CHAPITRE XXI : accepter l’inacceptable (5)

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La vie à Schwartzenthann

Héloïse, debout au milieu des vingt-cinq moniales assemblées, suivait le texte de la longue psalmodie entonnée par la mère supérieure avec une attention fervente. L'office des matines était son moment préféré. Se lever en pleine nuit, dans l'obscurité paisible du dortoir, traverser le cloître silencieux et froid, puis s'unir à la prière collective, tout cela lui procurait une sérénité qu'elle n'avait jamais connue auparavant. La nuit devenait alors un espace sacré, un pont entre le monde terrestre et l'éternité.

Une moniale, choisie pour la lecture, s'avança avec humilité vers le lutrin et commença à déclamer un passage de l'Évangile. La salle résonna doucement de sa voix claire, les mots sacrés s'élevèrent comme une incantation. Héloïse écoutait avec recueillement, le texte venant nourrir son âme déjà emplie d'une foi croissante. Cela faisait une heure que l'office avait commencé et, malgré la fatigue qui pesait encore sur son corps, elle sentait son esprit se vivifier.

Enfin vint le répons, ce moment si cher à Héloïse. Une sœur chanteresse, dotée d'un timbre d'une pureté cristalline, entonna les premières notes du chant. Sa voix semblait suspendue dans l'air, vibrante, presque surnaturelle. L'assemblée répondit en chœur, et la ferveur des voix mêlées transporta Héloïse. Elle ferma les yeux un instant, se laissant submerger par la plénitude de ce moment de grâce. C'était dans ces instants qu'elle se sentait entièrement à sa place, sa foi renforcée chaque jour par ces rites austères, mais exaltants.

Ce premier mois de postulat représentait pour Héloïse une période d'initiation intense. Ce temps de réflexion, imposé à toutes les nouvelles entrantes, avait pour but de les confronter à la réalité de la vie monastique avant qu'elles n'envisagent le noviciat. Mais Héloïse, déjà, ne doutait plus. Elle savait au fond d'elle-même que c'était ici, au couvent de Schwartzenthann, qu'elle devait consacrer sa vie.

Après les matines, une courte interruption permettait aux moniales de se reposer avant les Laudes, suivies de Tierce et de la messe. Une collation rapide, composée d'un bol de lait tiède et d'un morceau de pain dur, marquait ensuite le début de la matinée de labeur. Héloïse, qui n'avait jamais connu de telles tâches auparavant, peinait encore à trouver son rythme. Entre les travaux aux champs, le soin apporté au potager ou la tenue de l'intendance, chaque jour apportait son lot de défis physiques. Pourtant, dans cet effort, elle découvrait une nouvelle forme de paix. Les gestes répétitifs, l'absence de paroles imposées par le vœu de silence, tout cela lui permettait de vider son esprit pour mieux se concentrer sur Dieu. Chaque pelletée de terre, chaque brassée de foin devenait une offrande, un acte d'humilité qui, paradoxalement, l'élevait.

Le couvent de Schwartzenthann, adossé à une église imposante, témoignait de la ferveur récente du Comte palatin qui avait offert ce domaine à l'Église. Héloïse avait entendu murmurer que ce geste visait à contrebalancer les soupçons pesant sur son attachement à des cultes païens, notamment celui d'Yggra. Les bâtiments, d'une austérité toute cistercienne, étaient neufs, tout comme les terres généreuses de la vallée, qui avaient été défrichées des années auparavant. Les vignes, plantées sur les coteaux au débouché de la vallée, assuraient au couvent une prospérité discrète, mais suffisante.

Héloïse savait que, si elle prononçait un jour ses vœux définitifs, elle ne quitterait jamais ce domaine. Le couvent deviendrait son monde entier, et elle accepterait cette perspective avec une sérénité grandiose.

Les complies conclurent la journée. Héloïse retrouva sa cellule. Elle s’agenouilla devant le crucifix pour une longue prière personnelle. Puis elle se coucha, plongeant rapidement dans un sommeil où ses enfants et sa vie antérieure trouvaient de moins en moins leur place.

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