CHAPITRE XXVII : Un long hiver (5)
Le serment
Benoît, au bras de Lisette, laissait ses pensées vagabonder. Cela ne faisait pas longtemps qu’il pouvait ainsi, grâce à elle, parcourir la grande salle. Chaque pas, chaque mouvement, était un petit miracle. Il ressentait le double bonheur d’être aux côtés de la femme qu’il aimait, et de constater, jour après jour, les progrès lents, mais tangibles de son corps meurtri.
Sa démarche restait hésitante, surtout à cause de cette jambe gauche récalcitrante, qui ne voulait toujours pas lui obéir tout à fait. Pourtant, il avançait. Et il savait qu’il ne le devait pas seulement aux soins, mais aussi, surtout, à la lumière qui venait d’elle.
Le practice s’avança vers eux, le visage fendu d’un sourire sincère.
— Eh bien, Benoît, tu es la preuve vivante que l’amour et la médecine forment parfois la meilleure potion pour guérir.
Puis il se tourna vers Lisette avec une certaine gravité.
— Avec ces cas de dysenterie qui se multiplient, je crains que Benoît ne soit en trop grand danger ici. Il est encore trop faible. En cas de contamination, je ne donne pas cher de sa peau.
Benoît sentit aussitôt la main de Lisette se resserrer sur son bras. Elle acquiesça sans un mot.
— J’ai parlé au père Roban. Il a préparé une couche dans le cellier. C’est très isolé et plus sûr. J’aurais bien proposé ta cellule, Benoît, mais tu sais que les femmes n’y sont pas admises, dit-il avec un sourire en coin. Et tu n’es pas encore en état de te passer des soins de certaines personnes...
Benoît s’efforça de répondre, les mots lui échappant dans un souffle tremblé.
— Me… merci… maître.
— Oui, vraiment… de tout mon cœur, ajouta Lisette avec émotion.
Elle se tourna vers lui, le visage doux.
— Allons voir ça.
Ils remercièrent le practice une dernière fois. Lisette raffermit sa prise sur son bras et l’aida à franchir la distance qui les séparait du cellier. Il fallut faire plusieurs pauses.
— Ça va ? murmura-t-elle.
— Ça va toujours… quand je suis avec toi, répondit-il avec un petit sourire.
Elle rit doucement, cette musique familière qui lui faisait tant de bien.
— Tu dis ça parce que je suis là tout le temps. Mais ces jours-ci, j’ai moins de temps… il y a tant à faire.
Ils avançaient lentement dans le couloir. Ils croisèrent plusieurs prêtres heureux de voir Benoit faire des progrès jour après jour. Pour Benoît, chaque recoin réveillait un souvenir. Il se revoyait, haletant d’excitation, tirant Lisette par la main au cœur de la nuit, pour leur escapade interdite. Ce cellier, leur cachette. Leur abri.
Ils l’atteignirent enfin. Elle poussa la porte, l’aida à gagner la couche préparée et il s’y laissa tomber, avec un soupir de soulagement. Elle s’assit à côté de lui. Il lui serra la main, l’attira doucement. Ses yeux brillaient.
— Tu… tu te souviens ?
Il la vit rougir. Elle baissa la tête, comme une enfant prise en faute.
— Oui… de tout, souffla-t-elle.
Il raffermit sa prise.
— On re… commence ?
Elle ouvrit grand les yeux, le cœur suspendu une seconde… puis elle éclata de rire, un rire joyeux, presque enfantin.
— Tu n’as pas changé. Et en plus… je crois que tu en serais capable.
Il haussa les épaules, faussement modeste, un sourire se dessina sur sa bouche. Puis, plus sérieux, il lui prit la main et la porta à ses lèvres.
— Li… Lisette… je veux te… dire… je ne veux plus...
Il s’interrompit, cherchant ses mots, bataillant avec sa langue qui ne suivait pas toujours sa pensée.
— … prêtre.
Elle le regarda sans ciller.
— Tu ne veux plus être prêtre, c’est bien ça ?
— Oui.
Elle baissa les yeux, un instant de silence.
— Je comprends.
Il inspira profondément, puis, avec une volonté farouche, rassembla ses forces pour lui dire enfin ce qu’il portait au plus profond de lui depuis des jours.
— Je veux… vivre… avec toi.
Elle leva les yeux vers lui, les larmes y affluant sans retenue. Puis elle se jeta à son cou, bouleversée.
— Moi aussi, Benoît ! Je veux vivre avec toi. Je veux être ta femme.
Elle recula légèrement, saisit son visage entre ses mains comme pour mieux l’ancrer dans le réel.
— Oh, si tu savais comme je t’aime.
— Je… sais, Lisette.
Leurs lèvres se joignirent dans un baiser long, silencieux et plein de promesses. Et ils restèrent ainsi, serrés l’un contre l’autre, le cœur débordant d’un bonheur simple et total, comme suspendus dans un monde que plus rien ne pouvait atteindre.

Annotations
Versions