CHAPITRE XXV : Un bref instant de bonheur (6)
Le bonheur de Garin.
Garin Heyer, épaulé par Adélaïde, s'affairait avec une énergie débordante à ranger les étoffes flamboyantes dans son atelier. Le jour tombait, mais son enthousiasme n'avait rien perdu de sa vigueur. Il classait les tissus par teintes, une lueur presque enfantine dans les yeux.
— Tu vois comme ces nouvelles étoffes attirent les riches ! s'exclama-t-il en caressant un pli de velours rouge. Elles viennent d'Ancône, des Marches dalmates. Ce rouge écarlate... Personne d'autre ne sait obtenir une teinte aussi éclatante. Et ce bleu profond regarde ! Et ce jaune d'or, comme un rayon de soleil capturé dans le fil !
Adélaïde effleura l'étoffe du bout des doigts, une lueur d'admiration mêlée d'un soupçon d'inquiétude dans le regard.
— Elles sont magnifiques, Garin, mais elles doivent coûter une fortune. Où as-tu trouvé l’argent pour un tel investissement ?
Il s'immobilisa un instant, comme si la question l'avait effleuré plus fort que prévu, mais reprit presque aussitôt, son sourire grand et sincère.
— Oh, je t'en avais parlé, non ? Un nouveau fournisseur… des arrangements avantageux… Oui, elles coûtent cher, mais elles ne se vendent qu'aux plus grandes maisons. Crois-moi, ils sont prêts à payer des fortunes pour cette qualité.
Il se remit à déplier les étoffes avec un enthousiasme fiévreux. Chaque geste semblait alléger un peu plus un fardeau invisible qui pesait sur ses épaules depuis trop longtemps. La disparition de maître Blenner l'avait libéré de sa dette comme un coup de grâce tombé du ciel. L'argent restait entre ses mains, et avec lui, un avenir qu'il n'avait jamais osé imaginer.
Adélaïde l'observait avec une curiosité amusée, mais ses sens aiguisés par des années de partage devinaient les ombres derrière l'éclat de ses yeux. Quelque chose lui échappait, une vérité tue. Pourtant, la chaleur du bonheur sincère de Garin la désarmait. Ses gestes étaient plus tendres ; il était plus attentionné et chaleureux qu'ils ne l'avaient été depuis bien longtemps.
Elle soupira et se laissa aller à ce moment de paix.
— Dès demain, je vais visiter quelques familles nobles, leur montrer ce que nous avons. Ah, il faudra sans doute engager deux nouvelles couturières. Peut-être même, agrandir l'atelier ou déménager. Imaginer, un espace plus grand, mieux situé…
— Doucement, doucement ! rit-elle en posant une main sur sa poitrine. Tu rêves tout haut. Vois d'abord comment ces étoffes se vendront. Chaque chose en son temps.
Elle le regardait avec cette expression qu’il aimait tant, faite de douceur, d’indulgence et d’un brin de moquerie. Il s'approcha d'elle, son cœur gonflé d'amour et de gratitude. Il lui saisit les mains et les porta à ses lèvres, le cœur battant d'espoir et d'amour.
— Tu as raison, mon amour. Mais je le sens, tout va changer. Nous avons devant nous un avenir radieux, toi et moi.
Et il l'embrassa, avec une tendresse et une passion renouvelée, prêt à tout pour protéger le bonheur fragile qu'il venait de retrouver.

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