La seule personne qu’il me reste

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Quelques minutes plus tôt, dans la salle d’entraînement, Chris et Mickael s’affrontaient encore avec le projet Zodiaque.

À bout de souffle, les deux amis se fixaient pour reprendre l’exercice quand soudain :

GRAOU !

Ils tombèrent à genoux en même temps avant de crier d’une même voix :

— J’ai trop faim !

Après une bonne douche, ils se hâtèrent de chercher de quoi manger avant de redescendre dans la salle d’entraînement.

— Tu as appris sacrément vite à manier ton Zodiaque, Mickael !

— Ouais, ce truc est incroyable ! Ça me rappelle quand on se battait, toi, John et moi, en imitant des personnages de manga. D’ailleurs, t’es devenu sacrément balèze ! Tu peinais à courir trois cents mètres avant ! — lui lança Mickael en lui tapant dans le dos.

— Arrête ! Tu vas me faire avaler de travers, triple idiot ! Et ça, c’était avant ! — s’écria Chris, gêné.

— Oh, et d’ailleurs, tu ne m’as toujours pas dit comment tu as intégré la SSHS. Niveau intellectuel, c’est clair que ce n’est pas un problème, mais il faut un référent lié à l’école, non ?

Chris prit le temps de finir son plat de riz cantonais avant de répondre :

— Tu te souviens de notre professeur de technologie, en troisième ?

— Quoi ? Monsieur Mellef !?

— Eh oui. C’est un grand ami de Monsieur Sabimmia, rien que ça. Un jour, il lui parla de moi et lui recommanda de me faire entrer à la SSHS.

Mickael en resta bouche bée, au point d’en faire tomber sa bouchée.

— Comment notre prof de techno, qui enseigne dans un collège lambda, peut connaître le directeur de la plus grande école du pays ? — demanda-t-il. — Et surtout, pourquoi il ne lui demande pas de venir enseigner ici !?

— Haha, je me suis posé la même question. Il semblerait que Monsieur Mellef et Monsieur Sabimmia soient amis d’enfance. Ils ont même fait toute leur scolarité ici.

Chris but d’une traite sa bouteille d’eau avant de poursuivre :

— Il faut savoir que cette école appartient à la famille Sabimmia. Il était donc destiné à en devenir le directeur. Quand ce fut le cas, il proposa à plusieurs reprises à Monsieur Mellef de venir enseigner ici, mais celui-ci refusa chaque fois.

— Et ils ne t’ont pas dit pourquoi ? — demanda Mickael, intrigué.

— Non. Monsieur Mellef m’a juste dit un jour que ce n’était pas pour l’argent qu’il était devenu prof, mais rien de plus. Tout ce que je sais, c’est qu’ils se voient encore de temps à autre. Et malgré leurs différends, Monsieur Mellef n’a pas hésité une seconde à mettre tout ça de côté pour mon avenir.

Mickael observa le visage de Chris devenir sérieux. Il comprit aussitôt qu’il parlait avec une reconnaissance profonde envers leur ancien professeur.

— Monsieur Sabimmia aussi a l’air d’être très gentil. — ajouta Mickael.

— Oui, mais c’est justement ce que je trouve étrange. — répondit Chris.

— Comment ça ? — demanda Mickael, intrigué.

— La première fois que je l’ai rencontré, il ne m’a pas parlé de mes bulletins du collège, ni de mes notes. Il m’a simplement demandé :

« Quel est ton projet ? »

Le silence de la salle résonna brièvement avant que Chris ne poursuive :

— Je n’ai pas compris où il voulait en venir. Je lui ai donc expliqué mon idée de virtualiser des objets matériels. Puis, on a parlé de tout et de rien, de la vie de tous les jours… et c’est tout.

— Comment ça, « c’est tout » ? — s’interrogea Mickael.

— C’est tout ce qu’il fallut pour que je sois accepté à la SnakeScience HighSchool. Sur le coup, j’ai mis ça sur le compte de leur amitié, mais le temps passa, et après la mort de mon père, j’ai touché un énorme héritage. Les frais n’auraient donc pas dû être un problème. Et pourtant, quand j’ai abordé le sujet avec Monsieur Sabimmia, il m’a dit :

« De quels frais tu me parles, Chris ? Tu n’as pas besoin de payer. »

Mickael frissonna en entendant ces mots, exactement comme la première fois où il avait serré la main de Sabimmia.

— Tu vois ce que je veux dire, Micka ? Le directeur de la meilleure école du pays m’a accepté sans test, et sans me faire payer les frais de scolarité.

— C’est vrai que c’est étrange. — reconnut Mickael. — Mais en même temps, c’est une opportunité qu’on ne laisse pas passer.

— C’est exactement ce que je me suis dit. J’ai donc décidé de passer outre, mais j’ai quand même tenu à passer l’examen d’entrée. Je m’étais promis que si je le ratais, je refuserais son offre. Heureusement, j’ai obtenu 97 sur 100.

— Comme je le disais, niveau intellectuel, il n’y avait vraiment pas à s’en faire pour toi, hein ? Petit intello ! — taquina Mickael en frottant le crâne de Chris.

— Oui, oui, lâche-moi, Micka !

Les deux amis éclatèrent de rire, puis terminèrent leur plat avant de passer au dessert, une tarte aux pommes encore tiède.

— Bref. — reprit Chris. — Depuis ce jour, Monsieur Sabimmia m’aide comme si j’étais son fils. Regarde : il me laisse même utiliser une arme qui pourrait détruire des nations ! Mais surtout…

Chris s’interrompit, comme hésitant à dire la suite.

— Quoi ? Accouche, triple idiot. — lança Mickael, la bouche pleine de tarte.

— Tu ne trouves pas que « Kacimmia » et « Sabimmia » se ressemblent ? Et si ce mec était un membre de ma famille !?

Mickael s’arrêta net et fixa Chris avec un regard plein de jugement.

— Pourquoi tu me regardes comme ça !? — s’écria Chris.

— Donc, si je te suis bien… Tous les « Dupont » sont cousins ? Pareil pour les « N’guyen », les « Dramé », ou les « Moussaoui » ? Sérieusement ?

— Arrête de me faire passer pour un idiot ! Et si ça se trouve, ils sont vraiment de la même famille !

— Quoi !? Même Xavier Dupont de Ligonnès !?

— Arrête de détruire l’histoire, triple idiot !

Chris croisa les bras, boudeur :

— Bon, bon, j’ai compris, c’était stupide…

— Rooh, allez, arrête de bouder, va !

— La ferme ! Si Tata Ivalna était là, elle serait de mon côté ! D’ailleurs… comment va-t-elle ? — demanda Chris.

Mickael s’interrompit, le visage soudain grave. Il prit quelques secondes avant de reprendre, plus calme :

— Elle n’est plus de ce monde…

— Quoi !? Comment c’est possible !? — s’écria Chris, sous le choc.

— Quand John est mort, elle a sombré dans une profonde dépression… Mais c’est aussi à cause de la mort de Jelly.

Chris serra la mâchoire pour retenir ses larmes, le souvenir de sa sœur ravivant une douleur qu’il croyait enfouie.

— Jelena était la fille qu’elle n’avait jamais eue, et Jojo… son rayon de soleil. Je la voyais essayer de tenir bon, mais plus rien ne pouvait lui rendre sa joie de vivre. Alors, un jour, elle… elle a décidé de tout arrêter. — conclut Mickael, le regard baissé.

Le silence pesa lourdement entre eux. Puis, soudain, Chris se mit à rire. Un rire nerveux, incontrôlable. Mickael le fixa, perdu, ne comprenant pas ce qu’il voyait. Ce rire, pourtant, n’était qu’un masque : celui d’un homme en train de craquer. Les larmes ruisselaient sur ses joues, trahissant son effondrement intérieur.

— Décidément… la vie se joue bien de nous et de notre relation. — souffla Chris, en grattant sa cicatrice frontale. — Ça en deviendrait presque ridicule…

— Pourquoi tu dis ça, Chris ?

Il leva le menton vers le plafond, cherchant à contenir ses sanglots.

— Ma mère aussi s’est suicidée.

Mickael se figea.

— Quoi ? Tata Lumna… ?

— Oui. Elle aussi n’a pas supporté la « réalité » qu’on lui imposait. Elle s’est suicidée dans sa chambre d’hôpital. — répondit-il, la voix tremblante, toujours ce rire nerveux accroché à ses lèvres. — Il faut croire qu’elles s’étaient donné le mot.

Mickael détourna les yeux, la gorge serrée.

— J’espère juste qu’elles sont heureuses, là où elles sont maintenant… — murmura-t-il.

Chris hocha lentement la tête, puis reprit, d’une voix plus basse :

— Tu sais, Micka… Quand je t’ai revu après tout ce temps, j’avais peur. Peur que tout soit différent. Que toi et moi ayons tellement grandi qu’on n’ait plus les mêmes délires, plus la même complicité.

Mickael comprit immédiatement ce qu’il voulait dire. Il avait ressenti la même angoisse en retrouvant son ami.

— Mais maintenant, je suis rassuré. Oui… rassuré de voir qu’absolument rien n’a changé entre nous. Car tu es…

Sa voix se brisa. Toutes les émotions accumulées depuis des années explosèrent d’un seul coup. Chris fondit en larmes, incapable de contenir plus longtemps le poids de son passé.

— Tu es la seule personne qui me reste !

Les deux frères de cœur se prirent dans les bras, serrés comme s’ils craignaient de se perdre à nouveau. Leur enfance, leurs familles, leurs repères — tout avait été détruit. Il ne restait plus rien… rien, sauf eux.

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