CHAPITRE XXVII : Un long hiver (3)
Un conseil tendu
La tension dans la salle du conseil était presque tangible, pesante comme la neige qui s’accumulait sur les toits de la ville. Chacun percevait la gravité de la situation. Les événements s’étaient précipités, et les échéances s’accumulaient.
Hugues de Dabo, debout derrière son siège, prenait quelques secondes pour rassembler ses pensées. Il inspira profondément, jeta un regard circulaire sur les visages tendus autour de la grande table, puis il inspira profondément.
— Messieurs, j’ouvre ce conseil. Je voudrais d’abord entendre le miseur sur la question du ravitaillement. Il m’a été rapporté que l’approvisionnement de la ville rencontre des difficultés.
Le miseur se pencha légèrement, posant les deux mains à plat sur la table, comme pour s’ancrer.
— C’est exact, Monseigneur. Et malheureusement inévitable. Nous dépendons entièrement des conditions météorologiques. Jusqu’ici, la clémence relative du temps a permis aux convois venus d’Ensigesheim de circuler. Mais, comme chacun le sait, la chute de neige de la seconde moitié de Novambre a rendu la piste impraticable pendant une semaine entière.
Il marqua une pause, conscient des regards posés sur lui.
— Sans l’intervention des soldats du Margrave Rodolphe pour dégager la route, nous serions sans doute encore en rupture de livraison. Et n’oublions pas qu’il s’agit d’un trajet de plus de sept lieues le long du piémont.
Hugues hocha lentement la tête.
— D’autant que les célébrations de fin d’année approchent. Je souhaite que la population puisse, malgré tout, bénéficier d’un minimum pour marquer ce passage. Nous devons éviter tout risque de mouvements de mauvaise humeur. Capitaine Hugel, quelle est la situation sur le terrain ?
La capitaine se leva, comme à son habitude.
— Toutes les précautions ont été prises, Monseigneur. Un détachement d’Ensigesheim escorte chaque convoi jusqu’à la porte sud. Le guet prend ensuite le relais jusqu’à la place centrale. Chaque distribution est encadrée. Jusqu’à présent, les incidents sont restés mineurs.
Elle hésita un instant avant d’ajouter.
— Cela dit, j’ai appris qu’un chariot avait été attaqué sur la route. La troupe du Margrave est intervenue rapidement, mais cela témoigne de la tension qui règne. De plus, des groupes errants continuent de descendre du massif. Ce matin encore, une famille s’est présentée à la porte nord. Il faudrait envisager un accueil dans les bourgs environnants avant que la ville ne soit saturée.
— je sais, répondit Hugues. Mais puisque nous abordons les questions de sécurité, sire Ancelin, qu’en est-il des abords de la cité ?
Ancelin se leva à son tour. Il parlait toujours avec plus d’assurance debout, le regard droit.
— Monseigneur, depuis la présence supposée que je considère comme certaine, du spectre, il y a un mois, nous n’avons rien détecté de nouveau. L’hiver, pour l’heure, joue en notre faveur. Il tient la menace à distance. Mais je crains davantage les infiltrations. C’est par là qu’ils frapperont.
— Dans quel but, selon vous ? demanda Hugues.
Ancelin haussa légèrement les épaules.
— Espionnage avant tout, mais on ne peut exclure une tentative d’assassinat contre vous, Monseigneur. Ou contre toute personne influente dans cette cité.
Il balaya la salle du regard, s’arrêtant sur chacun tour à tour. Un murmure parcourut l’assemblée. La capitaine Hugel leva la main pour prendre à nouveau la parole.
— Nous ne sous-estimons pas ce risque. Nos hommes collaborent étroitement avec ceux de sire Ancelin. La surveillance est constante, de jour comme de nuit.
Un silence tendu s’installa. Hugues en profita pour ramener le calme. Il se tourna vers le practice Paul de Laon.
— Maître Paul, il semble qu’il y a des cas d’infection digestive qui sont apparus en ville.
Le practice hocha la tête.
— Oui c’est tout à fait exact. Nous avons reçu des cas de graves troubles intestinaux. Ce sont des soldats du Comte palatin qui sont concernés. Nous devons rester vigilants, que nous ne soyons pas face à une épidémie. C’est pour cela que j’ai pris des mesures drastiques. Tous ces malades sont isolés dans un bâtiment à part que nous avons aménagé à la hâte. Pour le moment ce ne sont que quelques cas, mais je connais ce genre de situation et ce doit être surveillé de près.
— Je n’ai aucun doute sur votre efficacité, Maître.
Hugues se tourna vers l’assemblée.
— Bien. Je vais clore ce conseil. Mais avant cela, je souhaite remercier l’Église pour ses efforts.
Tous les regards se tournèrent vers le prélat Odon de Villars, jusqu’ici resté silencieux, au grand soulagement de Hugues.
— Je salue, Monseigneur, le soutien du clergé dans l’accueil des réfugiés.
Le prélat inclina la tête avec componction.
— La charité chrétienne, mon fils. C’est notre devoir.
Hugues se redressa, évitant de prolonger l’échange. Il craignait que le prélat ne saisisse l’occasion pour relancer ses sempiternelles revendications. Il se leva, posant les mains sur la table.
— Ce sera tout. Je vous remercie. Que chacun retourne à sa tâche.
La séance était levée. Mais les préoccupations, elles, restaient bien présentes.

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