CHAPITRE XX : La menace se précise (6)
La découverte de Biber
Biber pouvait enfin retrouver du temps pour se plonger dans la pénombre des rayons de sa bibliothèque. Il devait absolument percer le secret de la pièce trouvée par Ancelin sur le lieu du massacre. Le portrait gravé sur le métal l’intriguait profondément, mais ce n’était pas son seul souci. Il restait préoccupé par cette histoire de soi-disant homme-chat qui finalement se révélait être ordinaire une fois mort. Cela touchait à l’étrange et excitait sa curiosité. Il avait entrevu l’agresseur et, affectivement avait été stupéfait par son allure féline. Un homme ne se déplaçait pas de cette façon. Il reprit le lourd ouvrage des familles anciennes de l’Oberelsass, il retrouva le passage sur le blason, mais aucune indication sur la famille de Schattenfels proprement dite. Il réfléchit, maintenant que la famille noble était identifiée, il lui fallait trouver un ouvrage avec les portraits des familles. Il décida d’en parler au père Justin.
— Il te faut un ouvrage illustré par les portraits des membres des différentes familles. C’est très rare et à ma connaissance, nous n’en avons qu’un. Il faut espérer que tu y trouveras ce que tu cherches. La famille de Schattenfels dis-tu. Oui je crois que ça va aller, car ça prend en compte les familles qui n’existent plus.
Le religieux mena Biber dans une aile peu fréquentée de la bibliothèque. Les rayonnages poussiéreux semblaient à peine avoir été touchés depuis des décennies. Après un moment de réflexion, il pointa du doigt une étagère particulièrement haute.
— Là-haut.
Biber attrapa une échelle rustique, grinçante, mais solide. Il grimpa avec précaution, extirpa un volume imposant de sa niche, puis redescendit. Ils s’installèrent à une petite table, où la lampe à huile répandait une lumière vacillante, mais suffisante.
— Je l’ai consulté il y a longtemps et je n’en ai pas beaucoup de souvenirs, lui confia le père Justin.
Biber plaça sa pièce juste sous la lampe pour bien l’éclairer. Le prêtre tourna les pages pour s’arrêter sur un chapitre précis.
— Voilà, ça remonte à deux siècles et demi au moins. Alderic de Schattenfels fut adoubé par Clothaire III, roi des Alamans. Il reçut le grand fief des Hautes-Vosges. Le voici.
Le dessin que découvrit Biber était pour le moins assez grossier.
— L’histoire explique que, par alliances ou par la force, les Schattenfels ont agrandi leur fief pour englober le sud du massif, sans la ville de Dànn. Voilà une carte qui montre le royaume à la veille de la guerre des deux empires. Voici les portraits de Arthaud de Schattenfels et Astride, son épouse. Il est dit qu’ils ont eu trois enfants, deux fils et une fille, non représentés ici.
Biber examina sa pièce.
— Il y a un net air de famille, regardez.
Il posa la pièce sur la page.
— Oui, c’est vrai, admit le père Justin.
Le religieux tourna la page. Soudain Biber lui prit le bras. Il montra une figure.
— Là !
— C’est lui, oui, Ulrich de Schattenfels, le Baron Noir.
— Mais il est mort depuis plus de soixante ans, et cette pièce est quasiment neuve, ça se voit. Alors ? s’exclama Biber.
— Je ne sais pas Biber, c’est difficilement compréhensible. Il faut en parler au gouverneur. Tu as trouvé l’information, c’est déjà bien.
— Vous savez que l’on a retrouvé l’auteur de la tentative d’incendie mort ?
Le père Justin approuva de la tête.
— Oui, d’ailleurs à ce propos, nous n’avons pas encore eu le temps de parler de tout ça vraiment. Il semble qu’il y avait une jeune femme ce soir-là. Du moins avec toi, je ne parle pas de cette guerrière africaine à qui nous devons dire merci.
Biber hésita, déstabilisé.
— Oui, écoutez, les événements qui se sont déroulés ce soir-là sont compliqués. Tout est confus.
Le père Justin resta silencieux comme en attente de la suite. Biber préféra esquiver.
— Et c’est vrai, en tout cas, j’ai assisté au combat d’Aléma et Ancelin ; l’agresseur ne ressemblait pas à un homme. Je peux vous garantir qu’on pouvait le croire mi-bête. Et le cadavre retrouvé était par contre celui d’un homme normal. Je soupçonne un sortilège.
Le père Justin soupira.
— Je connais ton attrait pour toutes ces choses, la magie et les phénomènes étranges. Cela n’existe plus de nos jours, mais tu es entêté, ce qui n’est pas un défaut, note bien. Alors, viens, j’ai dans ma salle deux ouvrages pour toi. Je savais bien qu’un jour il faudrait te les donner.
Biber jubilait intérieurement, il suivit le père Justin jusqu’à une étagère de nouveau haut perchée, il fallait en déduire une nette volonté de dissimuler ces ouvrages. Le père Justin redescendit, se tourna vers Biber et lui remit deux lourds volumes avec un sourire. Biber le remercia et s’éclipsa rapidement pour éviter d’autres questions trop embarrassantes.

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