CHAPITRE IXXX : La nuit de l'horreur (6)

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Aude traversa rapidement la cour, enfila le couloir sans se soucier du garde qu’elle croisa et arriva juste devant la porte d’Aléma pour la voir s’ouvrir sur sa compagne radieuse. Elle se jeta dans ses bras.

— Je n’en pouvais plus, le repas s’éternisait alors je suis parti.

Elle entraîna Aléma vers le lit sans cesser de l’embrasser. Elle s’empressa de la déshabiller avec fébrilité, le désir lui enflammait le bas-ventre. Elle s’empêtra dans les sous-vêtements.

— Mais c’est pas possible, tu l’as fait exprès ce soir, pour faire durer le plaisir, hein dit-moi.

— Laisse-moi faire.

Et Aléma entreprit un effeuillage lent et langoureux qui acheva d’allumer Aude. Elle arracha presque ses propres vêtements. Enfin elle reçut ce superbe corps nu contre sa peau et put assouvir son impatience dans une multitude de baisers.

Isolées dans un cocon de désir, elles ne perçurent pas immédiatement la rumeur extérieure ni le son des cloches. Ce fut Aléma qui réagit en premier. Elle se redressa.

— Qu’est-ce qui se passe, il y a beaucoup de remue-ménage dehors.

Au même moment on tambourina à la porte.

— Aude, Aléma ! vite on se bat dans les rues, cria Vivianne.

Aléma se recouvrit d’un drap et alla ouvrir. Vivianne se faufila, le visage marqué par l’anxiété.

— Je ne sais pas ce qu’il se passe, mais c’est grave, père veut que l’on se regroupe dans la grande pièce centrale.

Aude sentit la chaleur s’éteindre dans ses veines, remplacée par une peur glaciale. Les bras encore tremblants de désir devinrent d’un coup, lourds, engourdis. Sans un mot, elle attrapa ses vêtements et les enfila à la hâte, ses gestes maladroits tandis que son esprit s’emballait.

Aléma, elle, était redevenue guerrière. Elle noua sa tunique d’un geste précis, glissa ses bras dans sa cotte de cuir, et s’empara d’un arsenal de poignards et son épée. Chaque arme trouvait sa place naturelle sur son corps comme si elle était née pour la guerre.

Elles coururent. Les bruits de pas résonnaient autour d’elles, des échos qui se multipliaient dans les corridors comme un tumulte invisible. À mesure qu’elles approchaient de la salle centrale, des cris s’élevaient derrière les murs. Une clameur sinistre, entrecoupée du choc métallique des épées.

Elles franchirent la porte et découvrirent leur père, les sourcils froncés, distribuant des ordres d’une voix sèche. Lorsqu’il posa enfin les yeux sur elles, Aude vit quelque chose qu’elle n’avait jamais vu, une tristesse accablée, une fatalité écrasante qu’il n’essayait même plus de dissimuler.

— Je veux que vous alliez vers le cellier, tout derrière. Si la situation dégénère, vous sortez par la petite porte, ensuite… vous connaissez le chemin.

Il regarda Aléma avec une lueur de désespoir dans les yeux qui n’échappa pas à Aude.

— Je te les confie.

— Non, père ! cria Vivianne.

— Allez, ne discutez pas, nous perdons du temps.

Effectivement Aude percevait maintenant des bruits de combat juste derrière la grande porte.

— On y va ! Leur intima Aléma.

Elles n’attendirent pas. Aléma ouvrait la marche, rapide et déterminée, une ombre protectrice. Vivianne suivait, tirée par la main ferme d’Aude qui ne la lâcha pas. Les murs semblaient vibrer sous les coups. Leurs ombres projetées dansaient comme des spectres sur la pierre.

Elles se glissèrent dans la pièce étroite des réserves, où l’air sentait le grain et le bois humide. Derrière une étagère dissimulait effectivement une issue, Aléma dévoila une porte étroite, à peine assez large pour qu’elles puissent passer une à une.

Elles se barricadèrent à l’écoute des bruits. Ce fût tout d’abord le silence, mais très vite, Aude entendit quelqu’un courir, puis un cri et un son sourd, celui d’un corps qui tombe.

— On part ! ordonna Aléma.

Aude se retourna vers sa sœur, qui restait pétrifiée, incapable de bouger. Elle lui prit la main.

— Aller viens ! tu restes collée à moi.

Elles s’engagèrent dans l’étroite ruelle, Aléma en tête, épée prête, son regard vif scrutant chaque ombre. L’air saturé d’une odeur de fumée âcre et de chair brûlée emplit leurs poumons, rendant leur souffle court. Aléma tendit sa dague à Aude sans un mot. Leurs regards suffirent pour échanger un serment silencieux.

Un cri éclata à quelques pas, déchirant la nuit. Vivianne, brisée par la peur, sursauta en découvrant un cadavre ensanglanté, le torse transpercé, étalé contre une porte brisée.

— Ne regarde pas, reste près de moi ! hurla Aude en la tirant par le bras.

Là, juste devant elles, une silhouette surgit du toit dans un bond animal. Aléma, déjà en garde, reconnut instantanément la créature. Elle plia les genoux et se fondit dans sa posture de danseuse. Chaque muscle tendu, elle se calqua sur son agresseur et adopta également des gestes avec une souplesse féline.

L’homme-chat se focalisa sur elle. Aude sera sa dague, pour l’instant, elle demeurait spectatrice. Les deux adversaires entamèrent un combat étrange où ils ne faisaient que s’éviter. Puis, avec l’agilité habituelle, il se jeta sur elle. Elle esquiva de justesse. La pointe de l’arme lui effleura la joue. Elle reprit sa pose, l’homme-chat se présenta de dos pour Aude, qui vit immédiatement le regard d’Aléma. Elle se jeta sur lui, enfonçant sans aucune hésitation sa dague dans le dos avec toute la puissance dont elle était capable. La créature eut un air étonné, voulu de retourner, mais Aléma lui avait déjà ouvert la gorge.

— On bouge, dit seulement Aléma.

Aude reprit Vivianne tétanisée. Elles s’engagèrent dans la petite rue de la rive. Trois cadavres gisaient en travers qu’elles durent enjamber. Aude perçut un léger mouvement dans l’encoignure d’une porte. Elle s’arrêta.

— Attendez !

Elle s’approcha pour découvrir Vive collée à son petit frère. Les deux enfants tremblaient, les regards terrorisés. Aude prit le temps de se calmer et elle s’agenouilla.

— Eh, que faites-vous là. Vous ne pouvez pas rester ici. Où sont vos parents ?

Vive était incapable de parler. Elle regarda Aude et se jeta dans ses bras, en pleurs.

— Allez, venez !

Elle fit signe à Vivianne de porter le gamin.

— Vite ! cria Aléma.

Sans se laisser ralentir par leurs légers fardeaux, elles coururent, Aude indiqua le chemin. Le groupe se faufila dans le labyrinthe des ruelles, la nuit résonnant de cris lointains, de heurts métalliques et de pleurs. Au détour d’une petite ruelle, elle s’arrêta devant un soupirail au ras des pavés. D’un coup de pied elle fit voler la grille.

— Par là, vite !

— Notre palais secret, murmura Vivianne.

— On y jouait quand on était petite, expliqua Aude à Aléma.

Elles s’y glissèrent, Aude prit le temps de repositionner la grille. Elles tâtonnèrent le long d’un goulet suintant d’humidité qui empestait le moisi. Les deux enfants restaient immobiles et silencieux. Elles débouchèrent au bord de la rivière. Elles marquèrent enfin une pause, essoufflées et un peu désemparées. Vivianne fut secouée de sanglots, Aude posa Vive et la serra contre elle. Elles restèrent le regard perdu, à contempler la rivière qui reflétait le rougeoiement des incendies multiples. Elles entendirent crier dans leur dos. Un couple affolé arriva en courant. Ils les rejoignirent.

— Mon Dieu, dit l’homme l’air hagard. Ils sont partout, c’est terrible.

— Venez avec nous. En suivant la berge, nous allons rejoindre le sud de la ville, leur expliqua Aude. Il y a beaucoup moins de chance de faire de mauvaises rencontres ici.

Tout le petit groupe s’ébranla en suivant Aude et Aléma, qui ouvrait la marche prête à intervenir. La rivière amorçait une légère crue et le passage devenait délicat par endroit. Ils enjambèrent trois corps échoués. On devinait deux femmes, dont une décapitée et un homme égorgé. Les flots sombres se teintaient de plus en plus de sang. L’horreur peignait le monde en rouge et noir.

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