtemps, un médecin grec, Hérophile, a été le premier à pratiquer des autopsies, mais il s’est heurté aux religions de l’époque pour lesquelles il ne fallait pas profaner un corps, sinon cela offensait les dieux. Nous risquons de reconnaître tout cela avec l’arrivée de cette nouvelle religion, le christianisme. Selon les préceptes de cette église, il ne faut pas toucher le corps humain, qui est l’œuvre de Dieu et seul lui décide du sort d’un malade. C’est renier tous les fondements qui sont à la base de notre savoir. On recule de plusieurs siècles.
— Et je n’aime pas beaucoup non plus leur conception de la place de la femme, rajouta Lianor.
— Bien ! revenons à notre leçon. Je suis encore loin de tout comprendre. Par exemple, ce gros organe. Je n’ai pas encore compris sa fonction. Il semble sécréter ce liquide jaune épais, c’est la bile. Elle se déverse dans l’intestin. Tu la connais sans doute, elle remonte lorsqu’on vomit violemment, elle a un goût horrible. Pour ces deux organes-là, j’ai une idée. Regarde ! Je pense que le sang passe à travers et ensuite de l’autre côté c’est l’urine qui sort. Tu vois les deux canaux très fins, ils déversent l’urine dans la vessie. Je pense que ça, ça te parle et, ensuite l’urine, est évacuée par-là, compléta-t-il en levant la verge et montrant l’extrémité du gland. Donc, pour moi, c’est comme-ci ces deux organes extrayaient cette urine du sang. Pourquoi ? Je ne sais pas encore. Ça va ?
Lianor sembla se réveiller. Elle sursauta.
— Oui, enfin… c’est incroyable. Mais combien de gens connaissent tout ça, dit-elle en montrant le corps.
Le practice prit du recul.
— Très peu hélas, j’ai formé Salih, qui n’en connaissait pas grand-chose, alors qu’il a suivi des études pourtant poussées. Espérons seulement que nous pourrons continuer à pratiquer. As-tu d’autres questions ?
Lianor se mordit la lèvre inférieure.
— Euh oui, vous m’avez montré le gland où sort l’urine, pourtant, il y a autre chose qui sort aussi par-là, finit-elle en rougissant un peu.
Il sourit
— Tu veux parler du sperme. He bien, ça commence là !
Sans hésiter, il fendit le scrotum et dégagea un testicule. C’est sans doute ici que se concentre le secret de la procréation. Le sperme quitte chaque testicule pour suivre un parcours compliqué pour se rejoindre là, j’appellerais ça une glande. Et ensuite, un seul canal en sort jusqu’à la verge et ça sort là. Comme tu l’as remarqué, il y a deux ouvertures au bout du gland.
Elle suivait ces explications très attentivement.
— Nous touchons là au plus grand mystère de notre corps, la fabrication d’un enfant. C’est fascinant, car nous n’en connaissons que très peu. Bon j’ai appris beaucoup en ouvrant des truies. J’ai pu comprendre la croissance du jeune porc et je suis sûr qu’il y a peu de différence chez nous. Peut-être aurons-nous l’occasion d’approfondir cela un jour.
— Sur un cadavre de femme, vous voulez-dire ?
Il écarta les bras.
— Peut-être. Bon, en n’attendant rien d’extraordinaire chez notre mort, il est parfaitement normal, ce qui approfondit encore plus le mystère de cet « homme-chat ».

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