CHAPITRE XXI : accepter l’inacceptable (2)
Ah l’amour !
Lisette s’inquiétait. Benoit n’était pas venu à leur dernier rendez-vous et cela la troublait. Il semblait tellement attaché à elle que ce n’était pas normal. Il devait avoir eu un sérieux empêchement. Elle espérait que leurs rencontres n’avaient pas été découvertes et que Benoît se retrouvait en fâcheuse posture. Elle n’y tenait plus et s’était enfin décidée à venir prendre des nouvelles à la collégiale, d’autant plus que des nouvelles alarmantes couraient à propos d’une attaque qu’il y aurait eu. Elle se dirigea vers les cuisines, elle y connaissait quelques servantes. Elle trouva Anne, une jeune cuisinière.
— Bonjour Anne. Je venais aux renseignements au sujet de ce qui s’est passé l’autre nuit.
La jeune femme ne se fit pas prier et s’étendit dans un récit interminable. Lisette essayait, en l’interrompant de temps en temps, de la rediriger vers l’essentiel.
— Il y a eu des victimes ?
Anne s’arrêta net et prit sa respiration.
— Oui, Benoît.
Le nom claqua dans l’air, glacial. Lisette sentit le sol vaciller sous ses pieds.
— Quoi Benoit ?
— Il a reçu un coup sur le crâne et, pour le moment, il est dans une sorte de sommeil.
Lisette demanda la gorge serrée.
— Il est où ?
— À l’hospice, il est dans ..
Elle ne put finir sa phrase. Elle courait déjà, le cœur en étau, les jambes vacillantes. À l’hospice, une infirmière s’affairait près des lits. Lisette l’interpella aussitôt, c’était Lisa.
— J’ai entendu dire que le père Benoît était blessé, je le connais un peu, alors j’aimerais le voir, si c’est possible.
Elle s’efforçait au mieux de cacher son émotion.
— Pour le moment, il ne réagit pas beaucoup. Je t’y amène.
Elle la suivit jusqu’au fond de la grande salle. Elles s’arrêtèrent devant un immense baldaquin que la soignante ouvrit. Lisette recula d’un pas, frappée de plein fouet par ce qu’elle vit. Le visage de Benoît, habituellement si lumineux, était devenu cireux. Ses traits semblaient pétrifiés dans une douleur muette. Ses bras reposaient le long de son corps, immobiles, tandis qu’un tic nerveux agitait sa mâchoire.
— Cela fait six jours maintenant que c’est arrivé. Nous espérons des progrès. Il bouge un peu et gémit par moment. Il ouvre les yeux, mais ne semble pas nous voir. On ne sait pas s’il nous entend.
Lisette sentit sa gorge se nouer. Elle prit doucement la main de Benoît. Ce contact brûlant, fragile, l’ébranla. Une larme roula sur sa joue, malgré ses efforts pour garder contenance. Et puis, Lisette ne put les retenir.
— Peut-être le connais-tu plus qu’un peu. Il est de ta famille ? demanda doucement Lisa, qui semblait comprendre.
Lisette fit non de la tête. N’y résistant pas, elle se mit à genou au pied du lit et déposa un baiser sur la main de Benoît. Elle se releva, les yeux embués de larmes.
— Tu l’as dans ton cœur, hein ?
Lisette baissa les yeux et rougit. Benoit, maintenant, laissait aller sa tête de droite à gauche et avait les yeux ouverts, le regard fixe. Lisette se pencha de nouveau vers lui. Sa bouche était déformée du côté droit et laissait filtrer un peu de salive.
— Benoît, c’est moi, lui dit-elle doucement.
Lisa fut surprise de le voir tourner son visage vers elle, sans savoir s’il regardait Lisette vraiment. Elle lui prit la main et reçut une réponse nette de Benoît qui lui serra les doigts.
— Oui, je suis là, je ne te laisse pas, dit-elle avec un sanglot.
À cet instant arriva la soignante supérieure.
— Alors, que dit notre Benoît ?
Puis elle remarqua Lisette avec des larmes et marqua son étonnement. Lisa réagit très vite.
— Lisette est une cousine éloignée de Benoît qui a appris les événements. Elle est venue le voir.
Lisette se releva vite, essuyant ses yeux.
— Oui, je suis disponible pour venir de temps en temps aider pour m’occuper de lui. Je suis le seul membre de sa famille ici.
La femme la regarda d’un air soupçonneux.
— Jamais entendu parler que Benoît avait une cousine. Bon c’est vrai que nous avons peu de contact avec les prêtres. De toute façon, on a besoin de bras, alors vous êtes la bienvenue et puis…
Elle se tourna vers le malade.
— Tout ce qui peut faire du bien à Benoît est appréciable…et… vous avez l’air de lui faire du bien, termina-t-elle après un regard appuyé.
Elle tourna les talons et s’éloigna. Lisette embrassa Lisa.
— Merci, merci. Quand puis-je venir ?
— Je ne sais pas comment tu es disponible. Deux fois par jour, il faut le faire manger. Il y a les soins, le changer et changer son lit, la toilette, bref, plein de choses à faire. C’est l’heure du repas, justement, alors si tu veux essayer.
— Oh oui !
Lisa alla chercher une assiette avec du gruau. Elle s’assit au coin du lit, remonta la tête de Benoit avec un oreiller et montra à Lisette comment faire.
— Tu vois c’est un peu compliqué, mais parles lui, ça semble le calmer.
Lisette murmura des mots doux, des souvenirs. Peu à peu, Benoît accepta les bouchées, comme si sa présence réveillait quelque chose en lui.
— Ah, l’amour… fit l’infirmière dans un soupir amusé.
Lisette porta un doigt tremblant à ses lèvres.
— Chut…
Elle était consciente du danger. Elle n’avait pas le droit de l’aimer. Mais en cet instant, tout ce qu’elle voyait, tout ce qu’elle sentait, c’était Benoît, son Benoît, entre la vie et la mort. Et elle ferait tout pour le ramener.
— Bon, plus tu seras là, mieux ce sera pour lui. J’en suis sûr.
— Je vais essayer de venir tous les jours, je vais me débrouiller.

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