CHAPITRE XXIV : Un mariage dans la douleur (4)
L'activité reprit tôt le lendemain. Le Wispergard était resté avec eux pour accomplir l'inhumation du Dodel. Il prit le temps de rassembler la communauté autour du corps recouvert d'un linceul simple. Un cercle se forma, un lien vivant de mains jointes, symbole de solidarité face à la perte.
La cérémonie fut empreinte d’une gravité poignante. Le Wispergard éleva un bras noueux vers le ciel, sa voix basse, mais claire perçant le silence d’une incantation en langue ancienne.
Les mots résonnèrent avec un écho presque palpable, comme si la forêt elle-même écoutait. Un silence lourd suivit, puis chacun s’agenouilla, saisissant une poignée de terre pour la déposer sur le corps. La poussière retomba avec un bruit sourd, scellant le départ définitif de leur ami.
Le Dodel reposa, conformément au rite, nu à même la terre, sous la canopée protectrice des arbres. Flore resta longuement à contempler le monticule, ses doigts tremblants serrant ceux de Thibaut.
— Il méritait mieux que cela, murmura-t-elle.
Thibaut posa une main apaisante sur son épaule, sentant le poids de sa propre douleur se mêler à celle de son épouse.
— Nous lui devons la vie. Nous ne l’oublierons pas.
Les préparatifs du départ se firent dans une atmosphère morne. Le bruit des outils, le claquement des sangles, et le martèlement des sabots emplirent l’air. On finit de charger les mules et les charrettes des richesses modestes, mais essentielles pour la survie à Dànn. Les maigres affaires des familles furent entassées avec soin.
Quand le convoi s’ébranla enfin sur la piste de terre battue, le grincement des roues se mêla aux bruits sourds des sabots des mules. Les visages étaient marqués de fatigue et de tristesse, mais une détermination muette imprégnait chaque mouvement. Flore, à l'avant du cortège, jeta un dernier regard par-dessus son épaule, le cœur alourdi par l'incertitude.
Le camp, qui avait été un refuge, une enclave de vie, disparaissait peu à peu derrière les arbres. La fumée des derniers feux s’élevait encore en minces volutes, fantômes d'une chaleur éteinte. Chaque pierre, chaque ombre familière semblait murmurer des adieux. Un silence pesant, chargé de doute, enveloppait ceux qui partaient.
D’autres visages se tournèrent aussi, des enfants aux yeux larges, des hommes et des femmes au regard grave. Ce n’était pas seulement le camp qu’ils quittaient, mais une part d’eux-mêmes. Qui savait s’ils ne pourraient jamais y revenir ? Le doute était un fardeau aussi lourd que leurs sacs chargés de charbon de bois.
Thibaut sentit la main de Flore trembler dans la sienne. Sans un mot, il la serra plus fort, un serment silencieux de rester à ses côtés malgré les ténèbres à venir.
Le vent, léger, mais froid, souffla entre les troncs, les feuilles bruissèrent dans un soupir d'adieu.

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