CHAPITRE XXIV : Un mariage dans la douleur (3)
Liés ainsi tous les deux, le Wispergard les invita à le suivre vers les points cardinaux du cercle et, face à chaque élément, il fit une brève incantation. Revenus au pied de l’arbre, il acheva la cérémonie en leur confirmant leur union. À ces derniers mots, les cris fusèrent et les deux familles se précipitèrent vers le couple avec de grands sacs de jute. Ils formèrent un cercle autour des jeunes gens et les dissimulèrent avec les sacs. À l’abri des regards, Thibaut et Flore échangèrent un long et langoureux baiser. Thibaut pressait le corps de Flore contre le sien.
— J’ai envie de toi, lui dit-il.
— Moi aussi.
Mais déjà le cercle se desserrait. Les festivités pouvaient commencer. Le grand feu chauffait les repas depuis un moment. Au menu, ragoût de moutons avec divers légumes, fruits séchés et, bien entendu, de la vraie et bonne bière à volonté. Les jeunes époux devaient servir leurs invités et, même si l’attente devenait brûlante pour eux deux, ils se pliaient à la tradition et devaient patienter encore pour se retrouver en intimité. La famille de Flore laissait sa cabane libre pour les deux époux, ils étaient hébergés ailleurs. Ancelin et ses trois acolytes étaient conviés, bien entendus, mais il leur avait demandé de ne pas trop boire. Ils étaient là pour une mission précise et rien n’était plus difficile que de rester vigilant lors d’une fête comme celle-ci.
La soirée s’avançait dans la nuit. Pour certains c’était déjà l’éclipse sous l’effet de la bière. Lia fit un signe à Flore qui se pencha à l’oreille de Thibaut. Il afficha un grand sourire et ils se levèrent. Elle le prit par la main et l’entraîna vers leur abri pour cette nuit de noces. Ils se tenaient par la taille en riant. Ils rirent de plus belle en apercevant, devant eux, le Dodel qui avait bu plus que raison et qui essayait de marcher droit. Ils le rattrapèrent. Au moment où Flore voulut le soutenir, elle vit une ombre et un sursaut de Dodel qui tomba, dévoilant un homme avec une dague. Thibaut réagit immédiatement et poussa Flore en arrière qui cria. Il ramassa une longue bûche et fit face à un être étrange et inquiétant. Il comprit qu’il était face à un homme-chat. Son agresseur leva son arme, Thibaut mis la bûche en avant, elle se fendit, il se retrouva les mains nues, désarmé. Flore hurla. L’homme-chat leva son arme à nouveau, mais Thibaut vit surgir Ancelin qui para le coup de dague.
— Partez, ne restez pas là.
Thibaut prit Flore par la main pour l’entraîner, mais ils butèrent sur un deuxième agresseur. L’adversaire d’Ancelin eut un rictus de satisfaction. Ancelin entendit Thibaut crier et ragea de ne pouvoir aller à leur secours. Il distingua du coin de l'œil, l'arrivée de ses trois partenaires.
— Va-t’en, sauve-toi, cria Thibaut à Flore.
Ce coup-ci, il avait réussi à prendre une solide pelle qu’il dressa entre lui et son assaillant. Il sentit que Flore restait, elle ne pouvait pas le quitter. La créature se tourna vers elle. Thibaut en profita pour lui assener un coup violent avec son arme improvisée. Son adversaire se retourna, la peur qu’il ressentait pour Flore le mit en rage, il bondit sur lui en dressant sa pelle que l'homme-chat n'eut aucun mal à détourner. Flore cria. Mais Thibaut n'eut qu’à peine le temps de voir une silhouette se jeter sur l’homme-chat.de toutes ses forces, c’était Herber, un des trois gardes. Les coups furent terribles. Un deuxième combattant, Amaury, le rejoignit et très vite Ancelin et le quatrième homme. La créature s’évanouit.
Un silence sinistre s’installa vite couvert par la rumeur de tout le monde qui accourait.
— Ça va ? demanda Ancelin.
Thibaut, qui ne pouvait pas encore parler, fit signe que oui, il reçut Flore dans ses bras.
— Chapeau, vraiment courageux, lui dit-il. L’autre est mort, on l’a eu. Celui-là s’est sauvé, dommage !
Thibaut dut soutenir Flore qui frissonnait. Puis ils pensèrent au Dodel et se précipitèrent. Toute la communauté commençait à faire cercle. Flore et Thibaut se penchèrent sur le corps.
— Par la lumière blanche, il est mort, dit Thibaut.
Un hurlement déchira la nuit, sa mère se précipita sur lui. Flore la soutint.
— Emmenez-les chez eux, dit Steinmann.
Il se tourna vers Ancelin.
— Nous allons prendre des torches et faire le tour du camp.
— Herber et Amaury, vous accompagnent c’est dangereux. Moi, je reste avec Alban.
Il se tourna vers Flore et Thibaut.
— Où deviez-vous dormir ?
— Dans la cabane des parents de Flore, répondit Thibaut d’une voix ferme.
Ancelin fut impressionné par son sang-froid.
— Nous ne pouvons pas vous laisser seuls, dit Lia.
— Exactement, rajouta Ancelin, et moi, je passe la nuit devant. En me remémorant le déroulé de l’agression, je constate que c’est toi, Thibaut qui était visé. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est à partir du moment où tu t’es trouvé hors d’atteinte que ton agresseur s’est évanoui. La mort de votre pauvre ami n’était pas voulue. Il s’est seulement retrouvé placé entre l’homme-chat et toi au mauvais moment. C’est lui qui a pris le coup qui t’était destiné.
Thibaut murmurait comme pour lui-même.
— Moi, mais pourquoi ? ça n’a aucun sens.
— Thalia l’a dit, souffla Flore.
Tous les regards se tournèrent vers la vieille. Elle se tenait droite, l’air hagard.
— Oui, mon garçon, j’avais senti depuis longtemps cette menace sur toi, mais je ne peux hélas toujours pas savoir pourquoi, mais ce dont je suis sûr c’est que ces créatures sont directement issues des ténèbres, criait-elle, maintenant. Elles sont l’œuvre de la sorcière noire. Oui, des temps sombres sont à venir.
Elle s’adressait à toute la communauté.
— Que sais-tu sur tout ça ? lui demanda Ancelin. C’est vrai qu’à la bibliothèque de Dànn, avec un jeune laïque, nous avons trouvé des textes anciens sur des sortilèges et ils parlent également de la sorcière noire. Il faudra que nous parlions de tout ça à Dànn si tu le veux bien. Mais, pour le moment il faut s’organiser pour la nuit.
Hans Steinmann leva la main.
— Oui, demain, debout à l’aube. Il faudra enterrer le Dodel et ensuite nous partirons, la fête est finie.
— Je suis désolé que notre mariage se termine comme cela ma douce, dit Thibaut, qui essayait de réconforter Flore.
Son regard triste lui fit mal, ils se serrèrent et se dirigèrent vers leur abri. La nuit de noces était bien gâchée et Thibaut savait qu’il allait surtout devoir la réconforter.
Le reste de la nuit se déroula dans un demi-sommeil pour beaucoup de personnes. La peur, encore présente, flottait comme une brume silencieuse sur le campement. Le crépitement des torches et le murmure des gardes veillant jusqu'à l'aube témoignaient de la tension latente. Certains enfants, blottis contre leurs mères, pleuraient doucement, troublés par les événements de la veille.

Annotations
Versions