CHAPITRE XXVII : Un long hiver (4)

5 minutes de lecture

L’étau se resserre

Comme le lui avait demandé Hugues, Ancelin effectuait régulièrement des sorties pour faire le tour des remparts et pousser un peu plus loin dans les environs. Depuis la visite du mystérieux cavalier noir, il n’y avait pas eu de signe d’une quelconque présence. Mais ce matin, Il remarqua tout de suite des traces de pas qui se distinguaient des autres. C’étaient nettement des empreintes de bottes. Il remonta la piste de la porte nord qui l’emmena loin sur les hauteurs de Dànn. Il identifia, sans difficulté, les traces de quatre hommes venus de la forêt. Ils s’étaient séparés à la porte nord et avaient suivi chacun une partie des remparts. Tout cela se voyait nettement sur le sol recouvert d’une légère pellicule de neige givrée. De la porte sud, les pistes se rejoignaient pour, de nouveau, aller se perdre dans le massif qui recouvrait la colline située à l’ouest de la ville. Une inspection en règle !

Il fit immédiatement part de sa trouvaille à la capitaine Hugel.

Hugues, et Henri de Bade soupaient dans le petit salon privé. Seuls deux grands candélabres dispensaient un éclairage tamisé. Une poularde aux fèves concentrait toute leur attention et ils échangeaient peu de mots. Hugues se saisit d’une bouteille d’un blanc local et resservit généreusement son invité. Le plat fut proprement vidé et chacun se recula sur sa chaise avec une satisfaction évidente. Un serviteur entra pour annoncer Ancelin. Hugues soupira.

— Bien faites-le attendre à côté. Nous allons venir.

— Une affaire urgente ? demanda Henri.

— Sire Ancelin est chargé de la sécurité de la ville comme vous le savez. Je pense qu’il a un élément à communiquer.

— Sire ? vraiment ? demanda Henri avec ironie.

Hugues ignora le sarcasme.

Ancelin remarqua que Hugues avait changé. Il paraissait vieilli, alourdi par les responsabilités, tandis qu’Henri de Bade, au contraire, semblait s’épanouir. Le jeune homme avait gagné en prestance et en assurance. Une assurance qu’Ancelin trouvait proche de la suffisance.

Il avait toujours eu du mal avec ce fils de margrave, trop sûr de lui, trop conforme. Henri appartenait manifestement à cette race d’hommes convaincus que la vie obéit à des principes inaltérables, auxquels on ne déroge pas. Chez lui, le bien et le mal étaient clairement définis, sans nuances.

À cela s’ajoutait une rigidité presque chevaleresque, un sens aigu de l’honneur, une droiture que d’aucuns auraient admirée, mais que lui trouvait oppressante. Ancelin le devinait prisonnier de règles invisibles, de devoirs dictés plus par sa naissance que par ses choix. Une vie toute tracée, protégée de l’imprévu, où l’inconnu n’avait pas sa place. Le genre d’homme qu’il avait trop souvent rencontré… et rarement estimé.

Un rappel de Hugues le tira de sa contemplation.

— Oui, pardon, excusez-moi. Voilà j’ai découvert des traces de pas. Quatre hommes qui ont fait le tour des remparts et inspecté les trois portes. Elles s’éloignaient de toutes habitations et je les ai laissées alors qu’elles se dirigeaient tout droit vers le fond de la vallée. Et peut-être ont-ils pu entrer discrètement en ville avant de repartir.

— Votre sentiment.

— Je suis sûr que ce sont, de nouveau, des observateurs qui sont venus repérer jusque sous les remparts et peut-être en ville aussi.

— Qu’avons-nous à craindre d’après vous ?

Ancelin inspira profondément ce qu’il allait dire n’allait pas faire plaisir à Hugues.

— Une attaque de la ville, tout simplement.

Un silence suivit son affirmation péremptoire. Henri prit la parole.

— J’ai cent hommes aguerris, trente archers et vous-même une centaine d’hommes également, Monseigneur, commença-t-il en se tournant vers Hugues. Les remparts sont efficaces. Nous avons fini de fermer la brèche. J’ai organisé des rondes à toute heure du jour et de la nuit. Nous ne nous laisserons pas surprendre et je doute fort qu’ils puissent pénétrer. Croyez-moi, Monseigneur, nous sommes en sécurité.

Ancelin se tut. Oui, vraiment plein de suffisance et d’une assurance excessive, ce garçon, car lui était bien loin d’être aussi affirmatif. Il préféra partir et rejoindre Lianor à la taverne.

La taverne du chat noir ne faisait guère le plein ce soir, contrairement à d’autres soirs où elle débordait de soldats du Comte palatin. Elle n’échappait pas à l’humeur du temps. L’ambiance s’était diluée dans des murmures feutrés. On parlait bas comme pour ne pas attirer l’attention. Il est vrai que le départ de l’équipe de maçons pour cause de trêve hivernale y était, un peu, pour quelque chose. Et l’hiver, qui semblait précoce cette année, avait tari le flot des pèlerins. Même le Muff se montrait moins tyrannique envers ses enfants. Ancelin et Lianor échangeaient à voix basse.

— Tu es pas mal à l’hospice ces jours-ci.

— Un reproche ?

— Non, une remarque. Je n’oserais pas.

Depuis cette liaison amoureuse qui se renforçait et ce travail à l’hospice, Ancelin avait vu Lianor s’épanouir pleinement et s’affirmer en caractère. Telle une fleur qui avait tardé à éclore.

— Nous avons eu quelques cas de coliques ces temps-ci, dont deux sérieux. Ce sont des soldats de Saxe. Les symptômes sont apparus trois jours après leur arrivée. Salih parle d’une mauvaise hygiène dans leur camp, mais je ne sais pas, surtout pour un, il a une chiasse avec du sang. J’ai soigné des diarrhées avant. Là, c’est pas la même odeur. Il y a un relent que je n’aime pas. Le practice va faire le point demain, on en saura plus, même si je fais confiance à Salih.

— Les mains d’or.

Lianor vrilla ses prunelles dans ses yeux sombres.

— Jaloux ?

— Non, mais tu continues à te faire tripoter.

— Jaloux, c’est bien ce que je disais. T’inquiète ! ce ne sont plus que de bons massages relaxants. Toi seul, désormais, peut mettre tes mains partout, finit-elle avec un clin d’œil.

Ancelin lui décocha son plus beau sourire.

— Demain c’est une grande première, reprit-elle, j’opère toute seule, bon sous la surveillance du practice, mais quand même.

— Ah, et qui va être ta victime ? lui demanda-t-il, non sans ironie.

Elle préféra éviter de relever le sarcasme. Elle se pencha vers lui et le fixa droit dans les yeux.

— Un forgeron qui a une couille grosse comme ça, finit-elle en montrant avec ses mains.

— Bon sang, mais c’est gros et tu fais quoi ?

Lianor fit un geste de ses deux doigts.

— Je coupe !

Ancelin fit une grimace.

— Tout ?

— Non, juste le testicule trop gros. Le practice dit que ça suffit.

— Bon et bien le pauvre gars a de la chance dans son malheur. Il lui en reste une, il pourra continuer à honorer sa grosse.

— Eh bien, si toi, il ne t’en restait qu’une, je te plaquerais.

Elle fit attention à rester sérieuse en le regardant. Une petite revanche qui ne lui déplaisait pas. Mais devant la mine totalement déconfite d’Ancelin, elle ne put se retenir d’éclater de rire.

— Tu verrais ta tête !

— Ah oui ! et bien, pour le moment j’en ai deux et on monte tout de suite, tu vas voir comme tu vas déguster !

Il lui saisit le poignet et lui fit faire le tour de la table pour l’entraîner vers l’escalier. Lianor joua la jeune effarouchée en se laissant entraîner. Le Muff les regarda passer avec un hochement de tête.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Bufo ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0