Réalité imposée

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Pris de rage face à cette scène, Chris et Mickael bondirent sur les agresseurs. Bien qu’ils soient encore éméchés, ils les firent fuir sans trop de difficulté.

Chris s’approcha aussitôt de Paulo pour l’aider à se relever.

— Ça va ? Ils ne t’ont pas fait trop mal ? – demanda-t-il en lui tendant la main.

— J’ai pas besoin de ta pitié, lâche-moi ! – répliqua Paulo, rejetant son aide.

Malgré la brusquerie du ton, Chris ne s’énerva pas. Il comprit immédiatement que Paulo était encore sous le choc.

— Tu t’appelles bien Paulo, c’est ça ?

— Tiens, j’savais pas que j’avais un stalkeur sur le dos.

— Non… mais tu es l’ami de celle qui a disparu, Judith. On est nous aussi de la SSHS, je t’ai vu aux infos.

Mickael, qui s’était approché à son tour, demanda calmement :

— Pourquoi ils t’ont fait ça ?

— Qu’est-ce que j’en sais, moi !? Tu veux que j’aille leur demander, peut-être !?

La froideur de Paulo envers ses sauveurs fit grincer Eva.

— Eh oh ! Ils sont venus t’aider, je te rappelle ! Alors tu pourrais au moins dire merci, au lieu de nous parler comme si on avait insulté ta famille !

Paulo, conscient d’avoir dépassé les bornes, se calma aussitôt. Il s’excusa maladroitement, puis leur expliqua que, depuis la disparition de son amie Judith, il arpentait la ville chaque nuit pour remettre les avis de recherche que certains prenaient soin d’enlever.

— Je comprends la démarche. – répondit Chris. – Mais pourquoi faire ça aussi tard ?

Paulo prit quelques secondes avant de répondre, comme s’il hésitait à leur dire la vérité. Puis il finit par tout révéler :

— Je fais ça tard, car… je me dis qu’en sortant à ces heures-là, peut-être que ceux qui ont kidnappé Judith sortiront de leur cachette, et je pourrais enfin la retrouver.

Eva, décontenancée, le fixa les yeux ronds.

— Mais tu es complètement malade ! – s’écria-t-elle. – À quoi ça te servira de te faire kidnapper toi aussi !?

— Grâce à ça, je retrouverai enfin ma meilleure amie ! Et j’ai caché un émetteur sous ma peau, comme ça la police pourra nous retrouver.

— Je vois. – répondit Chris, le regard sérieux. – Et ces gars-là, qu’est-ce qu’ils te voulaient ?

— Je venais juste d’afficher l’avis de recherche, et ces connards l’ont arraché ! Alors j’me suis énervé… et en me voyant avec mon maquillage, j’imagine qu’ils ont voulu me faire comprendre que les gays n’avaient rien à faire ici !

Soudain, le visage de Paulo se crispa de plus en plus.

— De toute façon, c’est toujours comme ça… À croire que vivre sa vie dans son coin, c’est jamais suffisant. Il faut toujours qu’il y ait des gens pour–

— T’imposer leur réalité. – termina Chris d’une voix calme.

Paulo le fixa, surpris.

— Oui… un truc du genre, ouais… – murmura-t-il.

Chris, lui, demeura silencieux. Son regard se perdit dans le vide, comme s’il voyait au-delà d’eux.

— Il faudrait un monde où… chacun pourrait vivre sans « subir » la réalité des autres… – dit-il doucement.

Face à lui, Paulo resta sans voix. L’écho de ses mots résonna étrangement dans la ruelle. Une atmosphère étrange, presque mystique, flotta quelques instants entre eux, suspendue dans l’air froid de la nuit.

— Bon ! – s’écria Mickael. – Paulo, tu rentres avec nous ! Même si ton plan pour secourir ton amie a l’air sympa, ce ne sera pas ce soir que tu l’exécutes !

Paulo, décontenancé par la tournure des événements, comprit qu’il n’avait pas vraiment le choix. Le ton de Mickael, bien que bienveillant, ne laissait aucune place à la discussion.

Ils reprirent donc tous la route ensemble, dans un silence d’abord pesant, qui laissa peu à peu place à une ambiance plus légère. Entre rires nerveux et discussions maladroites, le groupe retrouva un semblant de bonne humeur.

Une fois Paulo déposé à l’infirmerie de l’école, chacun regagna sa chambre.

En ouvrant la porte de la leur, Chris et Mickael virent bel et bien Judes, allongé sur son lit. Lorsqu’ils lui demandèrent si tout allait bien, Mickael sentit dans sa réponse, pourtant positive, une hésitation, un malaise enfoui.

Connaissant son ami depuis toujours, il sut qu’il valait mieux ne pas insister. Alors, soulagé de le voir sain et sauf, il se contenta d’un sourire avant d’aller se coucher.

Pendant ce temps, un peu plus loin de l’école, dans un endroit caché :

— Alors ma chérie, as-tu aimé ? Tu es une fille bien plus endurante que tu n’en as l’air… Judith. – déclara Heylel, allongé sur un lit.

Lui tournant le dos, feignant le sommeil, Judith restait immobile. Ses yeux, grands ouverts, brillaient dans la pénombre. Elle tremblait, les poings crispés contre les draps, incapable de prononcer le moindre mot.

Le silence régnait, seuls les battements précipités de son cœur résonnaient dans sa tête.

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