CHAPITRE XXII : L’indicible (1)
Ah l’amour !
Lorsque Lisette arriva près du lit de Benoit, elle vit le practice Paul de Laon lui manipuler les bras.
— Ah Lisette, son infirmière préférée. Eh bien, tu sais, aujourd’hui, les progrès se confirment. Il y a de la résistance quand on manipule le bras droit. Pour le gauche, par contre, rien encore.
— Et les jambes ?
— C’est beaucoup plus lent. Mais il bouge le corps. Doucement, mais là encore on sent des progrès.
Elle se pencha vers Benoit.
— Bonjour, Benoit, comment tu vas aujourd’hui ?
Ses yeux s’agitèrent et il effectuait des mouvements des lèvres, mais avec le seul résultat que de faire couler un filet de salive.
— J’ai bon espoir également pour la parole, mais ce sera le plus long. Bien ! il y a de l’espoir Lisette.
Il lui sourit. Tout le monde connaissait désormais leur histoire. Une aide-soignante avança.
— Bon, allez ! à la toilette.
Elle aida Lisette à porter Benoit sur une chaise équipée de quatre petites roues. C’était Salih qui avait eu cette idée de faire construire ce système ingénieux rien que pour déplacer Benoit sans trop d’efforts. Lisette s’occupait de sa toilette presque exclusivement. Elles le soulevèrent et déposèrent Benoît dans le bain chaud après lui avoir ôté sa chemise.
— Je te laisse, lui dit l’aide-soignante.
Elle contempla le pauvre corps courbé vers le côté droit. Ses muscles avaient fondu. Elle s’était bien rendu compte qu’il était devenu léger à porter. Le visage de Benoît portait les stigmates du drame ; une paupière gauche tombante et un coin de lèvres figé dans un rictus involontaire. Mais son regard, lui, brillait d'une vie intacte, un regard rivé à chaque mouvement de Lisette, chargée d'une affection muette. Même s’il ne pouvait pas lui répondre, Lisette lui racontait des tas d’histoires qu'elle glanait en ville. Elle lui faisait des clins d’œil et s’efforçait de rire le plus possible. Elle pouvait deviner la joie de Benoit dans ses yeux. Elle frotta doucement une serviette mouillée sur les jambes, remonta le long du corps et s’aperçut, à sa grande surprise, que Benoit affichait un début d’érection.
— Ah, mais c’est nouveau ça !
Elle le regarda en riant, puis elle essuya doucement son front avant de poser sa joue contre la sienne.
Benoît fit un léger mouvement de tête, ses lèvres agitées d’un effort silencieux.
— Oui, dis-moi, mon Benoît. Parle-moi.
Il semblait vouloir lui répondre, son visage tendu dans une lutte acharnée pour briser les chaînes de son silence. Et puis, soudain, il parvint à murmurer, d’une voix brisée, mais audible.
— Ai…me.
Lisette sentit son cœur s’arrêter. Elle fixa ses lèvres, cherchant à comprendre si elle avait rêvé.
— Benoît ! Tu…
Il répéta, plus faiblement cette fois, mais avec une clarté bouleversante.
— Aime… toi…
Les larmes lui échappèrent, roulant sur ses joues alors qu’elle se penchait pour l’embrasser doucement.
— Je t’aime aussi, mon amour, murmura-t-elle, sa voix tremblante d’émotion.
Elle posa son front contre le sien, laissant le silence reprendre ses droits, mais ce silence était différent. Chargé de promesses et d’un amour qu’elle n’avait pas voulu reconnaître jusqu’alors.
Et en cet instant précis, malgré ses muscles affaiblis et son corps prisonnier, Benoît lui parut plus vivant que jamais

Annotations
Versions