CHAPITRTE XXX : Puis vint le silence (1)

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C’est fini !

Ancelin vit le groupe d’Aléma plus en avant, le long de la berge, il les appela. Tout le monde se réunit avec quelques brèves explications et ils arrivèrent enfin sur l’esplanade de la porte sud. Déjà une foule s’y était réfugiée et des hommes du Margrave s’occupaient des blessés. Les tentes du camp servaient d’abris. Curieusement les combats avaient déserté cet espace, mais l’on percevait les rumeurs justes derrière les remparts. Toute la ville semblait en feu. Brusquement une troupe de soldats apparut à la porte. Ancelin reconnut Henri de Bade entouré de quelques hommes, certains en mauvais état. Ancelin se précipita. Henri s’arrêta devant lui. Son regard n’était plus celui d’un militaire inflexible. Le dédain avait disparu. Il ne restait qu’un homme brisé. Sans doute s’y ajoutait-il de l’humiliation devant leur déroute. Il venait de perdre pas mal de ses certitudes. Ce n’était plus le même homme qui lui parla.

— C’est fini. Nous sommes sans doute les derniers survivants. Ils finissent de massacrer la population. C’est pas du combat ça, non c’est… ignoble.

Il s’assit sur une pierre, la tête dans les mains. Ancelin resta immobile, ne sachant quoi dire à ce soldat totalement hébété. Enfin Henri se releva et ils regardèrent tous les deux la ville. Le bruit des combats s’estompait, il ne restait que la fureur des incendies qui embrasaient l’aube blafarde d’une lueur orange.

— Dès le début, j’ai fait envoyer des messagers à Ensigesheim. Les renforts vont venir, mais trop tard, finit-il en murmurant.

— Savez-vous ce qu’est devenu Hugues de Dabo ?

Henri détourna les yeux.

— Non, aucune nouvelle.

Ils se turent, les flammes illuminant leurs visages. Le crépitement du feu s’éleva comme une lamentation, dernier chant funèbre d’une ville qui agonisait.

Ancelin vit Biber un peu devant, de dos qui restait figé, les bras ballants devant le spectacle de l’incendie. Il s’approcha doucement et lui posa la main sur l’épaule. Il ne bougea pas. Ancelin vit des larmes couler sur ses joues.

— Tout parti en fumée, murmura-t-il enfin.

Il fit un geste vague du bras.

— Tous ces livres, tout ce savoir… plus rien…

— Viens, lui dit doucement Ancelin.

Il le mena vers une tente où il le confia aux soins de quelques femmes qui le conduisirent doucement vers un endroit calme.

Ancelin ressortit et regarda autour de lui. Le silence régnait. Pas un murmure, pas une plainte n’osait briser l’air saturé de cendres et de peur. La foule, figée par la sidération, restait immobile, le regard rivé sur l’immense brasier qui s’élevait au-dessus des toits dévastés. Des éclats de bois consumé s’élevaient en tourbillons ardents, dessinant des spirales infernales avant de retomber en pluie noire sur les survivants.

Viviane tenait la main d’Aude avec une force désespérée, comme si lâcher prise pouvait la précipiter dans un abîme. Contre sa poitrine, le petit garçon tremblait, enfoui dans le pli de sa robe. Il sanglotait en silence, ses larmes traçant des sillons brillants sur ses joues poussiéreuses.

Soudain, Viviane sursauta. Quelque chose en elle se brisa, une douleur plus vive encore que l’effroi.

— Père ! il faut qu’on le trouve. Tiens, prends-le, je vais voir dans le camp.

Elle tendit brusquement l’enfant à Aude, les gestes précipités, le souffle court. Avant qu’Aude ne puisse la retenir, Viviane avait disparu, se faufilant entre les silhouettes égarées.

Aude serra le garçon un instant, puis leva les yeux vers Aléma. Le regard de la guerrière abyssinienne reflétait une tristesse calme, une douleur résignée.

— Je vais devoir m’occuper d’elle, murmura Aude. Mais d’abord…

Son regard glissa vers les deux enfants qu’elle portait toujours contre elle.

— Il faut trouver un abri pour eux.

Elles arpentèrent le campement, leurs pieds foulant des gravats mêlés de terre et de sang séché, jusqu’à ce qu’elles découvrent une tente. Sous la toile usée, des femmes prenaient soin d’enfants perdus, leurs visages creusés par la fatigue et la peur.

Aude s’agenouilla devant Vive, la petite fille qui, malgré son frêle courage, se cramponnait à elle.

— Vive, écoute-moi. Je dois chercher ma famille.

Sa voix tremblait légèrement, mais elle s’efforçait de rester douce.

— Tu vas rester ici, avec ces dames. Tu ne crains plus rien, je te le promets. Prends soin de ton frère. Je reviendrai te chercher.

L’enfant leva des yeux pleins de larmes vers elle, et Aude sentit son cœur se serrer.

— Tu reviendras vraiment ?

Aude hocha la tête, incapable de parler. Elle fit un signe à l’une des femmes, une jeune mère au visage grave, qui s’avança pour prendre les deux petits par la main.

Les doigts de Vive glissèrent lentement des siens.

Aude détourna les yeux et partit à grandes enjambées.

Avec Aléma à ses côtés, elles traversèrent le chaos silencieux jusqu’à l’endroit où elles retrouvèrent Viviane. Elle était assise sur une caisse d’armes, les bras ballants, les yeux fixes.

Aude s’approcha doucement, posa une main sur son épaule, puis s’assit à côté d’elle. Elle l’attira contre son épaule et Viviane s’effondra dans ses bras.

Les sanglots jaillirent, bruts, incontrôlables. Elle enfouit son visage sur les genoux de sa sœur, ses pleurs secouant son corps tout entier.

Aude, les yeux noyés de larmes silencieuses, caressa lentement ses cheveux.

Aléma posa une main douce et réconfortante sur son autre épaule, la chaleur de son geste ancrant les trois femmes dans une présence partagée, un lien fragile, mais indestructible face aux ténèbres qui les entouraient.

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