CHAPITRE XXVI : Il vient (1)

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Le cavalier noir

Le cavalier était couleur de nuit, une nuit si profonde qu'elle absorbait la moindre lumière. Son cheval, tout aussi spectral, avançait avec un pas lourd et silencieux, comme si ses sabots frappaient un sol fait d'échos. Le givre sous ses pas se craquelait en motifs sombres.

Trois hommes à pied l'accompagnaient, ombres tremblantes au service d'une horreur qu'ils ne pouvaient nommer. Aucun n'osait s'approcher trop près du Baron Noir. Gunnar avait vu de ses propres yeux l'effroi que cet être incarnait. La première fois qu'il avait croisé son chemin, il avait senti son sang devenir glace et son souffle mourir dans sa gorge. Ce soir encore, il gardait sa peur enfouie, comme une lame à double tranchant logée contre son cœur.

Le vent de cette fin d’automne, chargé d'humidité et de feuilles mortes, semblait retenir son souffle lorsque le groupe atteignit le promontoire nord qui dominait Dànn. La ville s'étendait en contrebas, engourdie sous la lumière mourante du crépuscule. Les fumées des cheminées, figées dans le froid du soir, trahissaient l'illusion d'un lieu paisible. Mais le regard du Baron Noir voyait au-delà. Il perçait la brume, traversait les pierres des murailles, explorait chaque ruelle tordue et chaque porte verrouillée.

Il s'arrêta, immobile comme une statue funeste. Pas un son ne troubla le silence surnaturel qui l'entourait. Gunnar sentit un frisson courir sur son échine. C'était comme si le froid lui-même reculait devant cette entité.

La voix du Baron retentit alors, un grondement étouffé, résonnant de mille échos. Elle ne venait pas de sa bouche, mais semblait naître des profondeurs de la terre.

— Boulgour, vois-tu la porte nord ?

Le soldat frémit, serrant son arme contre lui.

— Oui, Monseigneur…

Un long silence suivit, pesant comme un linceul.

— Elle est pour toi.

La phrase tombait, irrévocable et glaciale.

Le spectre se tourna lentement. Sa tête était couverte d'un heaume et Gunnar imaginait, sous cette armure, un abîme vide où le souffle de la mort elle-même prenait forme. Il ne pouvait effacer de sa mémoire la vision de ces orbites vides remplies d’une lueur rouge terrifiante.

— Arné, vois-tu la porte ouest ?

— Oui, Monseigneur.

— Elle est pour toi.

Le dernier à recevoir ses ordres fut Gunnar. Il savait déjà ce qui l'attendait.

— Pour toi, Gunnar, ce sera la porte sud, la plus importante.

— Bien, Monseigneur.

Le cavalier resta encore immobile un instant, scrutant la ville comme un charognard évaluant une proie mourante. Chaque souffle de vent portait la promesse d'une fin inexorable. Gunnar sentit le poids même du mal peser sur lui.

Puis, comme un rêve qui s'efface ou un cauchemar dont on s'éveille trop tard, le Baron Noir tourna la bride sans un mot. Ses hommes s'évanouirent derrière lui, se fondant dans la nuit. Les ténèbres les avalèrent tout entiers. Pas un bruit, même pas un murmure. Seulement le silence… un silence plus terrible encore que la menace qu'il annonçait.

À la taverne du chat noir, la soirée s’éternisait dans une sorte de torpeur. Pas de joyeux drille ou d’hommes un peu ivres, comme si le temps n’était plus aux plaisirs. Ancelin dînait avec Lianor.

— Tu sais que je te trouve encore plus excitant dans ta tenue de garde du gouverneur, lui murmura-t-elle.

Il fit une moue avec un haussement d’épaules.

— T’es bien la seule, avec ça on me regarde différemment. Je m’étais pourtant juré de ne plus porter d’uniforme.

— Oui, mais moi je vois tout autre chose…

Elle fut interrompue par l’entrée un peu bruyante d’un homme hagard, le teint rougi par le froid et le souffle court. Il regarda autour de lui et à la vue d’Ancelin se dirigea vers lui.

— Ah Monseigneur, vous êtes de la garde, hein ? On m’a dit que je vous trouverai là.

Il le regarda d’abord étonné, puis intriguer, car cet homme transpirait la peur.

— Disons que oui, alors ?

Il s’assit. Ancelin jugea opportun de lui offrir un gobelet de bière.

— Voilà… commença-t-il en reprenant son souffle. J’étais au rocher Ebeneck, là juste au-dessus.

Il fit un geste du bras.

— J’avais posé… bon des pièges quoi. Et alors j’ai vu...

Il laissa sa phrase en suspens. Ancelin commença à s’agacer. Lui reversa une rasade de bière.

— Je ne saurais décrire, c’était… c’était démoniaque !

Le mot fit réagir Ancelin, qui concentra toute son attention sur le récit du personnage.

— Sur le rocher y’avait... y avait un cavalier, mais… l’était pas normal, ça non, pas normal… par la lumière blanche.

L’homme gardait les mains crispées sur son gobelet. Ancelin posa sa main sur son bras. Lianor demeurait en retrait, silencieuse, ne comprenant pas grand-chose à ce récit, mais inquiète de voir qu’Ancelin le prenait au sérieux.

— Calme-toi, prends ton temps.

L’homme inspira profondément.

— Ce cavalier, l’était noir, mais pas noir comme une couleur, non le noir qui se mélange à la nuit. On le voit pas vraiment, on le voit à travers.

Il roulait les yeux de tous côtés.

— On le voit à travers ? Mais à travers, comment ?

— J’sais pas… à travers. Comme un contour, vous voyez ?

Non ! Ancelin ne voyait pas vraiment, mais la peur de ce pauvre type était tellement réelle qu’il le croyait.

— Y avait des hommes avec lui.

De nouveau l’attention d’Ancelin fut ravivée.

— Des hommes… démoniaques aussi ?

— Non des hommes normaux, ils suivaient à pied.

— Combien ?

— J’sais pas. C’était trop sombre, pas beaucoup.

— Et après ?

— Sont partis aussi vite qui zétaient apparus, j’sais pas où.

Ancelin se passa la main sur le visage, inspira profondément.

— Bon ! écoute, nous devons aller voir. Demain je vais y aller avec un petit détachement et tu vas nous guider.

L’homme s’écria, totalement paniqué.

— Oh non, non, Monseigneur par pitié !

— Mais tu ne crains rien, nous serons armés.

L’homme le regarda avec des yeux terrorisés.

— Croyez-moi, Monseigneur, les armes ne peuvent rien contre une telle créature.

Il fut ébranlé par la terreur qui transpirait de ce pauvre gars. Il tira quelques pièces de sa bourse.

— Tiens voici de quoi faire un bon repas ce soir et, demain, je t’en redonne autant si tu es là au lever du soleil.

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