CHAPITRE XXV : Un bref instant de bonheur (3)

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La vie continue

Dànn se recroquevillait sous la fraîcheur mordante du petit matin. La ville, saturée par les mesures de sécurité imposées par le gouverneur, n’avait jamais hébergé autant de monde à cette saison. Un froid sec figeait les fumées épaisses de centaines de foyers à quelques mètres au-dessus des toits, créant une chape grisâtre qui semblait étouffer la lumière. L’atmosphère pesante n’était pas seulement due à la grisaille de cette journée d’automne ; la nouvelle du massacre au monastère de Schwartzenthann se propageait tel un poison lent, instillant dans les cœurs une inquiétude insidieuse, corrosive.

Malgré l’heure précoce, les jumelles, accompagnées d’Aléma, arpentaient déjà la grand-rue. Aude et Aléma, toutes à leurs conversations, ne remarquèrent pas tout de suite que Viviane ne les suivait plus. Et puis Aude se retourna et vit sa sœur face à l’étal du drapier Heyer.

— Aussi sûr que la lumière attire les papillons de nuit, tu vois, un peu de rouge et la voilà accrochée. Commenta Aude avec un petit rire sarcastique. Bon, allons voir.

Viviane était déjà en grande discussion avec Garin Heyer et semblait hypnotisée par l’étoffe écarlate qu’elle avait en main, la caressant, la soupesant plus que nécessaire. Aude fit un clin d’œil à Aléma.

— Alors, comme ça, tu vas faire des infidélités à Marianne ?

Viviane se retourna comme prise en faute.

— Non, mais regarde cette qualité et cette couleur.

— Tout à fait damoiselle, reprit Garin, ces étoffes sont demandées par les plus nobles familles de la région. Et ce n’est que le début, je pense les vendre encore bien plus loin, dans les foires du pays de Bade. Ce rouge carmin vous va terriblement bien au teint.

Viviane la posa sur sa poitrine et se retourna vers sa sœur.

— C’est vrai, regarde !

— Oh moi ! tu sais…

— C’est vrai, renchérit Aléma.

Aude, surprise, se retourna et lui adressa un regard interrogateur.

— Mais moi aussi, avant, je mettais les plus belles parures. J’ai pas toujours été habillée en soldat.

— C’est vrai que l’on t’a toujours connue ainsi, constata Aude.

— Vient ici Aléma, dit Viviane qui, visiblement, venait d’avoir une idée.

— Monsieur, pour elle, que verriez-vous ?

Garin Heyer se retrouva embarrassé, il n’avait jamais eu à satisfaire une cliente à la peau noire. Sa femme, occupée juste à côté, se retourna. Elle regarda Aléma et s’avança.

— Tenez pour votre belle peau foncée, je proposerais ce bleu intense rehaussé d’or, comme ceci avec les bordures beiges. Regardez.

Elle disposait l’étoffe sur Aléma. Le résultat était effectivement magnifique. Aude en perdit la parole et Viviane reculait pour mieux admirer. Aléma se sentait de plus en plus mal à l’aise.

— Allez ! dit Viviane. Nous allons faire une robe avec ça, Dame Heyer, pouvez-vous vous en occuper ?

— Non, non ! réagit Aléma, ça me gêne.

Viviane lui saisit le poignet.

— Je comprends, mais tu mérites cette robe. Ce serait un plaisir pour nous, n’est-ce pas, Aude ? Et tu auras besoin d’une belle tenue pour les réceptions. Allez, accepte.

Aléma, désemparée, chercha le soutien d’Aude. Cette dernière oscillait entre perplexité et curiosité. Elle afficha un grand sourire.

— C’est vrai, j’aimerais bien te voir là-dedans, lui dit-elle, l’air moqueur.

La résistance d’Aléma s’étiola. Elle suivit Adélaïde Heyer dans l’atelier pour prendre les mesures, le cœur encore lourd, mais l’ombre d’un sourire aux lèvres.

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