CHAPITRE XXVI : Il vient (2)

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La petite troupe avançait avec peine, la pente raide et le sol un peu glissant ne favorisaient pas la progression à cheval. Ancelin, avec Hugel, encadrait le pauvre guide improvisé qui ne pouvait dissimuler sa peur. Une douzaine d’hommes suivaient. La nuit avait redéposé une fine couche de givre. La fin de la marche fut particulièrement ardue, car ils évoluaient sur des rochers humides. Ils laissèrent les chevaux. Ils arrivèrent enfin au sommet. Ancelin fit signe d’arrêter. Il avança précautionneusement jusqu’au surplomb rocheux. Il n’y avait aucun doute, on distinguait facilement la trace d’un cheval, encadrée de pas. Il remonta la piste puis revint vers le surplomb. Hugel le rejoignit.

— Trois hommes et un cavalier, se contenta-t-il de dire.

— Ils sont venus jusqu’ici ?

— Oui, regardez, quel magnifique point de vue sur la ville.

Il désigna d’un large geste le panorama. Sous leurs pieds, la ville de Dànn s’étendait comme une miniature paisible, saisie par l’étreinte du froid.

— Une reconnaissance ? murmura Hugel.

Ancelin marqua un silence.

— Oui c’est évident.

Il se redressa, la main crispée sur la garde de son épée. Quelque chose, quelque part, les observait peut-être encore.

— Il vous a bien parlé de cavalier noir ? demanda Hugues à Ancelin.

— Oui ! un être irréel, du moins le décrit-il comme tel. Sa peur était impressionnante, il est évident qu’il a vu quelque chose de terrifiant.

Hugues reprit ses déambulations à travers la pièce.

— Lors de notre réunion à Ensigesheim, j’ai pu m’entretenir à part avec mon père et il m’a rapporté les propos d’un missionnaire qui affirme que les sauvageons du massif lui ont parlé d’un cavalier noir démoniaque, surnaturel. Il a suscité beaucoup de peur. Mon père m’affirme que ce missionnaire est tout à fait fiable quand il dit que ces gens ont réellement vu quelque chose de terrifiant.

— Tous ces faits se recoupent, reprit Ancelin.

Hugues s’arrêta face à la fenêtre, le regard perdu au-dehors.

— Il y a quelque chose oui, mais quoi ? On sent comme un étau autour de la ville, une présence oppressante. Les troupes du Margrave ne seront pas là tout de suite.

— L’hiver vient, peut-être aurons-nous un répit.

Hugues rejoignit Ancelin qu’il regarda droit dans les yeux. Pour la première fois, Ancelin vit une faille dans ce jeune homme qui faisait énormément d’efforts pour tenir son rang.

— Il ne faut pas que cela s’ébruite, le pire serait un vent de panique sur Dànn. Je vais prendre des dispositions avec la capitaine Hugel pour renforcer les patrouilles en ville. J’aimerais que, discrètement, vous fassiez, de temps en temps, des inspections à l’extérieur.

Après son entretien avec Hugues, Ancelin ressentit le besoin d’aller parler à Biber. C’était vraiment la seule personne qui pouvait faire progresser la réflexion. Et il n’oubliait pas les propos de la vieille lors du mariage de Flore et Thibaut, chez les charbonniers. Une fois franchi le porche, on lui dit de suivre le père Lieber qui allait le conduire à la bibliothèque.

Biber l’accueillit avec un grand sourire. Une réelle amitié les liait désormais. Ancelin lui rapporta tous les éléments nouveaux qu’il connaissait, y compris les propos de Thalia.

— J’ai pensé que nous pourrions aller la voir si nécessaire. Le plus gros de leur communauté est en ville maintenant.

Biber resta silencieux en pleine perplexité. Il fit un signe à Ancelin et disparut dans les rayonnages. Il revint avec un livre qu’il ouvrit sur la table de lecture.

— C’est le livre que nous avions consulté la dernière fois au sujet des hommes-chat. Je voudrais reprendre le chapitre.

Il se perdit dans les pages, en silence. Ancelin ne pouvait que prendre son mal en patience. Au bout de dix longues minutes, il se releva avec un soupir de déception.

— Non, je ne vois rien pour expliquer une telle observation. En fait toute cette histoire me rappelle plutôt les évocations de spectres qui circulent encore dans les campagnes, et justement ces communautés, comme les charbonniers, gardent encore ces histoires très vivantes. Parce que, malgré tout, nous avons des récits qui se rejoignent. Les personnes qui disent avoir vu cette créature décrivent la même chose, un être impalpable qui ne semble pas constitué de matière. Du moins pas en chair et en os, c’est sûr. Un revenant quoi !

Ancelin eut une fulgurance.

— Un revenant qui vient du col de Blusang ! Le Baron Ulrich von Schattenfels ?

Biber le regardait, bouche ouverte, les yeux écarquillés. Il baissa le regard.

— Mon Dieu, oui, cela expliquerait tout !

— Il ne faut pas oublier les deux pièces. Elles aussi nous ramènent à lui.

— Mon Dieu, répéta Biber.

Il se ressaisit, la curiosité reprit le dessus.

— Mais dans ce cas, si l’on admet une résurrection du Baron Noir…

Il s’interrompit avec un gros soupir.

— Oui, bon admettons. Comment ? Là on parle de ressusciter un mort, c’est une magie auquel personne ne croit, tu comprends bien. On ne peut pas aller le crier sur tous les toits !

— De toute façon, on ne nous croit déjà pas beaucoup, vu l’entretien de Ensigesheim. Alors un peu plus, un peu moins !

— Il faut une, une… « personne » aux pouvoirs démesurés pour faire revenir quelqu’un à la vie. Cela nous ramène encore à cette fameuse sorcière noire.

— Et là, une fois de plus, tout se recoupe. Oui, décidément, je crois que nous approchons très près de la vérité.

— Une alliance entre la sorcière noire et le Baron Noir ? Mais dans quel but ?

Ancelin le regarda avec une légère pitié. Visiblement, Biber ne connaissait pas encore toute la noirceur de l’âme humaine.

— La haine. La vengeance. Ce sont les moteurs les plus puissants et les plus destructeurs qui puissent exister. Crois-moi, Biber, ces raisons suffisent à brûler des royaumes entiers.

Un silence pesant s’installa. Biber semblait mesurer le poids de cette noirceur. Il expira lentement, comme si un fardeau invisible s’abattait sur ses épaules. Il soupira bruyamment.

— Eh bien, je crois que oui, il faut que nous voyions cette vieille chamane des charbonniers, qu’elle nous confirme notre hypothèse.

Il ferma les yeux.

— Et dans ce cas, que Dieu nous protège.

— J’en doute, murmura Ancelin.

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