Les échecs humains (partie 1)

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Quatre mois avant les retrouvailles entre Chris et Mickael.

La ville de Snakefield était enveloppée d’un manteau immaculé, tout de neige vêtu. Les fêtes de fin d’année battaient leur plein, et comme à leur habitude, les habitants en profitaient pour célébrer absolument partout. Des boîtes de nuit aux bars, jusque dans le moindre appartement étudiant de vingt mètres carrés, chaque lieu devenait un terrain de fête.

La boîte de nuit la plus prisée de la ville, et sûrement même du pays, s’appelait « La White Snake House ». Les fêtards du monde entier s’y rendaient pour danser et s’enivrer, peu importe la saison.

En ce 31 décembre, la White Snake House promettait une soirée inoubliable, comme chaque année à cette période. L’engouement était tel qu’il fallait réserver sa place plus de trois mois à l’avance. Les billets partaient comme des petits pains grâce à leurs prix attractifs.

— Allez, dépêche-toi ma chérie, on ne doit surtout pas arriver en retard ! – dit un homme surexcité.

— Et comment veux-tu qu’on arrive en retard à une soirée qui dure jusqu’à cinq heures du matin, Paulo ? – répondit une jeune femme en train de se maquiller.

— Vu comment tu étales ton fond de teint comme une sextagénaire en perte de motricité, on risque d’y être encore l’année prochaine, Judith !

— Hahaha… très drôle. Mais c’est grâce à ma minutie que tous les mecs de la White vont tomber sous mon charme !

— La seule minutie que tu me fais perdre, ce sont les minutes de mon temps. Donne-moi ce pinceau ! – s’exclama-t-il en le lui arrachant des mains.

— Mais rends-le-moi ! – ordonna-t-elle en rigolant. – Et ce que tu viens de dire n’a aucun sens !

S’ensuivit une chamaillerie comme à leur habitude. Judith et Paulo étaient étudiants à la SSHS, tout comme Chris.

Judith avait vingt et un ans. Originaire d’Amora, elle mesurait un mètre soixante-dix-huit, ses cheveux bruns foncés encadraient un visage illuminé par des yeux d’un marron éclatant.

Paulo, lui, venait d’un autre pays, Lumina, situé sur le même continent. Âgé de vingt-deux ans, il mesurait un mètre quatre-vingt-cinq. Ses longs cheveux noirs, son corps d’athlète et son sourire charmeur ne laissaient personne indifférent, ni les hommes, ni les femmes, qui étaient bien peinées de savoir qu’il n’était pas de leur bord.

Après s’être enfin préparés, nos deux amis se dirigèrent vers la plus grande soirée du 31 décembre, à la White Snake House.

Une fois sur place, ils n’en crurent pas leurs yeux. La boîte de nuit resplendissait sous les néons rouges et dorés. À l’entrée, un tapis rouge avait été déroulé et, de chaque côté, des figurants jouaient les paparazzis, flashes à la main, comme si chaque invité était une célébrité.

Judith et Paulo surent y faire honneur. Tous deux portaient de longues fourrures : l’un en imitation de peau de dalmatien, l’autre en imitation de renard. Au fil de leurs pas, leurs manteaux s’ouvraient, laissant apparaître leurs tenues de soirée flamboyantes.

À l’intérieur, la fête battait son plein. La chaleur envahissait la salle, les basses résonnaient dans chaque recoin et l’air sentait le mélange de parfum, de sueur et d’alcool.

Judith et Paulo se laissèrent happer par l’ambiance. Ils enchaînèrent les danses effrénées, portés par les rythmes électrisants, et multiplièrent les verres sans vraiment s’en rendre compte.

La White Snake House vibrait. Partout, des corps se frôlaient, se mêlaient et se pressaient avec une sensualité presque irréelle. L’énergie collective emportait tout sur son passage.

Judith attira rapidement l’attention. Plusieurs hommes vinrent lui proposer de danser, tout comme Paulo.

Emportés par cette transe collective, Judith et Paulo finirent par se perdre de vue.

Complètement paniqué, Paulo se mit aussitôt à chercher son amie.

Il se fraya un chemin à travers la foule compacte. Les lumières stroboscopiques lui faisaient tourner la tête autant que l’alcool, et chaque pas lui paraissait de plus en plus lourd.

Il appela Judith plusieurs fois sur son portable, sans réponse. Le vacarme de la musique et des cris de fête rendait toute tentative inutile.

Heureusement, Judith et lui avaient pour habitude de partager leur localisation en temps réel. En consultant son téléphone, Paulo vit que le signal provenait du parking arrière.

Le cœur battant, il sortit de la boîte en titubant légèrement et courut en direction du point indiqué. L’air froid de la nuit lui fouetta le visage, contrastant brutalement avec la chaleur suffocante de la piste de danse.

— Judith ! Judith, c’est Paulo ! Je suis fatigué chérie, viens, on rentre !

Mais en arrivant au signal, il s’arrêta net.

À ses pieds, il ne trouva qu’une seule chose : le téléphone de Judith, posé à même le bitume gelé.

L’alcool s’évapora instantanément de son esprit. Une sueur glaciale lui parcourut le dos.

Et c’est alors qu’il comprit…

Judith avait disparu.

La fête prit brutalement fin. Les rires et la musique furent remplacés par les sirènes hurlantes qui résonnaient dans toute la ville. La disparition de Judith avait déclenché l’alerte générale : policiers, enquêteurs et vigiles de la White Snake House quadrillaient désormais les lieux.

Snakefield était déjà en proie à une inquiétude croissante. Judith n’était pas la première à disparaître mystérieusement ces dernières semaines, et chacun craignait d’être le prochain.

Le lendemain, Paulo, dévasté, après avoir pleuré toute la nuit, priait sans relâche pour qu’on la retrouve, incapable de chasser de son esprit le pire des scénarios.

Mais il ignorait encore qu’à cet instant précis, bien plus loin, dans un lieu caché aux yeux de tous…

— Où suis-je… ? – murmura Judith en entrouvrant les yeux, la voix tremblante.

— Ah, ça y est, tu es réveillée. – s’étonna un homme enchaîné juste à côté d’elle.

En tentant de bouger, Judith sentit aussitôt le froid du métal mordre ses poignets. Elle aussi était enchaînée. L’endroit était plongé dans une obscurité suffocante. Seule la faible lueur d’une lampe lointaine dessinait les contours d’une immense cage.

Ils étaient une dizaine enfermés là : des femmes, des hommes, et même un bébé, tous reliés par des chaînes rouillées. Leurs visages portaient la marque de l’épuisement et de la peur.

Judith tourna lentement la tête vers l’homme qui venait de lui parler. Ses vêtements n’étaient plus que des lambeaux déchirés, maculés de sang séché. Sa barbe sale, ses traits tirés… il ressemblait à un sans-abri que la souffrance avait brisé. Depuis combien de temps survivait-il dans cet enfer ?

— Monsieur… s’il vous plaît… dites-moi où on est ?

— Ça, je ne sais pas. – répondit-il d’une voix rauque, presque éteinte. – Mais ça va bientôt commencer.

Judith sentit son cœur s’emballer.

— Hein… quoi ? Qu’est-ce qui va commencer ?

— Le jeu. – ses yeux vides se levèrent vers le plafond invisible. – Le jeu d’échecs humains… maintenant qu’il y a assez de pions, il va bientôt commencer.

Le désespoir dans son regard glaça Judith jusqu’à la moelle.

Quel est ce jeu d’échecs humains !?

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