CHAPITRE IXXX : La nuit de l'horreur (7)

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Guer scruta les entrepôts alignés le long de la Thur, jaugeant rapidement leur solidité. La plupart étaient des bâtisses de bois vieilli, trop fragiles pour offrir une protection digne de ce nom. Ses yeux s’arrêtèrent sur une petite construction de pierre, étroite, mais robuste. L’intérieur accueillait un fatras hétéroclite de matériel divers. Il fit entrer tout le monde, se tourna vers Naraël et lui mit la main sur l’épaule.

— Je te les confie, moi je veux savoir ce qu’il se passe à l’hospice et trouver le Henki et sa famille.

Naraël était encore visiblement sous le choc de l’abandon de Thalia. Guer le secoua un peu.

— Ça va aller ?

Naraël réagit.

— Oui, tu peux me faire confiance.

— Bien, barricadez-vous du mieux que vous pouvez.

Il sortit et regarda autour de lui. Avec effroi, il constata que la collégiale commençait à flamber. Il était déjà trop tard pour s’y rendre. Il décida de revenir à leur point de départ. La ville juste, derrière le rempart n’était plus que hurlements et grondements d’incendies. Il arriva à se glisser jusqu’à la porte nord. L’air était chargé de fumée âcre, irritant ses poumons et brouillant sa vision. Il toussa violemment, avançant à tâtons. Des ombres traversaient le voile grisâtre, des silhouettes humaines qui se dissipaient aussi vite qu'elles apparaissaient, happées par le chaos. Civils paniqués, tous courant dans des directions opposées. Une marée de confusion totale.

Il longea les murs et profita de chaque recoin pour se dissimuler. Il voulait éviter la grande rue trop à découvert. Il arriva le long des murs de la collégiale, mais il dut faire demi-tour devant la violence de l’incendie.

Par la lumière blanche et Yggra, pourvu qu’ils se soient tirés de cet enfer.

Soudain, il distingua deux êtres qu’il identifia tout de suite comme des hommes-chats. Il pénétra dans une taverne à la porte éventrée et se cacha au milieu de tables renversées. Il se trouva face à un cadavre dans une position désarticulée et qui le fixait de ses yeux vitreux. Il entendit les deux êtres entrer et émettre quelques grognements. Les hommes-chats avançaient doucement, reniflant l’air avec des grognements gutturaux. Guer sentit chaque fibre de son être se contracter. Il retint son souffle, ses doigts crispés sur une pierre. Ils avancèrent, explorant lentement. Puis, sans prévenir, l’un d’eux jeta une torche au fond de la pièce.

Le feu prit lentement au niveau de la cuisine. Guer se releva prestement et s’approcha de la porte. Il ne les vit plus et courut dans la ruelle. Il ne devait plus être loin. Au travers des volutes de fumée, il crut reconnaître une silhouette voûtée, mais robuste, un boitillement familier. Son cœur bondit. Il appela.

Le Henki se retourna et se précipita vers lui.

— Guer ! où sont les autres ? Ça va ?

— Par Yggra, oui. Ils sont à l’abris, et vous ?

Ils n’eurent pas le temps de discuter plus longtemps que déjà un homme-chat avançait vers eux. Le Henki le regarda, les yeux fiévreux.

— Ils sont cachés là-bas, dans ce hangar. Prends-les et emmène-les à la porte sud, les combats ont cessé là-bas.

— Viens !

— Non ! je m’occupe de ce démon.

La créature approchait. Le Henki le poussa.

— Va, je vais le retarder.

Après une seconde d’hésitation, Guer courut vers la direction indiquée. Derrière lui, il entendit un hurlement bestial. Un rugissement humain répondit, empli de toute la rage et la force du désespoir.

Ce fut la dernière fois qu’il entendit la voix du Henki.

Le tapage enflait dans la grande salle de l’hospice. Dans la pièce fermée, le practice s’efforçait de se maîtriser. Il finissait la suture de l’utérus.

— Relâchez les bords, dit-il aux deux femmes.

Immédiatement, Lisette se précipita dans la salle. Thibaut et Hans Steinmann restaient figés devant le spectacle. Hugon entra. Lisette vit deux « hommes » qui massacraient les malades dans leurs lits. Elle vit Salih étendu à terre. Elle hurla

— Benoit, il est dans le cellier, il faut aller le chercher.

Elle se précipita, Thibaut la saisit de justesse.

— Non ! il n’y a rien à faire.

— Mais Benoit ! hurla-t-elle.

Une infirmière se fit égorger à quelques mètres. L’homme-chat la tint par la tête, le sang ruisselait abominablement. Il resta immobile à les regarder se délectant d’avance du massacre qu'il allait pouvoir perpétrer. Thibaut regarda rapidement Hans. Il luttait pour ne pas se laisser submerger par la terreur. En pensant à la situation dramatique derrière la porte, il rassembla son courage.

— Il faut défendre cette porte, à tout prix.

Ils ramassèrent chacun une chaise, qu’ils interposèrent devant les deux assaillants, bien conscients de l’inutilité de leurs protections. Une violente rumeur envahit la salle, Ancelin déboula en courant, suivi de soldats. Le premier assaillant fut pris à partie par quatre gardes. Ancelin se rua sur celui qui n’était plus qu’à deux mètres de Thibaut, prêt à se jeter sur lui et Lisette. Ancelin le percuta en même temps.

— Mettez-vous à l’abri !

Les deux adversaires se relevèrent face à face. L’homme-chat attaqua violemment. Ancelin encaissa le choc et recula. Il jeta un regard vers Thibaut, qui entraînait Lisette dans la salle. Hans entra en reculant. Ancelin porta des coups violents, mais l’autre esquivait rapidement.

Putain ! coriace celui-là !

L’homme-chat abattit son épée avec une telle violence qu’Ancelin vacilla. Comme l’éclair, son assaillant levait déjà son bras pour porter un coup alors qu’Ancelin était vulnérable, puis il vit la tête de la créature voler. Hugel était couverte de sang, elle lui adressa un léger sourire. Il posa un genou au sol, épuisé.

— On a sans doute peu de temps pour évacuer tout le monde, lui dit Hugel. Du moins les survivants.

Ils ouvrirent la porte et furent saisis par le spectacle. Le practice finissait une suture de la peau. Alix était toujours inconsciente.

— Putain, mais c’est quoi ça ? s’exclama Ancelin, incrédule.

— Un bébé ! lui répondit Lianor en soulevant le nourrisson avec un faible sourire.

— Mais qu’est-ce qu’il se passe bon Dieu ? demanda le practice.

— Une attaque, une sale attaque, il faut partir on a vraiment peu de temps, lui expliqua Ancelin.

— Mais elle est intransportable, répliqua le practice.

— C’est ça ou mourir ici et rapidement, compléta Hugel. Pas le choix !

— On va la porter, dit Hugon, les larmes aux yeux.

— Bon, Lianor avec Thibaut, allez chercher le brancard de secours.

Ancelin voulut rapidement embrasser Lianor, mais des bruits de combat retentirent. Avec Hugel, ils ouvrirent la porte pour voir que trois hommes-chat venaient de pénétrer dans la salle, finissant le sale boulot. Sur les dix gardes, huit étaient encore en état de combattre.

— Groupez-vous ordonna Hugel, on fait front.

Ils formèrent une rangée soudée. Ancelin se retourna pour voir que Thibaut et Hugon venaient de déposer Alix sur le brancard.

— On sort par l’arrière, cria le practice.

La salle n’était plus que cris et gémissements. L’horreur absolue s’étendait sur Dànn.

— Bien on recule, ordonna Hugel.

La troupe passa par la pièce attenante ; les gardes reculaient ensemble, restant face à l’adversaire. Ancelin vit que les hommes-chat se regroupaient pour les affronter. Il allait falloir jouer serré. Gênés par l’étroitesse de la porte, un seul se jeta sur eux, une aubaine qu’exploita Ancelin et ses acolytes. Il fut rapidement cerné et exécuté. Deux soldats maintenaient la porte fermée.

Lianor portait le bébé, Hugon et Hans se chargeaient du brancard.

— Le plus doucement possible, dit le practice, sinon on risque l’hémorragie.

Alix gémit faiblement, elle sortait lentement de sa torpeur. Le bébé pleura. Hugon fit signe à Thibaut, qui prit sa place. Il vint serrer les mains de sa femme. Juste derrière eux, ils percevaient la fureur du combat. Lisette ouvrit la porte qui donnait sur la cour centrale. Ils virent d’autres gardes aux prises avec des assaillants et surtout qu’il leur était impossible de sortir par là. Ancelin et sa troupe les rejoignirent, il manquait deux hommes.

— Impossible de passer, constata Hugel.

— Je connais une sortie, dans la partie arrière du cloître, dit Lisette, les yeux embués de larmes. C’est Benoit qui l’a découverte. Ils refluèrent vers le fond de la grande cour. Lisette ouvrit une porte d’où surgit Biber affolé. En les voyant, son visage afficha un léger soulagement.

— Il y en a un qui est entré dans la bibliothèque, il tue tous ceux qu’il rencontre… c’est terrible, je me suis caché… il a mis le feu, finit-il désespéré.

Ancelin les interpella, deux hommes-chat se précipitaient sur eux.

— Avec moi ! cria Hugel à ses hommes.

Elle se tourna vers Ancelin.

— Vas-y, ils n’ont plus que toi maintenant.

Ils échangèrent un regard de compréhension mutuelle et Ancelin fit signe à Lianor de le suivre. Ils avancèrent au pas, le long d’un couloir silencieux. Pendant un instant, la bataille sembla étrangement lointaine. Lianor essayait de calmer le bébé. Lisette, toujours devant, ils pénétrèrent dans l’arrière-cour. Elle les emmena vers la porte dérobée. Il fallut les larges épaules de Hans pour qu’elle cède. Ils sortirent sur la berge de la rivière, mais un homme-chat tombé du rempart se dressa devant eux. Il se précipita en levant son arme au-dessus du brancard. Ancelin gêné était en arrière.

— Non ! cria Hugon, qui s’interposa un morceau de bois en main.

Tout alla très vite, il reçut le coup en pleine poitrine en même temps qu’Ancelin se jetait sur l’agresseur de tout son poids. Thibaut et Hans l’attrapèrent par derrière ce qui déstabilisa l’homme-chat qui ne s’attendait pas à ce genre de réaction, Ancelin lui planta l’épée en plein cœur. Ils poussèrent le corps dans le courant.

— Hugon ! crièrent Flore et Lianor.

Tout le monde se précipita. Un filet de sang coulait de la commissure des lèvres. Le practice fit un signe sans équivoque. Flore éclata en sanglots dans les bras de Thibaut. Hugon ouvrit les lèvres, Lianor lui souleva doucement la tête. Il regarda l’enfant.

— Promets-moi de t’occuper d’eux, murmura-t-il.

Elle le reposa, en pleurs. Un silence terrible tomba sur la petite troupe, épuisée, meurtrie et au bord du désespoir. Personne n’avait la force de parler.

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