Chapitre 2

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Émia, 16 ans

Cette année, Blake et moi sommes en seconde. Nous sommes au milieu du premier semestre, et pour l'instant, tout va bien. J'ai de plus en plus d'influence dans ce monde obscur, et malgré les événements passés, nous nous en sortons bien dans nos cours. La seconde est généralement la meilleure année au lycée, car il n'y a pas d'épreuves importantes à la fin de l'année. Les notes ne comptent pas encore pour le bac, et les cours ne sont pas très difficiles, contrairement aux spécialités qu'il faudra choisir l'année suivante.

Blake et moi sommes dans la même classe et passons tout notre temps ensemble. Contrairement à notre collège ou même à notre école primaire, nous ne connaissons personne venant de notre quartier. Le lycée est beaucoup plus loin, presque en dehors du quartier. Depuis que ses parents se sont séparés, quand il avait 12 ans, sa mère a déménagé avec son nouveau compagnon, et son père n'a plus donné signe de vie. Blake vit donc entre la maison de sa mère et une famille d'accueil, une vie rythmée qui, je le sais, l'a beaucoup affecté.

Blake vit la semaine chez sa famille d'accueil et le week-end chez sa mère, mais malgré cela, sa mère ne semble plus s'en préoccuper. Quand je dis cela, c'est que ça s'est aggravé avec le temps. Quand il avait 12 ans, après s'être séparée de son compagnon, sa mère l'a ignoré pendant un temps. Blake avait compris que si sa mère était dans cet état, c'était à cause de cette décision prise soudainement. Mais après cette période de deuil, elle est devenue froide et distante envers son propre fils. C'est là que le jeune Blake s'est rendu compte que sa mère ne l'avait jamais vraiment aimé, et qu'après le départ de son père, le seul qui le portait dans son cœur, elle a arrêté de faire semblant.

C'est pour ça que, quand il ne veut pas aller chez sa mère ni chez sa famille d'accueil, il vient chez moi dormir quelques temps. Nous habitons un peu plus loin que les autres et devons prendre ensemble les transports en commun, ce qui nous rapproche encore plus. On pouvait presque se considérer comme des frères et sœurs, ou même des jumeaux. Nous faisions absolument tout ensemble, même si, parfois, je restais en retrait pour l'observer de loin.

Il est midi passé, et Blake est attablé avec ses nouveaux amis, ceux qu'il a rencontrés récemment. Ne souhaitant pas le déranger, je préfère l'observer de loin, discrètement. On peut voir que son corps a changé, qu'il est devenu bien plus beau, vraiment plus viril. Depuis la rentrée, il a cherché à m'impressionner en intégrant l'équipe de football du lycée. Depuis, il s'est fait beaucoup de nouveaux amis et est devenu très populaire. Pourtant, il reste ce garçon gentil et adorable avec moi, sans jamais prendre la grosse tête comme certains le feraient. Mais je me méfie de ces fréquentations, car je connais certains de ses nouveaux amis, et cela me semble très mauvais vu ce dans quoi je suis embarquée depuis toute petite.

Je l'observe rire et raconter n'importe quoi à ses amis, qui font de même. Il semble passer un bon moment, alors je préfère me retirer. Malgré mes inquiétudes, j'ai décidé d'enquêter sur eux en son dos. Aucun d'entre eux n'a, a priori, de casier judiciaire, mais on ne sait jamais. Je préfère être prudente plutôt que de faire confiance aveuglément aux gens.

En partant dans le sens opposé, je croise Gaëlle. Aujourd'hui, Gaëlle fait partie de mon équipe, ou devrais-je dire de mon gang. Elle est devenue une alliée étrangement loyale malgré la défaite que je lui ai infligée. Elle se rapproche de moi à grande vitesse, semblant presque paniquer. Quand j'arrive à sa hauteur, elle me murmure quelques mots. Ceux-ci me font l'effet d'une électrocution. Après cela, elle passe son chemin comme si de rien n'était, comme si elle et moi ne nous étions jamais parlés. Cela me donne deux certitudes : la première, c'est que nous sommes surveillés, et la deuxième concerne ce qu'elle vient de me dire. Je ne traîne pas et continue mon chemin tranquillement, en surveillant mes arrières et espérant identifier la menace.

Jusqu'à la fin de la journée, je n'ai pas vraiment eu l'occasion de parler avec Blake, ce qui est étrange. Mais d'un autre côté, je me dis que c'est pour le mieux. Je sais qu'on me surveille et que cette personne est mal intentionnée, donc s'il peut éviter de voir Blake, ça m'arrange. Même si, au fond de moi, je me sens mal : depuis que nous sommes tout petits, c'est la première fois que je ne passe pas une journée entière avec lui.

Il est libre de faire ce qu'il veut, mais depuis que je le connais, j'ai toujours eu ce besoin d'être constamment collée à lui. Une forme d'addiction où je pouvais me sentir en sécurité, protégée, et ce dans n'importe quelle circonstance. Mais j'ai l'impression que, depuis que ses parents se sont séparés, tout a changé. Bien qu'il ait surmonté cette épreuve avec moi pour soutien, il a été profondément marqué, car cela s'est produit à un très jeune âge, un âge où l'on se développe normalement avec ses deux parents.

Je fais donc abstraction de ce détail en pensant qu'il veut simplement profiter de ses tout nouveaux amis. Malgré ma dépendance affective envers lui, il a besoin de contacts dans la vie professionnelle. Je ne veux pas qu'il soit seul, avec seulement moi comme meilleure amie. Même si je l'aime, je ne veux pas qu'il finisse comme moi.

Les jours défilent, puis les mois. Jour après jour, petit à petit, Blake s'est éloigné de moi. Il passe de plus en plus de temps avec les membres de son équipe de football, ou même avec les élèves populaires du lycée. Visiblement, il a gagné en influence à l'école ; il semble plus heureux qu'avant. Je dirais même qu'il s'adapte comme s'il avait toujours grandi dans cette popularité. Il est apprécié de tous, il joue très bien et a de bonnes notes. En bref, c'est une personne extravertie qui réussit dans tout ce qu'il touche, que ce soit dans le domaine de l'éducation, du sport ou même dans une activité en général.

Il prend le temps de faire toutes les sorties possibles avec ses amis et trouve encore et toujours des excuses pour ne pas venir avec moi. Il semble épanoui, mais pour moi, je ressens cela comme une trahison. Chaque jour, je ressens une profonde tristesse, une tristesse que j'ai rarement ressentie dans ma vie. Pourtant, malgré cela, malgré mes sentiments, je me dis que s'il est heureux, c'est la moindre des choses à faire pour qu'il garde ce sourire.

En revanche, ce qui m'inquiète encore maintenant, ce sont ses fréquentations. Toujours les mêmes personnes, qui ont une fâcheuse habitude de lui proposer des sorties de plus en plus extrêmes. Des sorties qui l'emmènent dans des lieux sombres, voire complètement déserts, des endroits où mon gang et même des gangs ennemis se rassemblent, ou utilisent ces lieux pour leur trafic. Un trafic dont personne n'a envie d'entendre parler, ni même d'y participer. De plus, un nouveau groupe vient tout juste d'apparaître sur le marché. Ce groupe prétend pouvoir mettre au point un trafic si puissant que, d'ici quelques années, ils prendront le contrôle du pays avec leur drogue de synthèse révolutionnaire.

Mon gang ne fait pas dans l'industrie de la drogue ; il est plus impliqué dans l'armement ou simplement dans des bagarres clandestines. Mais certains de nos rivaux, qui sont dans ce genre de commerce, sont très intéressés par l'offre. De plus, nous avons quelques cas ici qui utilisent déjà cette drogue. En effet, cette drogue de synthèse semble extrêmement puissante et addictive, mais les effets qu'elle produit sont extrêmement dangereux. Pour le moment, ce nouveau groupe, qui n'a pas encore de nom, la produit uniquement sous forme de seringue. Ils veulent continuer à développer cette industrie pour gagner de plus en plus d'argent, une volonté commune à tous ceux qui commencent dans ce commerce. J'ai enquêté sur les vendeurs et même sur ce groupe marchand, et j'ai déjà trouvé quelques pistes qui pourraient me mener à leur chef.

Mes pensées sont soudainement interrompues alors que je reçois un message d'alerte sur mon téléphone. Je me lève donc de mon canapé, ce vieux canapé complètement effrité où reposait ma famille il y a quelques années. Je me lève et me dirige précipitamment dans ma cour arrière, où Diego et Margot tiennent chacun le bras d'un homme beaucoup plus âgé que nous. Il est totalement en train de délirer, ce qui me fait dire qu'il a sûrement pris de la drogue. Mais quand Margot me tend la seringue avec le fameux logo de la couronne, je comprends tout de suite de laquelle il s'agit : la fameuse nouvelle drogue.

L'homme est complètement perdu, regardant à droite et à gauche à une vitesse folle, à la limite de se fouler le cou. Puis soudain, il fixe son regard vers moi et, soudainement, il prend peur. Il s'agite dans tous les sens, et Diego et Margot ont du mal à le retenir. Je m'approche donc et lui donne un coup de poing en pleine face. Diego le laisse tomber à terre, et Margot, qui tient encore son bras droit, finit par le reposer tout doucement par terre. Elle regarde Diego d'un air énervé.

— Tu aurais pu le poser doucement ! dit-elle. — Oh pitié, il sera K.O. pour 4 bonnes heures, répondent-ils. — Il fait partie des nôtres !

— Je sais, mais bon, c'est pas comme s'il ne nous avait pas à moitié trahis, dit-il sur un ton ironique et sarcastique.

J'ai interdit à mon gang de se procurer une seule de ces seringues, vu les effets secondaires qu'elle procure. Au début, cette drogue nous donne tout le plaisir d'une drogue normale, mais avec beaucoup plus de puissance. On se sent soudainement bien, comme une bouffée de chaleur, mais inversée, une bouffée de chaleur qui nous donne la sensation d'être léger et libre de tout. Elle nous donne un boost d'énergie conséquent, bien plus que la caféine et autres produits dopants de la même catégorie. On se met alors à imaginer mille et une choses à faire, à travailler deux fois plus vite sans la moindre fatigue. Mais quand les effets s'estompent, c'est là que la drogue révèle son véritable danger.

À ce moment-là, les effets commencent à s'estomper, ce qui donne une vision du monde bien plus horrifique que les terreurs nocturnes. On y voit nos pires cauchemars, les fantômes de notre passé, ou même des créatures créées de toutes pièces par notre imagination. À ce moment-là, le sujet en question commence à s'agiter de plus en plus. Son corps épuise toute l'énergie qui lui reste pour essayer de fuir cette menace. Le sujet se met donc à fuir ces choses invisibles qui n'existent que dans son cerveau. À ce moment-là, le sujet peut devenir complètement instable, passer d'une émotion à une autre, et faire n'importe quoi sans la moindre attention. Cela peut causer des accidents de voiture mortels, de l'automutilation, et d'autres vices encore plus horribles.

J'ai pu étudier ses effets car nos gangs rivaux en ont beaucoup usé, j'ai donc pu observer à distance leur comportement. Et quand j'ai réussi à retrouver une seringue utilisée qui contenait encore de la substance, j'ai pu à peu près l'analyser. À l'intérieur, il y a bien sûr la recette classique d'une drogue, mais boostée avec un autre produit, un produit pharmaceutique. Ce produit, qui ne peut être trouvé que par ordonnance d'un médecin spécialisé, se retrouve souvent dans l'organisme même des victimes. Malgré mes connaissances en chimie, je dois dire que la personne qui l'a créé est un véritable professionnel. Il a dû travailler dans la santé assez longtemps pour pouvoir concevoir un produit de la sorte.

Malgré mes maigres connaissances en sciences, je n'ai pu concevoir qu'un sérum qui atténue les effets de cette drogue. Je n'ai pas les connaissances requises pour trouver un antidote. Il faudrait alors que je me procure la substance en entier et en grande quantité pour y faire plusieurs tests différents. Mais cela donnerait le mauvais exemple pour les membres de mon gang. Même si j'arrive à m'en procurer énormément, cela n'empêche que, si j'en crois mes calculs, la plupart des tests seront tous perdants. Cette drogue a été si bien faite qu'on ne peut même pas arriver à trouver un moyen d'annuler ses effets sur la victime.

— Alors ? Dis, Margot, on fait quoi de lui ? — Mettez-le en isolation et administrez-lui le sédatif que j'ai créé. — Bien dit, répondirent Margot et Diego en chœur.

Ils traînèrent le corps de l'homme assommé en dehors de la maison. Ils allaient l'emmener dans un entrepôt que j'ai acheté au nom de mes parents il y a trois semaines. Cet entrepôt possède deux étages : celui du rez-de-chaussée sert essentiellement à entreposer nos marchandises, tandis que celui du sous-sol est utilisé pour isoler les cas de drogue, que ce soit par cette substance ou par d'autres. Cette cellule de confinement est même utilisée par nos gangs rivaux qui en ont plus qu'assez que leurs employés, s'ils les voient dans cet état, commencent à déconner. Je me dis que, malgré mon autorité, certains d'entre nous dans mon gang osent tout de même en prendre. C'est ça le gros problème avec la drogue : même si on pense pouvoir la contrôler, ne serait-ce que chez nous, elle arrive tout de même à s'immiscer et à créer encore plus de victimes.

Le lendemain, je repars à l'école tranquillement, tout en réfléchissant à un moyen d'arrêter cette substance d'être vendue à un prix dérisoire. Alors que j'étais sur le chemin, Blake me bouscule en courant sans regarder devant lui. Il se retourne soudainement et s'approche de moi en s'excusant de m'avoir bousculé.

— Salut, dit-il un peu gêné. — Salut, ça fait longtemps, dis-je avec un sourire des plus sincères. — Ben écoute, je suis encore désolé de t'avoir bousculé, je ne regardais pas devant moi et... — T'inquiète, le coupé-je. Et ça te dirait qu'on aille au cinéma bientôt ? Il est encore plus gêné, presque mal à l'aise. Ses amis derrière lui rigolent et l'appellent au loin pour qu'il vienne les rejoindre. Il hésite, puis me dit au revoir avant de les rejoindre aussitôt, me laissant plantée là sans la moindre réponse. Il est maintenant définitif que lui et moi n'avons plus rien à faire l'un avec l'autre. Il est mal à l'aise et complètement gêné quand il me croise ou même me parle, on dirait presque un ado qui ne veut pas être vu avec sa mère. Mon cœur se serre à l'idée que ce soit ainsi qu'il me voit : une amie qui l'a protégé comme une mère ou comme une grande sœur. Ce qui me fait encore plus mal, c'est que je sens que je vais pleurer ou même m'effondrer si je continue à rester debout, seule au milieu d'un trottoir en direction de l'école, avec autour plein de passants qui ne connaissent rien à notre histoire.

Finalement, mon corps réagit enfin et avance dans la direction opposée. Je n'arrive pas à le contrôler, il veut absolument aller dans le sens inverse. Et je ne compte pas vraiment résister à cette emprise. Mon corps se dirige tout seul vers la planque dans laquelle je dirige mon gang. L'endroit où je me sens bien, je vais y passer la journée et espérer oublier ce moment avec Blake.

Les heures passent dans la journée sans jamais vraiment avoir de gros problèmes. Malgré cette drogue qui commence à être de plus en plus présente, il n'y a pas de réelle grande difficulté à gérer un gang. Malgré tout, je reçois la visite des chefs de nos rivaux qui souhaitaient s'entretenir avec moi. Nous avons donc fait à la va-vite une réunion avec tous les chefs du pays. Parmi eux, il y a les grands noms du banditisme, chacun spécialisé dans une catégorie des ombres. Nous sommes au total une vingtaine de personnes réunies dans la planque. J'ai appelé quelques hommes à moi pour qu'ils viennent installer une grande table afin que nous puissions tous discuter. Cette table ressemble presque aux tables médiévales qu'on trouvait dans les grands châteaux : une table excessivement grande qui s'étale sur toute la longueur, faite d'une couleur de bois clair. Les sièges sont installés et même ces derniers sont faits en bois de la même couleur que la table. Ils ont un dossier et des accoudoirs faits du même bois, conçus également pour des adultes de grande taille.

Je m'installe au bout de la table, surplombant tous les autres. J'ai donc une vue imprenable sur chacun d'entre eux. Cela me réconforte dans l'idée que si l'un d'eux ose m'attaquer, je peux le prendre au dépourvu directement. Ils semblent tous préoccupés mais en même temps sérieux, presque comme des patrons d'entreprise fortunés qui s'intéressent à la nouvelle marchandise mais qui ne comprennent que trop tard ses conséquences. Dans le cas du banditisme, c'est chacun pour soi, mais en même temps, quand il s'agit de crime organisé comme les gangs, les mafieux et autres, c'est une toute autre loi qu'il faut respecter : quand tu es sur le territoire de tes ennemis, tu obéis à leurs règles.

C'est une loi qu'on ne peut pas briser. Je les regarde donc tous un par un. Comme je suis la plus jeune d'entre eux, je décide de prendre la parole, stoppant ce moment de malaise et de silence pesant.

— Que me vaut l'honneur d'avoir les grands noms du banditisme ici ? — Il paraît que tu connais les substances que contient ce produit révolutionnaire dans le monde de la drogue, dit l'un d'eux. — En effet, mais vous devez avoir vous aussi des personnes qualifiées bien plus que moi. — En fait, je crois que nous arrivons tous à la même et unique conclusion : cette drogue a été élaborée par des scientifiques professionnels dans une industrie.

Mes sourcils se froncent et je me concentre sur chaque parole qu'ils disent. En effet, j'avais constaté que la structure moléculaire du produit était très élaborée, semblable à celle de scientifiques pour de la recherche en médecine, mais je ne pensais pas que cela se fabriquait en industrie. Si cela s'avère être vrai, cela veut dire que nous pourrions être rapidement infestés par cette drogue qui rend les gens complètement fous quand les effets de cette dernière commencent à s'estomper. Ce serait une vague de chaos dans n'importe quelle ville du monde, une sorte d'arme biologique utilisée par certains pour être plus heureux dans leur vie.

— Bon, au vu du silence, j'ai compris la situation dans laquelle nous sommes tous, dis-je. — La personne qui crée cette drogue la considère maintenant comme une arme chimique. — En effet, et elle est même produite en grande quantité. — Et comment cela est-il possible, puisque, dis-je en pointant du doigt chacun d'entre eux, vous aviez le contrôle total sur chacun des terrains que vous possédez ? — Ils n'ont aucun terrain et pourtant ils arrivent à le fabriquer. Nous avons tout vérifié de fond en comble avant de venir, aucune présence dans nos entrepôts.

J'écarquille les yeux. À part les terrains que nous possédons en tant que gang ou même en tant que mafieux et autres, il n'y a qu'un seul terrain sur lequel nous n'allons jamais, et c'est celui du gouvernement. Bien entendu, la terre que nous occupons, là où se trouvent les entrepôts, appartient évidemment à l'État, mais comme nous en avons pris le contrôle, la police ou l'armée ne se préoccupe plus du tout de faire la loi dans ces contrées. Ils préfèrent rester en vie et en bonne santé auprès de leur famille que de se frotter à des gens puissants qui ont des moyens de les faire disparaître. La police a donc un dicton pour les criminels de notre genre : "Ne provoquons pas l'orage." C'est ainsi que fonctionne maintenant notre monde d'aujourd'hui, même si dans certains pays le terrorisme prend beaucoup plus d'ampleur et efface les traces des criminels.

Mais dans notre cas présent, les seules terres sur lesquelles personne n'ose s'approcher sont les sites du gouvernement. Généralement, parce qu'ils sont utilisés pour s'entraîner au combat ou développer de nouvelles armes qu'ils testent sur ces terrains, mais également parce que si on se fait attraper, c'en est fini de nous. Autant les autres policiers ou hommes de l'armée qui sont stationnés près des villes où se trouve la grande majorité de ces criminels ne peuvent agir sans subir la conséquence d'un membre de ce fameux gang ou de cette mafia. En revanche, la loi est complètement différente quand il s'agit des sites du gouvernement lui-même, qui sont beaucoup plus protégés, je dirais même surprotégés.

Généralement, les entreprises en Amérique n'ont pas forcément le droit de construire sur ces terrains, à part si cela développe l'industrie de l'armée. Ce qui me fait conclure que certains mafieux, même plus puissants, ont des informations que je n'ai pu trouver en quelques mois. Cela m'effraie aussi, puisque je n'ai pas été capable de le découvrir. Mais en même temps, en sachant qu'ils ont plus d'informations, je pourrais avancer beaucoup plus vite dans mon enquête. Je les regarde donc un par un, espérant pouvoir déceler la moindre information autre que celle qu'ils viennent de me révéler.

— Donc, je propose une collaboration, dit l'un d'eux en se levant. Levez-vous pour tous ceux qui sont d'accord avec moi. — En quoi consisterait-elle ? ai-je répondu. — Nous devons partager toutes les informations possibles sur cette drogue jusqu'à ce qu'elle soit complètement détruite ou alors sous le contrôle d'une personne comme vous. — Donc, ça veut dire que vous voulez me laisser le contrôle d'une arme à la limite de la biologie ? — Moi, en tout cas, je suis pour, même si vous êtes jeune, vous avez la tête sur les épaules. De plus, certains d'entre nous consomment notre propre marchandise, ce qui fait que les mains de ces personnes sont encore plus dangereuses.

Je me lève en accord avec lui, puis un autre me suit, et un autre, jusqu'à ce que toute la table se lève d'accord avec la proposition de l'homme. Nous avons donc formé la plus puissante des alliances dans le pays. Après avoir continué à discuter des accords que nous mettrons en place dans cette alliance temporaire, nous avons marqué tout cela sur un bloc-notes qui constitue le contrat. Chacun signe avec son propre stylo et chaque signature est vérifiée. Une fois que tous ont signé, nous commençons tout de suite à partager nos informations.

— Bon, dites-moi quelle info vous avez sur leur chef, dis-je. — À part qu'ils sont sur un terrain gouvernemental, pas grand-chose, dit l'un d'eux. Il semblerait également qu'ils ont accès à une immunité du gouvernement.

Encore une fois, les grands noms du banditisme ont un peu plus d'informations que je n'ai pu trouver. Je me dis que c'est parce que j'ai concentré mes recherches sur la substance en question avant d'essayer de trouver de nouvelles pistes. Après un moment de silence, tous comprennent que plus personne n'a d'information, à part que la personne qui la crée fait partie soit du gouvernement en question, soit d'une industrie florissante qui peut leur être utile.

— Bon, quelle entreprise serait utile pour l'armée et qui pourrait créer ce genre de produit ? ai-je demandé. — Et bien, en ce moment, à cause des conflits actuels, les entreprises privilégient plus l'armement. Mais peut-être que la CIA a repris ses expériences.

Durant la guerre froide entre la Russie et les États-Unis, la CIA a mené de nombreuses recherches sur le contrôle mental pour éviter une nouvelle guerre. Elle voulait comprendre comment on pouvait manipuler l'esprit ou même faire capituler l'ennemi "pacifiquement". C'est du moins ce qu'elle prétendait, mais ces expériences n'ont pas été concluantes. Au bout d'un moment, les victimes sont sorties de l'ombre et ont commencé à parler, obligeant ainsi le président de l'époque à s'exprimer et à s'excuser ouvertement pour toutes ces victimes.

Avec les décisions hasardeuses de notre président et le contexte actuel, il ne serait pas illogique de voir naître une troisième guerre mondiale. Après tout, les deux dernières guerres nous ont appris que tout pouvait partir d'un rien.

— Mais attendez, il y a aussi la santé. Avec les nouvelles décisions et les réformes, la santé est tout aussi privilégiée, argumenta l'un d'eux. — Et bien, ça collerait avec ce qu'on sait. — Attendez une seconde, dit l'un d'eux. Parmi toutes les entreprises qui auraient des scientifiques ou même les machines spécifiquement conçues pour la fabrication de ce produit ?

— Ce que vous dites est très intéressant. En effet, les seules entreprises connues aux États-Unis ayant des machines technologiquement avancées se comptent sur les doigts d'une main. — Dans ce cas, concentrons nos recherches dessus. — D'accord, alors nous programmons une réunion une fois par mois pour échanger nos nouvelles sur cette enquête, dis-je finalement. À dans un mois.

Tous les autres se regardent, ne voulant pas réellement arrêter cette réunion au risque de se mettre en danger. Mais ils comprennent que j'en ai assez entendu parler, alors ils ne font aucune vague et se lèvent un par un, partant chacun dans leur direction avec leurs hommes qui les attendaient dehors. Je termine de remplir quelques papiers et, à la fin de la journée, alors que le soleil donne une teinte orangée au ciel, je rentre chez moi tranquillement, espérant retrouver Blake sur le chemin et pouvoir discuter plus en détail de ce qui s'est passé ce matin.

Malheureusement, il n'est pas là et, quand j'essaie d'aller dans sa maison d'accueil, là aussi, il semble ne pas y être. Sa famille d'accueil me connaît assez bien puisque je suis la seule autre personne connaissant sa situation familiale. Donc, quand sa mère adoptive me dit qu'il n'est pas rentré depuis qu'il est parti à l'école, je commence à m'inquiéter. J'essaie donc de l'appeler, sans aucune réponse. J'hésite sincèrement à le localiser, mais, malgré ma peur croissante, je ne veux pas violer son intimité à ce point. Je n'ai pas envie d'en arriver à ce genre d'extrémité juste parce qu'il rentre un peu plus tard que prévu.

Le lendemain, Blake m'a donné rendez-vous dans une petite supérette au coin d'une rue. Il voulait me parler de notre relation actuelle. Bien entendu, au début, j'étais plutôt inquiète, voire stressée ou même anxieuse, car cela voudrait dire que, après cette discussion, cela déterminerait notre rapport jusqu'à la fin de nos vies. Une fois que j'arrive là-bas, le stress que je pensais avoir calmé sur le trajet avec des paroles sereines comme...

Ne t'inquiète pas, il veut simplement parler. On va juste parler, ce n'est pas comme si on allait être attaqués. Calme tes instants de peur. Il va te trouver encore plus bizarre comme ça. Mais, à tout moment, il est juste venu me dire qu'on ne se verra pas pendant un moment.

Et même malgré cela, je n'arrive pas à penser à autre chose. J'ai peur et je n'arrête pas de me persuader que c'est dans le mauvais sens qu'il veut me parler. Donc, quand je le vois enfin arriver au bout de quelques minutes à peine, l'air serein sur son visage, je commence à légèrement sourire, me sentant un peu plus à l'aise. Puis, une fois qu'il arrive à mon niveau, son regard change. Son visage n'a pas d'expression apparente, à part simplement qu'il est serein, à l'aise avec ce qu'il va dire. Mais quelque chose dans son regard, en particulier, a changé quand il m'a vu. Je ne saurais dire ce que c'est, mais ce changement soudain dans ses yeux m'a brisé de l'intérieur, comme si j'étais un vase qui venait d'être traversé par une balle de tennis.

— Salut, dit-il. Bon, je voulais te parler ici parce que... c'est compliqué, en fait.

Ça y est, le mot est sorti. Le mot qui a fait séparer nombre de gens, qui en a blessé tant d'autres. Et qui gâche toujours tout, c'est pire que les ruptures, c'est bien pire que les divorces. Ce mot, à lui seul, te fait comprendre l'intention de l'autre. Il te fait comprendre qu'il n'en peut plus et qu'il a besoin de se détendre loin de la personne. Malgré tout, j'arrive tout de même à m'inquiéter. Je sens que dans ces mouvements, il y a quelque chose de mécanique, pour autant j'en fais abstraction.

— Hey, tu es en avance pour une fois. — Ouais, tu as vu, me dit-il. Juste... je voulais qu'on parle. — Bien sûr, de quoi ? J'essaie de prendre l'air le plus innocent possible, bien que je fronce les sourcils, et mon anxiété reprend le contrôle. Même si je suis un peu intriguée de ce qu'il va me dire. — J'ai réfléchi à pas mal de trucs. Et je crois que... c'est mieux si on prend nos distances. — Le temps semble s'arrêter, comme si ce qu'il venait de dire avait figé tout mon être sur place. — Quoi ? Pourquoi ? Tu veux dire... arrêter de se parler ? — Oui, je pense que c'est mieux comme ça. — Pourquoi ? Est-ce que j'ai fait quelque chose qui t'a embêté ? Tu balances ça comme si c'était rien ! — C'est justement ça, on tourne en rond. Tu comprends jamais quand j'ai besoin d'espace, tu t'accroches à tout. Tu es là tout le temps. — Donc tu étouffes ? — Oui.

— Donc maintenant, être présente, ça te dérange ? (Je sais que je ne devrais pas être blessé à ce point, mais je ne peux m'empêcher de ressentir un couteau transpercer mon cœur.) Tu as toujours dit que tu avais besoin de moi. Tu oublies tous les moments où je t'ai soutenu ? — Je ne t'ai jamais demandé de tout porter pour moi ! C'est toi qui t'imposes partout, tout le temps, et quand j'essaie de respirer, tu prends ça comme une attaque. — Parce que tu es incapable de dire les choses ! Tu fais genre tu veux du calme, mais tu effaces les gens comme si c'étaient des erreurs. Je ne suis pas une erreur, Blake ! — Ce n'est pas ce que j'ai dit. Je dis juste qu'on n'est plus bons l'un pour l'autre, pas comme amis, pas comme on est maintenant.

Ma voix est brisée, l'émotion que je redoutais tant est enfin arrivée. La douleur, la douleur d'avoir perdu quelqu'un, un proche ou ne serait-ce qu'un membre de la famille. Les larmes commencent à me monter, pourtant j'essaie de les retenir tant bien que mal.

— Tu n'es qu'un lâche, dis-je. Tu n'as même pas le courage de voir à quel point tu me blesses.

Lui reste silencieux. Il baisse un peu les yeux sans vraiment le faire. Il semble ne pas réaliser l'impact qu'il a sur moi, l'impact de cette trahison.

— Je suis désolé, mais c'est fini.

Et comme il est arrivé, avec son air confiant et serein, il part. Sans se retourner, de loin je vois qu'il rejoint ses amis qui rient et parlent fort. Mais moi, la tête penchée, je souris et rigole de plus en plus fort. Les passants me regardent de travers, mais moi, moi j'ai perdu ce qui me retenait.

J'ai perdu mon meilleur ami, le garçon que j'aimais. Il a prononcé les mots les plus destructeurs, ceux qui brisent tout avenir. Mon corps ne m'obéit plus, il avance tout seul, d'abord en marchant puis en courant. Je me dirige naturellement à l'entrepôt. Margot et Diego, qui sont de garde, se retournent brusquement en entendant la porte de l'entrepôt s'ouvrir. Margot est la première à se précipiter vers moi pour me rattraper avant que je ne tombe par terre. Je ne peux plus supporter la douleur dans mon corps ni la fatigue qui s'est accumulée. Mon corps veut juste pleurer et crier de douleur encore et encore. Diego, qui a rejoint Margot, appelle du renfort, mais mon cerveau ne veut plus entendre les sons extérieurs. Il veut être dans ce petit trou, dans le noir où il ne fait ni chaud ni froid.

Le lendemain, je me suis réveillée chez moi, dans mon lit. Personne autour de moi, juste le silence pesant. Je me lève difficilement de mon lit, mes muscles sont endoloris. Je ne me souviens de rien, je crois que tout est devenu noir juste après que Blake m'a détruite. Je me dirige vers les escaliers, mais soudain un flash m'éblouit. Je me revois en train de courir dans la rue, passant d'une rue à une autre sans savoir où je vais, sans savoir s'il y a le moindre danger. J'ignore tout ce qui m'entoure, je cours et c'est tout ce que je fais. C'est tout ce dont je me souviens. Pris d'un vertige, je m'effondre dans les escaliers, mais je réussis à me raccrocher à la rampe avant la dernière marche. Je me laisse doucement glisser sur la dernière marche puis sur le sol.

Je me relève difficilement. Je titube dans le salon, observant cette maison où j'ai longtemps subi des abus, mais là, quelque chose m'interpelle. Je ne ressens plus rien. Autrefois, je me sentais oppressée, à l'étroit, j'avais toujours ce côté d'insécurité qui planait, cette peur constante, cette nervosité, et j'en passe. Mais là, rien, je suis comme une coquille vide. Je ne me sens pas libérée d'un poids, ni même en avoir un sur les épaules. Je crois juste que mon cœur a arrêté de fonctionner, laissant place au cerveau qui se protège et réfléchit.

Quand j'arrive enfin à trouver un miroir, je me regarde et n'y vois qu'un corps mort. Ma peau est pâle comme un macchabée, mes yeux sont cernés de cernes épaisses, à croire que mes cernes en ont aussi. Ma tenue est celle, il me semble, d'hier, mais plus froissée et abîmée. Soudain, on toque à la fenêtre du salon. Je m'y dirige sans me questionner plus que ça et ouvre la fenêtre, la porte de la baie vitrée du salon. Sans prévenir, Margot se jette sur moi et m'enlace de toutes ses forces.

— Je me suis tellement inquiétée pour toi. — T'es pas censée être muette ? Ou je ne sais quoi ? — Oui, c'est vrai, je l'oublie parfois. — Je plaisante, je sais que tu guéris petit à petit. — Oui, et grâce à ce psy que tu m'as recommandé, je vais mieux, même si je bégaye un peu. — Et c'est déjà un progrès. — Oui, d'ailleurs, tu nous as fait une belle frayeur hier. — J'ai eu un black-out.

Elle ne répond rien, comprenant la situation. C'est une personne brillante qui pourrait faire partie des forces de police ou même devenir journaliste, si elle ne faisait pas partie de ce gang. J'ai toujours pensé qu'elle aurait eu une carrière mémorable en tant qu'agent de renseignement. Pourtant, elle est là, en face de moi, à me fixer sans aucun jugement. Elle m'aide à m'asseoir sur le canapé, puis elle part fermer la porte-fenêtre. Elle se rassied à côté de moi sur le canapé, puis quelques minutes passent dans le plus grand des silences. Elle m'observe du coin de l'œil sans insister. Et moi, je cherche un point invisible pour ne pas chavirer dans l'obscurité totale.

— Parle-moi, je ne ressens rien. — Je suis mal placé pour te comprendre. — Merci de ton honnêteté. — Très drôle.

Je rigole un peu à son ton sarcastique, même si ma première tentative de faire une blague pour la rassurer n'a pas marché. Elle a tout de même voulu rattraper le coup. C'est très courageux de sa part, mais mon petit rire n'avait aucune joie, aucune émotion précise, juste un ricanement qui paraissait sinistre.

— Tu veux que je reste un peu... ou tu préfères être seule ? — Même si je parle pas ? — Oui. — C'est Blake ? — Je ne ressens rien. Ni colère, ni tristesse. Comme si on m'avait débranchée de l'intérieur. — Parfois, le cerveau coupe le courant pour pas que le cœur explose. — Et le pire... c'est que je sais même plus si j'en veux à Blake. Il avait peut-être raison. — Il t'a lâchée comme une vieille chaussette et t'oses dire qu'il avait raison ? Non. Il t'a trahie. Et t'as le droit d'avoir mal.

Je regarde dans le vide, mon regard dérivant vers un point invisible.

— J'ai pas mal, c'est ça le problème. Même ça, j'arrive plus à le sentir. Comme si mon corps attendait que quelqu'un d'autre me dise quoi ressentir. — Alors laisse-moi te dire un truc : t'as le droit d'être en morceaux. Mais t'es toujours là. Et t'es pas seule. T'as le droit de t'éteindre un moment, mais pas de disparaître. Dit-elle en me prenant la main et la serrant. — Tu crois qu'on peut revenir d'un truc comme ça ? Revenir à soi, quand on sent plus rien ? — Avec les bonnes personnes... ouais, je pense. Regarde-moi, j'étais un fantôme pendant un an. Et maintenant je parle. Mal, mais je parle. — T'étais plus flippante quand tu parlais pas. — Et toi t'étais plus vivante quand tu te foutais de tout. — Peut-être que je reviendrai. — Pas 'peut-être'. Tu vas revenir. Et Blake ? Il verra un jour ce qu'il a perdu. Toi, t'as pas fini de te battre. — J'espère juste que ce soit pas pour rien. — Rien chez toi n'a jamais été pour rien, Émia. Même ton silence a toujours fait plus de bruit que les cris des autres. — Tu vas me prendre pour une folle, mais... faut que je te dise un truc. — Je suis littéralement un zombie émotionnel, Margot. Tu peux tout me dire, je suis immunisée. — Je vais à une soirée. Dans trois jours. Et c'est pas n'importe quelle soirée... j'y vais pour revoir quelqu'un, dit-elle avec un petit sourire. — Revoir qui ? Attends... tu parles pas de l'inconnu ? — Celui-là, ouais. J'ai recroisé sa trace. C'est flou, mais il sera là. Il connaît des gens du cercle. Et je... j'ai besoin de le revoir. — Je hausse un sourcil, d'un air moqueur mais tendre. — Toi, la plus mystérieuse des filles, tu cours après un inconnu ? C'est la fin du monde, c'est ça ? — Peut-être. Ou peut-être que c'est le début de quelque chose. J'ai passé trop de temps à me contenter de ce que j'ai, alors je voudrais juste essayer. — T'as de la chance. J'aimerais pouvoir être aussi folle que toi. — C'est pas de la folie, Émia. C'est juste... oser encore croire qu'un truc doux peut arriver. Même au milieu du bordel. T'as été forte pour moi. Laisse-moi faire pareil maintenant. — Tu sais que t'as pas le droit de tomber amoureuse d'un type chelou avant que je t'aie rencontrée. — Marché conclu. Je te le présente si j'arrive à lui dire autre chose que "bonjour" sans bégayer comme une imbécile, répond-elle en rigolant. — Fais gaffe à toi, Margot. Les inconnus, même mignons, ça reste... inconnus. Et t'as pas besoin d'un drame de plus. — Je fais attention, je te promets. Et si y a quoi que ce soit de louche... je te préviens. Tu seras ma garde du corps officielle. — T'es tout ce qu'il me reste de vrai. Alors fais pas la connerie de disparaître, toi aussi. — Jamais.

Nous restons silencieuses quelques instants. Puis Margot pose sa tête contre mon épaule. Le temps semble suspendu dans ce salon qui a longtemps été une prison, mais où, pour une fois, l'air semble respirable. Les jours défilent et je ne suis toujours pas sortie de chez moi. J'ai gardé le contrôle sur le gang, mais j'ai confié les rênes à Diego et Margot, qui sont aptes à prendre la relève. Mais pendant ces quelques jours où seule Margot venait me voir, j'ai réfléchi.

Tout d'abord, je vais me rendre à cette soirée. Si Margot a besoin de moi, alors je vais l'aider. Cela me permettra, en plus, de découvrir l'inconnu qui la drague pendant tout ce temps. Mais aussi, cela me permettra de me détendre et de devenir normale le temps d'une soirée, de devenir une simple fille bourrée qui avait envie de décompresser.

Mais je garde tout de même en tête mon objectif principal, cet inconnu. Cela fait un moment que Margot a eu pour objectif de se soigner, chose que j'ai appréciée de sa part et encouragée. Margot a subi un traumatisme durant son enfance, ce qui l'a profondément affectée. C'est d'ailleurs la cause de son mutisme sélectif. Mais si elle souhaite changer pour devenir quelqu'un de forte, alors je lui souhaite tout le bonheur du monde. Au début, elle voulait que je la guide puisque je suis la seule de mon gang à être allée à l'école. Je lui ai donc conseillé d'aller voir un ou une psy à distance. Cette méthode existe pour les personnes qui habitent trop loin ou pour les cas comme Margot, généralement avec un appel vidéo, mais dans son cas, je lui ai proposé de le faire par message. C'est ainsi que nous avons pu trouver quelqu'un qui, au fil des mois, l'a aidée à guérir doucement.

J'étais heureuse de voir qu'elle arrivait à parler avec d'autres personnes que moi ou Diego. Elle, comme toutes les personnes de mon gang, sont des êtres humains abîmés par la vie qui attendent de se reconstruire. Même si ce n'est pas moi qui ai créé ce gang, je reste le pilier le plus important de chacun. Ce gang leur offre la liberté et la sécurité, ce qui, je pense, les a libérés d'un poids.

Ce soir est le soir où je vais avec Margot rencontrer cet inconnu qui l'a aidée et séduite. En arrivant devant la maison censée nous accueillir, je ne ressens qu'un peu d'excitation. C'est une maison moderne et élégante située dans un cadre tropical. La maison est de style contemporain avec des lignes épurées et de grandes fenêtres, offrant une vue dégagée sur l'extérieur. Il y a des lumières multicolores qui inondent le ciel noir, et les étoiles préfèrent fuir. J'aimerais être ces étoiles qui brillent de mille feux pour ceux qui savent les regarder et qui disparaissent pour les idiots. Les murs et le sol tremblent légèrement car la musique est projetée par de grands haut-parleurs sans péter les tympans. Nous passons dans plusieurs salles remplies de gens, puis nous arrivons à l'arrière de la maison. Elle est entourée de palmiers et dispose d'une piscine bien éclairée, ajoutant une touche de luxe et de détente. La terrasse est meublée avec des chaises et des canapés, créant un espace de vie extérieur confortable s'il n'y avait pas tout ce monde acculé dessus.

Je parcours la foule du regard pour aider Margot à trouver son inconnu, mais mon regard s'arrête sur Blake qui se trouve entouré de toutes les personnes les plus influentes et populaires du lycée. De ce que je sais, cette fête regroupe certains gangs et des dealers. Les mafias et les gangs du pays collaborent avec moi, donc je n'ai rien à craindre. Ce qui m'inquiète, ce sont les dealers. Ils ont leur propre réseau, comme les trafiquants. Il y a une différence entre les dealers, les trafiquants et les mafieux. Ces derniers, même s'ils combinent drogue et trafic, restent surtout dans le blanchiment d'argent, les entreprises frauduleuses et parfois les escroqueries, contrairement aux autres qui se sont spécialisés.

Pour le moment, je reste avec Margot, surveillant de loin Blake. Ce dernier fait tout pour plaire à ses nouveaux amis et obéit à leur moindre demande, ce qui me met en colère. Il devrait se sentir humilié, mais non, il préfère obéir. Il est presque pitoyable. Soudain, Margot me secoue le bras très fort, ce qui ne présage rien de bon. Elle pointe du doigt un lieu qui est vide, une ironie, mais un homme est là à attendre.

J'essaie d'identifier l'homme comme je peux, mais je retiens simplement sa tenue, que je note rapidement sur mon téléphone, espérant trouver dans le registre de la police un signalement. Après notre discussion sur Blake il y a quelques jours, j'ai pris l'initiative de pirater les données de la police. Je ne voulais pas que Margot retombe sur son passé à cette soirée. Elle a voulu aller de l'avant et se reconstruire, donc il est normal, en tant que chef de gang et amie, que je l'aide. Margot me regarde du coin de l'œil, excitée et anxieuse. Je la rassure en lui montrant les résultats non probants, ce qui la rassure un peu.

Nous avançons vers cet inconnu, qui semble être celui qui a su capter son attention. Margot vérifie plusieurs fois que le lieu de rendez-vous correspond, et il semble qu'il n'y ait pas d'erreur. Arrivée à son niveau, je me décale pour leur laisser leur espace personnel, mais pas très loin et prête à intervenir à n'importe quel moment.

L'homme s'est retourné et a souri à Margot ; rien que pour ça, je suis prête à le castrer. Margot bégayait, l'inconnu lui sourit et la rassure. Petit à petit, elle se détend, au point où elle bégaye de moins en moins. Moi, pendant ce temps, je fais une reconnaissance faciale pour l'identifier maintenant que je vois son visage. Toujours rien, cela me rassure encore un peu plus, et de ce que j'ai pu observer, il n'y a rien de louche chez lui. Je commence donc à m'éloigner petit à petit, car je sais que si je la surprotège, elle se sentira étouffée. Il faut qu'elle prenne son envol seule.

Mon regard dérive instinctivement vers Blake qui m'a maintenant vue. Il me fixe, mais son regard me brise un peu plus que je ne l'étais. Il me regarde avec une forme de mépris, de haine et de dégoût. Ses amis arrivent à le distraire, mais il semble me surveiller. Je suis à la vue de tous, me sentant mal à l'aise. Je me rapproche des toilettes qui sont proches de la sortie, me donnant un angle de vue parfait pour surveiller Margot et Blake. Ce dernier agrippe mon bras. Surprise de le voir à côté de moi, je le regarde silencieusement, gravant les traits de son visage d'adolescent.

— Tu plaisantes, là ? Qu'est-ce que tu fous ici ? me dit-il. — Blake. J'ai le droit d'être là, non ? — Tu devais plus jamais me reparler. Alors pourquoi t'es là ? Tu me suis maintenant ?

— Lucas ? Il te déteste. Il t'a traité de "psychorigide" devant toute la classe il y a deux semaines. — Il a changé d'avis... — T'es sérieuse là ? T'as jamais mis un pied à une de ces soirées. — Peut-être que j'essaie de changer. D'être moins... "lourde", comme tu disais. C'est ça que tu voulais, non ? Que je disparaisse ? Bah regarde, je suis une invitée parmi d'autres. T'as gagné, dis-je emportée par cette vague de colère que je pensais inexistante. — Non. Tu joues un rôle. Tu m'espionnes presque, et maintenant tu sors des excuses bidon. Qu'est-ce que tu caches, Émia ? — Je ne cache rien, d'accord ? Lâche-moi un peu. — Tu regardes tout le monde comme s'il allait se passer un truc. C'est pas toi, ça. Tu surveilles... qui ? Moi ? Y a un problème ici ? Tu sais quelque chose ?

— Tu veux la vérité ? OK. Je suis venue parce que... j'avais peur que tu te ridiculises encore. Comme au barbecue l'an dernier. T'as trop bu, t'as pleuré pour ton chat. J'ai voulu éviter une rediffusion gênante. — C'est ça ton excuse ? Me protéger de moi-même ? T'as jamais été une bonne menteuse, Émia. — Tu devrais juste... éviter de t'attirer des ennuis ce soir. Fais-moi confiance. Même si tu me détestes. — Tu me demandes de te faire confiance alors que tu me mens en pleine face ? Je vois pas comment tu protèges qui que ce soit en jouant les ombres, dit-il, lui aussi de plus en plus en colère, avec un ton méprisant. — Parce que si je dis quoi que ce soit... quelqu'un risque gros. Pas juste moi. Et sûrement toi aussi.

Blake me fixe un moment. Il ouvre la bouche pour répondre, mais se ravise. Je détourne les yeux. L'ambiance devient glaciale autour de nous malgré la musique. Puis Blake s'éloigne lentement, sans un mot. Je reste seule, tendue, les yeux rivés vers la porte d'entrée qui sert aussi de sortie, d'échappatoire. Puis, les larmes aux yeux, je regarde Margot, qui a disparu.

Mon cœur s'emballe pour une raison qui m'échappe, et sans réfléchir, je cours dans la direction de ce lieu isolé où je l'ai laissée seule avec lui. En arrivant, je remarque que ce coin est en fait un passage menant à l'extérieur sur un parking où quelques voitures sont garées. En regardant derrière moi, je remarque que nous sommes sur le flanc droit de la maison de Luka. J'entends une conversation au loin, proche de l'endroit où je me trouve. En tendant l'oreille, j'arrive à distinguer la voix de Margot et celle d'un homme plus âgé que celui rencontré tout à l'heure. Je me rapproche à grandes enjambées, presque en courant. Cette fois, je peux clairement entendre la deuxième voix, qui me fige sur place et me transforme en statue de pierre.

— Tu n'as pas à avoir peur, Margot. Si je t'avais voulu morte, tu ne serais pas ici. Tu es là parce que tu comptes pour ma fille.

Mon père...

Sans m'en rendre compte, je me suis avancée instinctivement pour voir la scène : Margot attachée et tenue par des hommes sûrement armés, et mon père, que je croyais mort depuis mes 12 ans, tourne son regard vers moi et sourit de toutes ses dents.

— Tu sais, on pense toujours que la mort est la fin. Mais non. Parfois, c'est juste un point de suspension. — Tu devrais être mort. C'est ce qu'on a toujours cru. — Oui, c'est ce que tu crois. Que je t'ai abandonnée. Que je me suis effacé. Mais on ne disparaît pas si facilement... pas quand on a été trahi. — Par qui ? — Par Gaëlle. Elle a envoyé ses chiens tuer toute ma famille : tes trois frères, ma femme, moi. C'était un règlement de comptes, déguisé en purge. Sauf que moi... je suis resté en vie. Ce genre de miracle, on l'interprète comme un appel à se taire. Moi, je l'ai pris comme un ordre d'observer. — Et tu m'as... regardée grandir, souffrir, me briser, sans rien faire ? — J'ai vu chaque larme, chaque nuit blanche, chaque mot que tu as ravalé. Mais tu crois quoi ? Qu'un homme qu'on croit mort peut débarquer et réparer ce qui a été brisé ? J'aurais aimé être la personne qui te brise. — Tu ne crois pas que j'aurais préféré savoir que tu étais en vie ? Même caché ? Même loin ? — Peut-être. Mais la peur m'a dicté autre chose. Et puis... tu as elle. Et ce garçon, Blake. Même si lui aussi, il l'a abandonnée. Mais on y reviendra.

Doucement, je relie un élément : cet homme dont Gaëlle m'a prévenue, qui me surveillait, c'était lui.

— Parlons de toi, maintenant, Margot. Tu sais que j'ai hésité avant de t'emmener ici. Tu n'étais pas ma cible. — C'est censé me rassurer ? dis-je. — Mais tu es la clé. Tu as toujours été là, à ses côtés. Fidèle. Silencieuse. Et ça... ça attire l'attention. Tu crois aux coïncidences ? Moi non. — Qu'est-ce que tu veux dire ? — L'homme qu'elle a rencontré à cette soirée. Celui qui la faisait sourire. Ce n'était pas un hasard. C'était un de mes hommes. — Quoi... ? dit Margot, les larmes commençant à perler sur ses joues. — Un agent d'observation. Il avait pour mission de me dire si elle devenait... une gêne. Il a juste été un peu trop bon dans son rôle. Il a joué le charmeur... et elle l'a suivi.

— Je vous ai protégées. C'est ce que font les pères qu'on essaie de tuer. Ils prennent les armes dans l'ombre, pendant que les enfants vivent à découvert. Et ce Blake... Je l'ai vu fuir quand elle avait besoin de lui," dit-il avec un ricanement sans joie et sinistre. "Lui, il n'a pas été une gêne. Il a été un atout. — Ce n'est pas à toi d'en juger ! Tu m'as condamnée à vivre dans un mensonge ! Et maintenant, tu reviens comme une ombre, tu m'entoures sans que je sache, et tu décides qui je dois fréquenter ? Qui elle aime ? Tu joues à quoi ? — Je joue à survivre. Et à te permettre de faire pareil.

Silence.

— Je ne suis pas ton ennemi, Émia. Mais tu devais savoir. Parce que ce qui vient ensuite... sera bien pire que tout ce que vous avez vécu. Et si tu veux qu'elle s'en sorte, il faut que tu sois prête. — Et si je ne veux pas ? Si je te rejette ? — Alors je resterai l'ombre.

Sur ces mots, il relâche violemment Margot qui tombe par terre. Je me précipite vers elle, glisse un bras sous ses genoux et un autre dans son dos, et la soulève doucement en fixant la silhouette de mon père et les deux hommes partir et disparaître dans les ombres de la rue. Et tout ce que je ressens est une envie de meurtre.

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