Chapitre 39 : Descente d'organes.
Chuck avait le nez pointé sur l’horizon. Les bras calés dans son dos, il admirait les dernières rougeurs tomber dans le ciel. Derrière lui, Dossan battait de son fouet avec ferveur. Il devait être occupé à préparer des crêpes, ou des gaufres, quelque chose de cet ordre là.
Le bruit de la télévision courait en arrière-plan, auquel Marry, qui était recroquevillée dans le canapé, ne prêtait plus aucune attention depuis longtemps. Elle dessinait. Sans doute les prémices de sa prochaine collection. Cette dernière s'était bien acclimatée. Elle, ainsi que son culot ! Et cela n’avait pas été sans plaire à Dossan : la combinaison des deux amis était tout à fait amusante aux yeux de Chuck, qui au travers des fenêtres, les observait. Il y voyait tout. L’extérieur, bientôt éteint, comme la vie au sein du foyer. Elle ressemblait à un show sous ses yeux admirateurs, mais progressivement, son sourire s’effaça.
Presque vingt-quatre heures s’étaient écoulées. Il vérifia son téléphone une dernière fois avant de tourner la tête en direction de ses amis.
- Il faut que je rentre chez moi.
La déclaration leur fit chacun lever la tête, Marry stoïque, tandis que Dossan en perdit son fouet :
- Sans goûter à ma mousse !
Chuck éclata de rire.
Voilà donc à quoi il était occupé.
- Oh, je ne doute pas que ma part finisse par être mangée, répondit-il, sur le ton de la plaisanterie.
- C’est très juste, confirma Marry, en refermant son carnet de croquis. Alors, tu ne restes pas ?
Face à ses yeux fouilleurs, il marqua un temps d’arrêt.
- Priss ne m’a toujours pas donné de nouvelles.
- C’est de mauvaise augure ?
- C’est une femme ponctuelle.
Blondie soupira. Elle n’en doutait pas une seconde, des réminiscences de leur passage à l’école secondaire. En prenant appui sur ses genoux, elle se remémora les gestes télécommandés de la duchesse, et se fraya un chemin jusque dans les bras de Chuck, qui en la réceptionnant, la serra fort contre lui. Un peu gêné par le spectacle, Dossan se gratta la tempe. Ces deux-là ne l’avaient pas épargné depuis qu’ils s’étaient réconciliés, mais heureux pour eux, il attendit qu’ils se décollent l’un de l’autre pour reprendre la parole.
- Est-ce que tu reviens après ? Tu sais que tu es le bienvenu autant que tu le souhaites.
Chuck le trouvait adorable.
- Je ne sais pas, j’aviserai une fois là-bas, mais je vous préviendrai. Je te téléphonerai, dit-il, en se tournant vers Marry, qui répondit aussitôt en haussant les sourcils.
- Ah, mais rassure-toi. On aura de quoi faire en ton absence. Hein, Do’ ? lança-t-elle, tandis qu’elle se dirigeait avec un peu trop d’engouement vers son sac de voyage. Que dirais-tu… d’un petit verre de whisky !
Entre ses mains, la bouteille qu’elle brandit ressemblait à un trophée. Aux yeux de Dossan, elle confirmait plutôt une mauvaise idée. Chuck, quant à lui, avait déjà filé dans le hall pour enfiler son manteau, sans pour autant en manquer aucune miette.
Depuis son poste, il apprécia la vue et la force avec laquelle Marry claqua son verre contre le plan de travail après l’avoir bu cul-sec. Revigorée, elle le rejoignit ensuite et l’accompagna jusqu’à la porte d’entrée. Là où ils se retrouvèrent en toute intimité.
- Quoi ? lança-t-elle, un peu amère, en remarquant comment il la détaillait.
Avec à la fois, amusement et sérieux.
- Rien, pouffa-t-il. Je t’aime.
Face à son regard débordant de tendresse, Marry pinça les lèvres. Elle songea aussitôt à l’amour, qui quelquefois ressemblait à une maladie, ou encore à ce coup de chaud provoqué par l’alcool. Les joues enflammées, elle baissa la tête. Qu’étaient-ils ? Des adolescents ? Comme à l’époque, Chuck remédia à cet élan de timidité en l’attirant vers lui et en invitant ses jolis yeux troublés à plonger dans les siens. Ceux-ci lui prouvèrent à quel point il était déterminé.
Sous sa poitrine, elle sentit son cœur se tordre. Elle savait pertinemment ce qu’il s’apprêtait à faire en rentrant chez lui, et combien ça lui demanderait du courage. Quand bien même il se montra grand, le sourire de Chuck se réduit de moitié quand elle lui répondit à son tour :
- Je t’aime.
Marry ne le disait pas souvent. Touché, il se pencha pour l’embrasser. Le baiser qu’ils partagèrent résonna alors comme une promesse.
***
Une promesse…
Chuck arrivait aux abords de sa villa quand il émit un rire caustique. Machinalement, il tourna son volant, en se remémorant celle qu’il avait faite à Priss dix-sept ans auparavant. Aujourd’hui, une question le hantait : comment allait-il la saluer ? En l’embrassant ? Il n’y aurait rien eu de plus normal, s’il ne s’apprêtait pas à la quitter. En effet, Chuck avait décidé de rompre avec Priss. Il devait admettre cependant, qu’il n’avait aucune idée quant à la marche à suivre. Devait-il le faire avant ou après lui avoir soutiré les informations concernant leur fille ?
La lourde culpabilité qu’il ressentit à l’idée s’accrut à mesure qu’il se rapprochait des grilles de sa villa. Au-devant de celles-ci, il arrêta la voiture et poussa un large soupir, en jaugeant l’allée qui le séparait encore de sa femme.
En réalité, il n'avait aucune envie de la piéger.
Il ne lui restait donc plus qu’à se jeter dans le grand bain. Ce qu’il fit en poussant sur le bouton de sa télécommande. Sans succès, les grilles sous son nez refusant de s’ouvrir. C’était étrange. Et il n’y avait rien de plus agaçant que de devoir taper son code sur le boîtier extérieur quand on avait tout un système prévu à cet effet.
Après plusieurs tentatives, Chuck dut se rendre à l’évidence. Il allait devoir passer le bras par la fenêtre, et inutilement, car à nouveau, rien ne se produisit.
- Décidément.
En soufflant, le Richess décrocha sa ceinture et sortit promptement de sa voiture. Il ressentait déjà assez de stress pour devoir gérer ces aléas.
Ces aléas, ou ce sabotage ?
Alors qu’il longeait les grilles de sa demeure, Chuck remarqua un détail qui fit naître chez lui un mauvais pressentiment. Une limousine stationnée devant l’entrée principale. Très vite, il arriva à sa hauteur et se pencha pour capturer le visage du chauffeur à l’intérieur. En le voyant se déformer, son cœur se mit à palpiter. Il y avait définitivement quelque chose qui clochait, et au vu du regard que l’homme envoya vers la porte d’entrée, il devina de quoi il s’agissait.
Lorsqu’il la vérifia à son tour, il constata que celle-ci était grande ouverte. La seconde d’après, Chuck atterrit dans son hall d’entrée où en déboulant, il percuta quelque chose. Un carton ? En le rattrapant de justesse, ses yeux s’écarquillèrent. Il le reposa ensuite sur les autres en battant des cils. Il ne comprenait pas.
Puis, il vit Priss.
Au milieu du hall, cette dernière ressemblait à une tour d’ivoire. Elle s’était figée, ses mains encore en suspens autour de son col, témoignant de sa surprise. Un large sac pendait également à son bras. À la petitesse de ses talons, Chuck devina qu’elle partait pour un long séjour. Ou peut-être était-ce les valises et les cartons empilés les uns sur les autres qui l’avaient mis davantage sur la voie ? Il scella ses lèvres l’une contre l’autre. Il n’avait jamais connu ses prunelles aussi dépourvues de vie. Ainsi était venu pour lui le temps d’enfiler une nouvelle peau, et se laisser aller à l’improvisation. Mais il en fut tout à fait incapable. À la place, il courba l’échine.
S’il crut entendre un petit rire hautain tinter dans ses oreilles à ce moment-là, il n’en était rien, car en le dévisageant, Priss resta aussi silencieuse que stoïque. Elle reprit simplement là où elle s’en était arrêtée, et leva le menton aussi haut que ses boutons de manteau le lui permirent.
Allait-elle vraiment partir de cette manière ? Chuck obtint sa réponse aux pas qu’elle aligna vers la sortie. Lorsqu’elle passa à côté de lui, il eut l’impression que son cœur se jeta d’un pont.
- Ha oui.
Des montagnes russes. C’était ce que Priss lui avait toujours fait ressentir.
- J’ai renvoyé ton personnel. Quant aux cartons, un camion viendra les chercher demain.
Chuck se demanda pourquoi même, il était surpris. Car il était évident qu’elle était au courant. Elle n’était même pas coiffée correctement.
Tout aurait été plus simple si elle avait décidé de lui hurler dessus, cela dit.
- Où iront-ils ? Chez tes parents ?
Il savait mieux que quiconque que c’était impossible. Une fois mariés, Priss avait tout fait pour ne plus avoir affaire avec ces derniers. La haine vengeresse qu’il avait alors décelée dans son regard se transforma. Il se rattrapa rapidement pour la garder un peu plus auprès de lui.
- Il se trouve que j’ai à te parler…
- De quoi donc ? lui demanda-t-elle, durement.
Priss se montra toute ouïe, droite, le bout de ses talons collés l’un à l’autre.
- Eh bien,...
Son cœur battait maintenant à tout rompre. Pouvait-il lui dire ? En la voyant attendre, il se sentit plus bas que terre.
- Tu le sais, non ? dit-il, dans un premier temps à voix basse.
Mais il aurait été encore plus cruel de lui faire dire par elle-même.
- J’ai revu Marry, il y a quelque temps. Et nous avons… J’ai fait quelque chose dont je ne suis pas fier.
- Vous avez couché ensemble ?
Chuck releva la tête d’un coup.
- Félicitations ! Depuis le temps que tu attends ça, je suis ravie pour toi !
Il fut sans voix. Tellement, qu’il manqua de la laisser s’échapper.
- Attends ! Tu-
- Ha, mais oui, c’est vrai ! s’exclama-t-elle, cette fois.
Le doigt qu’elle pointa en l’air servit de mur entre eux deux. Il sut dès lors exactement ce qu’elle s’apprêtait à dire.
- J’oubliais. Laure ! Coupable ou non-coupable ? lança-t-elle, de façon dramatique. Il te faut une réponse.
- Non, écoute, ce n’est pas pour ça…
- Devrais-je te dire ce qu’elle m’a raconté ? Car elle a été bavarde, oh ça oui.
- Priss.
- Est-elle déçue de son père au point de se venger de lui ? Hum, je me le demande.
- Je te dis que je ne suis pas venu pour ça !
- Oh, mais si ! Tu es exactement venu pour ça, Chuck ! Pour récolter toutes tes petites informations pour ensuite mieux me jeter !
En voyant son expression fondre, Priss agrippa son sac et se dirigea une bonne fois pour toutes vers la sortie. Chuck la rattrapa aussitôt, en l’attrapant par la lanière de celui-ci.
- Tu ne peux pas t’en aller comme ça…
- Si, je peux !
- Non, j’ai besoin que…
- Quoi ! Qu’attends-tu encore de moi exactement ? Que je te félicite davantage ! Ou que je te serve tout ce que tu souhaites sur un plateau ! Tu n’as vraiment pas besoin de moi pour savoir ce que Laure a bien pu faire ou non… Tu n’as… jamais eu besoin de moi, en fait…
Priss sursauta quand il l’attrapa par les deux épaules.
- Ce n’est pas vrai.
Elle le regarda, subjuguée.
- Tu n’as vraiment pas idée… de comme j’ai pu t’aimer, dit-il, alors que des larmes naissaient dans ses yeux. C’est vrai que j’aime Marry depuis toujours. Mais Priss, je suis aussi tombé amoureux de toi !
En glissant ses mains de part et d’autre de son visage, Chuck n’était plus qu’à quelques millimètres de son visage. Il fallait qu’elle l’entende. Malgré la lumière qui atterrit dans ses yeux noirs, il insista.
- C’est ça que je suis venu te dire aujourd’hui. Je ne pourrai jamais oublier tous ces moments qu’on a passés ensemble, parce que je t’ai aimée.
Elle secoua la tête.
- Tais-toi…
- Je voulais vraiment que tu le saches.
Le masque tomba. C’était un tel choc. Que ses larmes ne trouvèrent aucun frein. Pourquoi lui disait-il ça maintenant ? Lorsqu’elle essaya de se détourner, Chuck tenta de la récupérer auprès de lui, mais elle le bloqua en glissant sa main contre son torse. Celle où brillait son alliance. Leurs yeux se rencontrèrent à ce moment-là. Il avait soulevé son voile et quelques instants plus tard, il l’avait embrassée avec douceur et légèreté.
Un sanglot s’écrasa entre ses lèvres. Chuck n’avait jamais manqué de la réconforter. De cette façon si particulière, où il ramassait ses larmes comme s’il comptait des joyaux. En réalisant que c’était la dernière fois, Priss émit un hoquet qui lui brisa le cœur. Si bien qu’il l’embrassa. Avec force, et volupté.
Pour qu’elle comprenne comme il l’avait aimée, et pour lui dire au revoir, avant que tout redevienne glacial. Car au dépôt de ses lèvres, Priss redevint en effet celle qu’elle avait toujours été. Elle partit à reculons, fidèle à elle-même, en le regardant devenir moindre au milieu de ce hall.
Ce n’était qu’une mince compensation, mais à l’instant où elle partirait, Chuck se retrouverait seul. Comme elle était seule, à ce moment même, et comme leur fille devait l’être, quelque part ailleurs. C’est simplement qu’elle marqua une petite pause au niveau de l’arcade de l’entrée.
- Deux choses, dit-elle, son mari alors attentif. Je demande le divorce.
Chuck opina, sans surprise, même si ses sourcils s’arcquèrent doucement avec cette déclaration.
- Quant à Laure…
- Non, ne t’inquiète pas de ça.
- … Oui, dit-elle, d’une voix étroite et bizarre. Tu as déjà ta réponse, non ?
Lorsqu’elle disparut, Chuck ferma les yeux. Ce qu’il ressentit… C’était comme s’il était bloqué dans un ascenseur en descente continue. Comme si chacun de ses membres et chacun de ses organes étaient tirés vers le sol. Piégé entre quatre murs de verre, alors que tout ce qu’il avait à faire était d’appuyer sur le bouton “stop”.
***
Laure se retourna. Plantée au milieu de sa chambre, elle fixa longuement sa porte à laquelle on venait de toquer. Les nouveaux coups contre celle-ci la firent sursauter. On insistait, même si elle ne répondait pas ? Elle effectua un tour complet sur elle-même, en analysant chaque objet de la pièce comme si ceux-ci s'apprêtaient à lui sauter au visage. C’était la nuit noire. Mais il y avait un couvre-feu maintenant à Saint-Clair. Laure se pencha pour récupérer son téléphone sous un tas de feuilles au sol. En fait, le sol en était recouvert, et le couvre feu n’était pas encore dépassé. Elle enjamba les vêtements qui traînaient également par terre en se dirigeant vers la porte. Aucun message. Sauf de Loyd, évidemment. Devait-elle ouvrir ? Peut-être que c’était lui, ou Kimi. Ou même Sky. Ce n’était pas le moment, mais elle ouvrit.
C’était Faye.
Dans l’entre porte, les deux filles se regardèrent comme si elles ne s’étaient jamais rencontrées. Laure avait le souffle court, et la rouquine ne dit pas un mot. Au fur et à mesure qu’elle l’observait, Laure s’affaissa, la main encore sur la clenche. Elle semblait malade. Le teint pâle, repliée sur elle-même. Le regard vibrant, et rouge.
- Oh non, fit Laure, en laissant totalement descendre une de ses hanches.
Elle pencha légèrement la tête, en la fixant. Faye se mit à tirer sur ses manches en cherchant déjà ses mots.
- Je connais ce regard.
- Je…
- Dis-moi ce qu’il y a ? enchaîna-t-elle, comme si elle souhaitait se débarrasser rapidement de cette tâche.
- Euh… je peux entrer ?
À contre-coeur, Laure se décala pour la laisser entrer. Elle croisa les bras, en attendant qu’elle se prononce et en essayant de ne pas faire attention au regard circulaire qu’elle accorda à sa chambre.
- Qu’est-ce que tu fabriques ici ? lui demanda Faye, en attrapant une chute de jupon.
Sans lui répondre, elle alla récupérer son dû directement entre ses mains. Faye passa outre la façon dont elle fit ensuite glisser le bout de tissu entre ses doigts.
- Tu t’es droguée ? dit Laure.
- Non !
Elle était bien trop préoccupée.
- C’est pas ça du tout. Je…
Laure arrêta de jouer avec. Avait-elle bien entendu ? L’expression serrée de Faye, et le monologue dans lequel elle se lança lui poussa à croire que oui. Elle tournait comme une lionne en cage. En pleurant. En tremblant. C’était interminable. Au plus sa voix devint aiguë, au plus le bourdonnement dans son crâne s’accentua. Elle voyait ses dessins se soulever au rythme de ses pas. Il y avait encore des morceaux de dentelles sous l’aiguille de sa machine à coudre. Des sous-vêtements étalés partout dans sa chambre. Et le temps pressait. Faye continuait de tourner. À parler, encore et encore. Elle ne pouvait pas gérer ça.
- … Et Alex ne veut pas de ce bébé, je ne sais vraiment pas quoi faire.
- Pourquoi tu n’avortes pas ?
Faye se figea.
- Quoi ?
- Oui, pourquoi tu n’avortes pas ? Tu as dit que tu n’étais pas sûre de toi, et rien ne joue en ta faveur, alors…
Elle parut désemparée. Lorsqu’elle passa sa main sur son ventre, ses cernes, brûlés par les larmes, s’accentuèrent. Laure trouva qu’elle ressemblait à une poule qui ne savait pas où picorer. Toute perdue, et sans aucun repère. Cela fit grandir une immense colère en elle.
- Si c’est pour réagir comme ça, alors ne me demande pas !
Ses larmes coulaient, mais elle ne disait plus rien, étouffée par de gros sanglots.
- C’est vrai Faye, quoi ! C’est toujours pareil avec toi, tu fais des conneries et après, tu t’attends à ce que derrière on fasse des choix à ta place ! Pourquoi c’est à moi que tu viens demander ça ! J’ai pas le temps de…
- Parce que je pensais…
- Tu pensais quoi ! Que tata Laure allait encore tout régler ??
Elle se tut.
- Mais figure-toi ! Que je ne peux pas TOUT régler ! balança-t-elle, en même temps qu’un bout de tissu .
Laure crut voir dans ses yeux qu’elle la prenait pour une folle. Mais ce n’était pas ça.
- Non… Je pensais que toi… Tu m’aurais écouté.
“Si seulement elle n’était pas enceinte”. C’était ça qu’elle pensa quand elle s’enfuit de la chambre de son amie, qui progressivement, se laissa tomber à genoux au milieu de toutes ses créations. Comme si on venait de lui infliger un coup, Laura attrapa sa tête entre ses deux mains. C’était trop dur de gérer tout ça. Repliée sur elle-même, sa chevelure pendait jusqu’au sol. Comment avait-elle pu finir dans cet état ? Comme une loque essorée, pressée dans tous les sens. Elle avait tant de mal à réfléchir qu’elle avait l’impression d’être droguée.
Une droguée… Laure releva la tête. L’image de Faye dans les douches en train de vomir alors qu’elle lui tenait les cheveux lui revint comme un flash. Et si elle venait à recommencer ? Avec ce bébé dans le ventre. Et si elle avortait à cause de ce qu’elle venait de lui dire ?
Laure flanqua un coup-de-poing au sol :
- Et merde ! Fais chier !
Elle détala hors de la chambre. Faye devait déjà être en bas, ou au mieux, au bout des escaliers. Elle courut de toutes ses forces, s’arrêtant à chaque tournant, à chaque palier.
- Faye ! s’écria-t-elle, dans l’espoir que cette dernière lui réponde.
Où était-elle ? C’était l’avant dernier escalier. En sautant pieds joints sur le dernier palier, une idée lui vint. Elle regarda par la fenêtre, pour voir à quel point elle devrait courir si elle était déjà sortie, mais si elle ne la voyait pas dehors, alors c’est qu’elle était encore dans le hall. En attrapant la rampe, Laure se précipita pour descendre les dernières marches où elle s’arrêta en manquant de percuter quelqu’un.
Une grande rousse, bingo !
- Faye ! Tu es là…
Ses yeux s'écarquillèrent en la voyant pliée en deux. Sous ses mains, qui tenaient son ventre, elle vit le sang se répandre au milieu de son entre-jambe. La plainte qu’elle poussa l’obligea à se mettre à sa hauteur. Elle respirait fort, et automatiquement, Faye attrapa sa main quand elle lui tendit. Elle la serra de toutes ses forces, en cherchant son regard. Laure n’en avait jamais vu un aussi déchiré. Elle se releva d’un coup, en se tournant vers la dame de la réception, qui arrivait en courant.
En la poussant contre sa poitrine, elle lui hurla dessus :
- Appelez une ambulance !!!
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