CHAPITRE IXXX : La nuit de l’horreur (3)
On se bat
Le Henki vacilla en sortant de la masure familiale, l'esprit encore embrumé par le vin du soir. Son corps lui dictait un besoin pressant, et il tituba jusqu'à la rivière, les pieds glissant sur les pierres inégales. L'obscurité naissante étirait les ombres des arbres en silhouettes menaçantes, mais il n'y prêta pas attention. Les étoiles scintillaient au-dessus de lui, indifférentes à la terreur rampante, et il leva le visage vers elles en poussant un soupir de soulagement.
Alors qu'il remontait ses chausses, un mouvement attira son regard. Près du rempart, trois formes indistinctes fendaient les ténèbres, silencieuses comme des ombres vivantes. Un frisson glacial lui parcourut l'échine. Son esprit embrouillé ne tarda pas à s'éclaircir sous l'aiguille d'un instinct de survie trop longtemps aiguisé par les dangers de la forêt. Il le savait, quelque chose de terrible s'approchait.
Un cri sauvage éclata au loin, suivi de bruits de lutte. La troupe de gardes à la porte, encore paisible quelques instants plus tôt, était en proie au chaos. Des silhouettes se jetaient l'une contre l'autre dans une danse frénétique, des lames scintillantes sous la lueur rougeoyante des premières torches.
Le Henki tourna les talons et s'élança vers la cabane. Il ouvrit la porte et plongea à l'intérieur.
— Ida, réveille les petits ! cria-t-il d'une voix rauque. Cendrine, prends-les par la main, vite. Il faut partir.
— Que se passe-t-il ? demanda Ida en écarquillant les yeux, déjà tremblante.
— Ça ressemble à une attaque. Il faut se rendre dans la ville. Maintenant.
Les fracas des combats se rapprochaient. Des hurlements déchirés par l'angoisse explosaient tout autour d'eux.
— Cendrine, les deux petits. Ida, attrape quelques affaires et le bébé. Dépêchez-vous !
Il se planta devant l'entrée, scrutant la pénombre. Le moindre mouvement pouvait signifier la mort.
— Allez, on y va !
Ils se glissèrent hors de la maison comme des ombres, la terreur nouée au ventre. Devant eux, la porte nord était un champ de bataille. Deux créatures humanoïdes aux yeux fauves affrontaient quatre gardes sous la lumière dansante des torches. Les lames tranchaient l'air avec des claquements métalliques. Le Henki guida sa famille dans la mêlée. Ils profitèrent de la confusion pour se glisser à l’intérieur de la ville.
Ils coururent et butèrent sur un petit bâtiment qui devait être un entrepôt de farine. Il offrait l’avantage d’être tout en pierre. Le Henki força la porte d’un coup d’épaule. À l'intérieur, la poussière leur colla à la gorge. Ida serrait le bébé contre sa poitrine tandis que Cendrine luttait pour apaiser les pleurs étouffés de ses frères. Le Henki amoncela ce qui lui tombait sous la main pour bloquer la porte. Un char abandonné au centre de la pièce leur offrit un maigre refuge.
Le silence s'imposa peu à peu, mais ce n'était qu'un silence de façade, chargé de menace. Au-dehors, les clameurs lointaines montaient et descendaient comme une marée, portées par le vent nocturne. Chaque craquement, chaque grincement faisait sursauter les enfants. Le Henki posa une main lourde sur son front ruisselant et se mura dans un silence tendu.
Il n'y avait plus rien à faire. Seulement attendre… et espérer que la mort passe son chemin. Une sournoise terreur s’insinua en eux. Ils se serrèrent comme pour conjurer le destin.

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