CHAPITRE XXV : Un bref instant de bonheur (4)
Le réconfort
Thibaut se réveilla en sursaut, les pensées encore embrouillées par un sommeil trop court. La lumière pâle du matin filtrait à travers les volets mal fermés. Il se redressa, réalisant avec un soupir que la matinée devait déjà être bien avancée. À ses côtés, Flore dormait encore profondément, les traits détendus, mais marqués par la fatigue des jours passés.
Il resta un instant immobile, à contempler son visage. Le chagrin et les épreuves s’étaient imprimés sur eux, et il se sentit soudain accablé par le poids des souvenirs récents. Une tendresse douloureuse l’envahit. Il se pencha pour effleurer sa joue d’un baiser léger avant de se lever doucement, veillant à ne pas troubler son sommeil.
Une fois vêtu, il descendit à la boutique où Marianne rangeait des rouleaux de tissu le long d’une étagère.
— Ah, Thibaut ! Alors, cette nuit ? demanda-t-elle avec un sourire malicieux.
Il haussa les épaules, un sourire triste au coin des lèvres.
— Comme moi, elle était épuisée… Elle dort encore.
Marianne le considéra un instant, puis posa la main sur son bras avec douceur.
— Je comprends. Vous avez vécu bien trop de tourments pour un début d’union. J’en suis désolée, vraiment…
Des bruits de pas légers résonnèrent à l’étage.
— Eh bien, la voilà qui se lève ! dit-elle en relevant la tête. Montons, je n’ai rien mangé de toute façon.
Ils se retrouvèrent tous trois autour d’une table simple, réchauffant leurs mains autour de tasses de terre cuite pleines de tisane fumante. Le gruau de blé, adouci d’un filet de miel, et le pain noir leur apportèrent un repas copieux qu’ils partagèrent en silence.
Marianne les observa longuement, le regard passant de l’un à l’autre. Leurs visages portaient une lassitude presque palpable, et elle sentit une bouffée d’affection mêlée de tristesse. Avec un claquement vif des mains, elle les fit sursauter.
— Bon ! déclara-t-elle d’un ton ferme. Un lendemain de noces ne peut pas ressembler à ça !
Flore releva un sourcil, surprise par l’éclat soudain de leur hôtesse.
— Ce matin, vous allez aux bains. Oui, oui, ne discutez pas. Vous demanderez Myrtille à l’entrée, et vous lui direz que c’est moi qui vous envoie, je vais lui faire un petit message que vous lui donnerez. Elle vous chouchoutera comme princesse et prince.
Thibaut ouvrit la bouche pour protester, mais Marianne leva un doigt impérieux.
— Pas d’excuse. Vous avez besoin de vous ressourcer, de retrouver le goût des belles choses. Croyez-moi, cela vous fera un bien fou. Reposez votre esprit, délassez votre corps… Et puis, Myrtille vous aidera à vous retrouver en intimité, ajouta-t-elle avec un clin d’œil complice.
Flore échangea un regard avec Thibaut. Un éclat presque imperceptible dansait au fond de ses yeux sombres. Une ombre de sourire naquit sur ses lèvres.
— D’accord, souffla-t-elle.
Thibaut, malgré la morosité accrochée à son cœur, sentit une vague d’apaisement le gagner. Juste pour un instant, le poids des malheurs semblait moins lourd.
Elle se leva, faisant comprendre que sa proposition n’était pas négociable.
— Et cet après-midi, on se met au travail !
Les deux amoureux échangèrent un regard complice, et un sourire timide se dessina sur leurs lèvres. Flore haussant les épaules, se leva d’un mouvement souple. Ils quittèrent la pièce, à peine la porte franchie, ils sentirent immédiatement la morsure du froid du matin. Sans un mot, ils se pressèrent l’un contre l’autre sous leurs capes de laine, se hâtant vers l’établissement au bord de la rivière.
La chaleur les enveloppa dès qu’ils franchirent la porte du hall d’accueil. Un instant, ils se figèrent, un peu perdus dans cet endroit qui leur était inconnu. Une jeune fille, observant leur hésitation, s’approcha d’eux avec un sourire bienveillant.
— Je peux vous aider.
— Oui, heu, on cherche Myrtille de la part de Marianne, dit Thibaut.
— C’est moi, dit-elle avec un sourire. Alors, dites-moi ?
— Nous venons de nous marier et Marianne nous a dit qu’il fallait que vous vous occupiez de nous, compléta Flore qui s’était enhardie et pour qui cette situation commençait à être excitante.
Elle tendit le petit mot de Marianne à la jeune fille, qui le parcourut rapidement avant d’afficher un sourire radieux.
— Je vois, je suppose que vous ne connaissez pas. Non, bien sûr. Alors voilà, je vais vous donner à chacun une grande serviette avec ce numéro. Vous allez au vestiaire où il y a des casiers numérotés. Vous vous déshabillez et laissez vos affaires dans le même casier. Mais si vous voulez, on peut laver vos vêtements pendant que vous êtes dans les bains. Avec les chauffages, tout sera sec d’ici que vous ayez fini. Venez, je vous accompagne, ce sera plus simple.
Flore n’hésita pas une seconde et la suivit d’un pas décidé, tandis que Thibaut traînait un peu, serrant sa serviette dans ses mains, visiblement un peu mal à l’aise. Ils entrèrent dans le vestiaire, où un couple passait, nu, en direction des bains. Myrtille leur désigna un casier.
— Voilà c’est celui-ci. Je vais prendre vos affaires, elles seront là quand vous reviendrez.
Comme elle ne bougeait pas, ils comprirent qu’ils devaient déjà se déshabiller et une fois de plus, ce fut Flore qui s’exécuta sans trop de gêne. Il n’en allait pas de même avec Thibaut, qui restait immobile. Flore enroulée dans sa serviette le regarda, un sourire au coin des lèvres.
— Allez, je te croyais plus audacieux, murmura-t-elle. Tout le monde fait pareil.
— Je me retourne, dit Myrtille avec un grand sourire.
Il enleva doucement ses vêtements et noua sa serviette autour des reins.
— Eh bien voilà !
— Bien, vous allez voir le grand bain, reprit Myrtille. Vous allez adorer. C’est la première étape, vous allez voir. L’eau est chaude et relaxante, avec un léger parfum soufré, qui vient des profondeurs de la Terre. Ensuite, vous pouvez vous laver, mais je vous montrerai. Voilà ! finit-elle en leur indiquant le passage vers la grande salle.
Flore passa en premier, Thibaut se laissa entraîner. Ils n’eurent aucun mal à trouver le grand bassin qui occupait tout le centre. Des vapeurs à l’odeur surprenante s’élevaient doucement. Une dizaine de personnes se relaxaient en silence. Flore fit tomber sa serviette et se glissa dans l’eau tout de suite.
— Hou c’est très chaud, allez viens !
Thibaut hésitait encore, mais comprit que, de toute façon, il n’avait plus le choix et comprit aussi, que tout le monde était indifférent à ce qui se passait autour d’eux. Il rejoignit Flore. Une marche qui courait tout le long permettait de rester assis tout en ayant de l’eau jusqu’au cou.
— Alors ? on est bien là, hein, Marianne avait raison.
— Oui c’est vrai, admit Thibaut, qui commençait enfin à se détendre.
Il se laissèrent bercer par les légers murmures de la salle. La chaleur de l’eau semblait dissiper les tensions, effaçant peu à peu les préoccupations qui les assiégeaient depuis tant de jours. Ils échangèrent des regards pleins de promesses. En face d’eux, un couple semblait vouloir également retrouver un moment d’intimité.
Flore se tourna vers Thibaut, un sourire fragile sur les lèvres. Ce moment semblait suspendu dans le temps, un espace où ils pouvaient enfin se retrouver, loin des turbulences extérieures. Thibaut la regardait avec une douceur nouvelle, presque timide, comme s'il n'osait pas briser l’instant.
Les gestes de Thibaut étaient lents, mesurés. Sa main effleura doucement la peau de Flore. Un frisson parcourut son corps sous le contact, mais ce n'était pas du simple plaisir, c’était quelque chose de plus profond, un mélange de tendresse et de désir naissant. Aucun des deux n’avait jamais expérimenté cela auparavant, et chaque caresse, chaque frôlement de leurs peaux nues, était une découverte, un monde nouveau qui s’offrait à eux.
Alors, lentement, comme si chaque geste était un apprentissage, Thibaut la toucha avec plus d’assurance. Il la guida doucement vers lui, se penchant pour l’embrasser. Leurs lèvres se rencontrèrent, d’abord avec douceur, puis avec plus de ferveur. Flore répondit avec une passion retenue depuis trop longtemps. Elle se glissa contre lui, son corps cherchant le sien, et il n’y avait plus de distance entre eux. Elle sentit son désir s’éveiller comme un raz de marée incontrôlable. Les gestes de Thibaut devinrent plus insistants, ses mains parcourant son corps avec une délicatesse qui le rendait encore plus sensible à chaque caresse.
Puis, dans cette chaleur, dans cette immersion complète, il la pénétra doucement, avec précaution. Aucun d’eux n’avait jamais vécu cela, et le moment, empli d’un mélange d'excitation et de timidité, fut vécu comme une exploration délicate, presque magique. Ils restèrent un instant ainsi, se regardant dans les yeux, comme pour s'assurer que tout allait bien. Flore, dans un souffle, lui murmura doucement : « Tout va bien, viens. » Ses mots furent comme un appel, une invitation à l'abandon.
Les mouvements de Thibaut étaient d'abord lents, hésitants, comme s'il ne voulait pas précipiter la fin de ce moment fragile. Mais peu à peu, il sentit sa propre excitation croître, et leurs corps se mirent à se mouvoir ensemble dans un rythme plus naturel. Un instant de pure sensation, comme si le monde autour d’eux s’effaçait complètement. Thibaut, tout en étant concentré sur elle, se retrouva emporté dans un tourbillon de plaisir, et, dans un souffle court, il atteignit l’extase, laissant échapper un gémissement discret. Flore, bien que laissée un instant en suspens, n’éprouva aucune frustration. Elle l’embrassa tendrement, savourant ce qu’il lui avait donné, et leurs corps se retrouvèrent pour un ultime contact, l’un contre l’autre, dans une respiration partagée.
Ils se détendirent et se placèrent de nouveau l’un contre l’autre. La femme du couple en face hocha la tête et leur adressa un sourire.
Après un moment de silence, Flore sourit. Elle se tourna doucement vers Thibaut. — C’était... bien, n'est-ce pas ? demanda-t-elle d'une voix douce, encore tremblante.
La chaleur du bain continuait de les envelopper. L’instant semblait suspendu, comme si rien ne pouvait troubler cette paix retrouvée entre eux. Thibaut, enfin détendu, caressa doucement le visage de Flore, un sourire paisible sur les lèvres.
Myrtille, fidèle à son rôle, arriva derrière eux et les appela doucement. Elle les guida alors vers un espace privé, discret. Là, Flore et Thibaut eurent l’occasion de se reposer, de se retrouver, comme un couple qui redécouvre le monde après une tempête.
Myrtille les laissa dans l’alcôve, un espace intime et calme, presque secret ; la petite pièce en pierres brutes leur offrait le confort minimum. Une paillasse au sol, deux lanternes et un petit meuble avec des flacons d’huiles parfumées. Ils restèrent un instant à regarder. Pour eux c’était le plus bel endroit du monde.
Flore s’allongea sur le ventre. Thibaut resta encore un instant à contempler son superbe corps. Puis, il ouvrit un flacon à l’odeur d’amende, se versa de l’huile au creux de la main, s’agenouilla et enduisit lentement le corps de Flore. Elle gémit de plaisir, puis se retourna. Il avança doucement au-dessus d’elle et posa sa joue contre son sein, il fut de nouveau submergé par l’émotion que lui procurait ce contact avec cette peau si douce, si rassurante.
Leurs mains se retrouvèrent, s’entrelacèrent, et ce simple contact résonna comme une promesse silencieuse. Leurs souffles se mélangèrent, paisibles, et la complicité de leurs gestes muets en disait long sur ce qu’ils vivaient ensemble. Tout, autour d’eux, semblait se dissiper, comme si le monde entier s’était retiré, ne laissant place qu’à cette alcôve, hors du temps.
Thibaut effleura délicatement son visage, la détaillant avec émerveillement, ébloui par sa beauté et cette nouvelle intimité qu’ils découvraient. Flore, sentant son regard sur elle, sourit et se redressa légèrement, lui murmurant des mots qu’elle n’avait pas besoin de prononcer. Leur complicité devenait évidente, et sans un mot de plus, ils se retrouvèrent dans une nouvelle étreinte, plus calme, plus profonde, comme un prolongement naturel de ce qui venait de se passer.
Cette fois, il n’y avait plus de hâte ni d’urgence. Les gestes étaient lents, mesurés, chaque mouvement étant une exploration silencieuse de l’autre, une recherche de l’harmonie parfaite entre leurs corps et leurs désirs. Leurs baisers se succédaient, plus doux, plus longs, chaque caresse étant un échange silencieux de plaisir et d’émotion pure. Dans cette alcôve, il n’y avait que l’amour, et la plénitude qu’il apportait, enveloppant chaque geste, chaque souffle, chaque frisson d’un bonheur inaltérable.
Ils quittèrent l’alcôve, leurs corps encore imprégnés de la chaleur de l’eau et du doux souvenir de leur union. Après s’être encore lavés à l’eau claire et fraîche, ils regagnèrent le vestiaire. Myrtille les attendait. Ils retrouvèrent leurs vêtements, soigneusement pliés et nettoyés, et cette simple évidence qu’ils allaient se rhabiller, retrouver leur quotidien, leur donna une sensation étrange, comme si tout, en dehors de ce qu’ils avaient vécu, leur semblait soudainement distant. Flore se vêtit avec une douceur nouvelle, un regard brillant d’une satisfaction discrète, mais profonde. Thibaut, plus silencieux que d’ordinaire, la regardait avec une tendresse infinie, son cœur encore empli de la chaleur de leur moment partagé.
Le retour à la réalité était inévitable, mais il n’effleurait même pas leur esprit. Ils avancèrent ensemble dans la rue, laissant derrière eux les bains et la magie de cet instant, pour rejoindre Marianne. Pourtant, même dans ce simple trajet, ils étaient portés par une nouvelle énergie, une complicité nouvelle née de leur union, et, tout à coup, le monde semblait plus doux, plus clair.

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