Chapitre 42 : Clair-Obscur
D’un geste las, Faye se dégagea de sa couverture. Elle sortit difficilement de son lit, ses pieds rencontrant l’un après l’autre le plancher qui manquait cruellement de chaleur. Lorsqu’elle prit appui contre son matelas, celui-ci grinça sous le poids de son corps, qu’elle laissa tituber, par réflexe, jusqu’au milieu de la pièce.
Sa chambre, elle en connaissait chaque détail maintenant. Il y avait des mois qu’elle habitait au manoir, chez Katerina. Quelques jours seulement qu’elle y était rentrée depuis son séjour à l’hôpital. Ce fut uniquement par habitude, et avec espoir de quitter la pénombre, qu’elle se dirigea jusqu’au rideau de sa fenêtre. En le tirant, cependant, son regard morne tomba sur le paysage, noir. L'ombre des sapins géants qui dansaient autour du manoir, ne ressemblait en rien à celle des monstres qui hantaient chacune de ses nuits.
Rattrapée par la cruauté de ses cauchemars, Faye se jeta sur la clenche de sa fenêtre. Elle ouvrit celle-ci en grand, manquant d’air. Depuis qu’elle était rentrée, la sensation d’étouffer ne la quittait plus, coincée dans ce corps épuisé, et sans cesse rappelé à l’ordre.
Un bref instant, elle avisa son lit.
Non.
Elle ne pouvait pas y retourner ; il fallait qu’elle bouge, qu’elle s’occupe l’esprit, qu’elle… oublie ? Jamais, elle ne pourrait. Elle avait perdu son bébé. Elle avait dû se séparer d’Alex. En songeant à ses bras réconfortants, Faye chassa le geste qui se prêtait à chacune de ses pensées et agrippa l’appui de fenêtre à la place de son ventre. Tordue en deux, chacun de ces cris emprisonnés, lui broyait l’intérieur.
Voilà à quoi son quotidien se rythmait depuis. Depuis. Dévorée par la douleur, elle ferma les yeux. Celle-ci finissait toujours par se calmer. Faye restait alors là, piégée dans une enveloppe dont elle n’avait pas d’autre choix que de s’occuper. Un cauchemar duquel elle ne pouvait s’échapper.
***
En effaçant ses larmes, Faye écouta le silence qui résonnait. Elle s’était réveillée tôt. Plus tôt encore qu’à l’internat, si bien qu’elle devina son père et Katerina encore en train de dormir. Qu’allait-elle faire après avoir pleuré toutes les larmes de son corps ? Épuisée, elle se fraya un chemin hors de sa chambre. Bientôt, chaque élève de Saint-Clair l'imiterait.
Elle les imagina là-bas, en passant devant celle de Selim, au manoir. Les chambres prenant vie une à une sur la façade des bâtiments voisins. Les points de lumière émanant de celles de ses amis. Ceux-ci se prépareraient chacun de leur côté avant de se retrouver, soit à la cafétéria, soit à Saint-Clair, devant le portail, où ils riraient et râleraient à la fois. En descendant les trois étages d’escaliers, elle songea à la requête qu’elle avait adressée à ses parents. À Elliot et Katerina.
Elle ne regrettait pas d’être restée au manoir plutôt que d’être retournée là-bas, mais cela avait un goût étrange.
Le bout des escaliers donnant sur le hall d’entrée, Faye attrapa à la volée ce qui ressemblait plus à un plaid qu’à un peignoir et s’enroula dedans. Le ventre vide, elle traversa la salle à manger pour rejoindre la cuisine. Qu’était-elle venue y chercher au juste ? Aucune faim ne l’habitait. Désabusée et glacée, elle effectua un demi-tour.
Au milieu de la salle à manger trônait une longue table en chêne massif, où elle prit le pli de s’asseoir. Comme si, tandis qu’elle se recroquevillait sur sa chaise, blottie sous sa couverture, l’appétit allait lui revenir. Mais au contraire. Assise au cœur de la maison, elle déglutit, observée par la noirceur des autres pièces qui semblait vouloir surgir pour l’avaler et l’attirer dans la plus totale des obscurités.
Un frisson glissa le long de son dos.
Elle était accroupie dans la douche de l’hôpital, hurlant, et broyant la main de Katerina, en train d’expulser son bébé. Mort.
- Faye ?
Cette dernière releva la tête d’un coup et dévisagea la Richess comme si elle venait de voir un fantôme. Au niveau de l’encadré de la porte, Katerina plissa les yeux en resserrant les pans de son gilet. Elle n’était pas encore très bien réveillée, mais face à l’épouvante dressée dans le regard de Faye, elle devina bien quel genre de mal était en train de la ronger.
Elle le savait…
- Je vais te faire à manger, dit Katerina, en caressant chaleureusement sa crinière de feu.
Faye était hantée, et la découvrir un peu plus chaque jour dans cet état réduisait son cœur en cendres.
Avec l’espoir de lui changer les idées, elle lui colla un magazine sous le nez, avant de s’atteler à la cuisine, qui elle l’espérait, la réchaufferait aussi. Malheureusement, ni les pancakes, le miel ou les framboises, ne lui procurèrent une quelconque joie ou ne serait-ce qu’un gargouillis. Katerina, s’en étant douté, avait pris l’initiative de séparer son petit-déjeuner en deux.
- Je veux que tu manges la moitié, déclara-t-elle. Tu pourras manger l’autre plus tard. Et si tu n’en as pas envie, Mélane te fera autre chose pour le déjeuner. Je lui ai soumis quelques idées. Tu n’auras qu’à choisir.
À part :
- … Oui.
Faye ne répondit rien d’autre. Elle attrapa simplement sa fourchette, ce qui ne surprit pas réellement Katerina, qui de temps à autre, constatait la façon dont son regard éteint s’animait. Cela la rassura assez pour attaquer son petit-déjeuner à son tour, et ce, sans prêter attention au raffut en provenance de l’étage.
Elliot apparut quelques instants plus tard, lavé et habillé. Il enfilait un veston quand son attention se porta sur sa fille. Le sourire qu’il avait collé à ses lèvres s’affaissa dès lors. Katerina ne pouvant qu’imaginer sa peine, décida de le suivre quand ce dernier s’enfuit dans la cuisine après les avoir saluées. Elle le trouva chamboulé, en train de se servir avec force dans les plats.
- Je ne veux pas en parler, dit-il à voix basse, lorsqu’elle s’approcha en passant une main dans son dos.
Doucement, Katerina vint l’étreindre.
- Tu n’es pas obligé, mais… - elle hésita -... tu ne peux pas non plus faire comme si rien de tout ça ne s’était produit.
- Je préférerai, pourtant.
- Tu ne dois pas. Tu vas lui faire de la peine, à force.
Il marqua un temps.
Faye, dans la salle à manger, ne pouvait les entendre, mais elle imaginait bien ce qu’ils pouvaient se chuchoter.
- Je déteste la voir comme ça.
- Moi aussi, dit-elle, en attrapant son visage marqué par la tristesse.
- J’ai beaucoup réfléchi, répondit Elliot. Je devrais peut-être retourner avec elle dans notre maison ? Temporairement, ajouta-t-il, en la voyant se redresser. Le temps qu’elle s’en remette. Je voulais vendre la maison, mais je ne m’y suis toujours pas résolu. C’est sans doute pour une bonne raison.
Face à cette proposition, Katerina prit du recul.
- Faye nous a dit qu’elle souhaitait rester au manoir pour le moment. Pourquoi veux-tu la ramener chez toi ? lui demanda-t-elle, d’un ton plus sec. Tu ne veux pas qu’on gère ça ensemble ?
- Quoi… Non, voyons !
Elliot se rendit compte de la manière dont avait pu résonner ses propos.
- Pas du tout. Je suis heureux que tu sois là. C’est simplement que, si j’ai pensé à ça, c’est parce que… Je ne sais pas, en fait. Je n’arrête pas de penser, de chercher des solutions...
- C’est parce que tu as peur.
- Oui, avoua-t-il, sans avoir à se forcer.
- Tu penses que c’est une solution, mais c’est juste une manière de fuir.
Les prunelles à la fois dures et justes de Katerina le désarmèrent. Elle devint à son tour, un peu plus douce. Ils devaient tous les deux apprendre à mettre leurs craintes de côté.
- Le plus important, c’est ce qu’elle veut, elle.
- Je suis d’accord, reprit Elliot. Mais elle nous a aussi dit qu’elle ne voulait voir personne. Comment fera-t-on quand Selim voudra revenir à la maison ? On ne peut pas interdire à ton fils de revenir chez lui.
- Nous aviserons à ce moment-là. On a encore le temps.
En effet, avec les révisions qui se profilaient, Selim, ainsi que tous ses camarades internes s’apprêtaient à enchaîner quelques week-ends à Saint-Clair. Ce sujet le tracassait beaucoup.
- À ce propos…
Sans rien dire de plus, Elliot embarqua son assiette et son air déterminé jusqu'à la salle à manger. Il prit place devant sa fille, qui en le voyant attraper son petit-déjeuner à grands coups de fourchette, releva doucement la tête.
- Je me rends à Saint-Clair ce matin, dit-il.
Ce commentaire eut le mérite de la sortir de sa léthargie.
- J’ai demandé une entrevue avec la remplaçante de Monsieur Xavier. Madame Paul, c’est ça ? Nous allons voir ensemble comment adapter ta session d’examen.
Cela la laissa sans voix.
- Après tout, on ne sait pas encore si tu seras en état de les passer… Tu comprends ? C’est ton année qui est en jeu, alors… Je verrais ça avec elle ! Je suis certain qu’il y a une solution, fit-il, rapidement, avant d’engloutir le reste de son pancake.
Le temps de s’essuyer la bouche, puis de les embrasser l’une après l’autre, Elliot avait disparu, emportant avec lui le peu d’animation qui s’était construit au sein de leur foyer. Embêtée par ce revirement de situation, Katerina glissa une œillade vers Faye.
En la découvrant complètement paralysée, les yeux recouverts d’un filet mouillé, et la main tremblante, elle s’alarma :
- Que se passe-t-il ? s'exclama-t-elle, en venant l’entourer immédiatement. Pourquoi pleures-tu ?
- Il me déteste.
Katerina tomba des nues.
- Mais non ! Bien sûr que non, ton père ne te déteste pas. Loin de là ! Pourquoi penses-tu ça ?
- Parce que…
Faye se mordit les lèvres. Elle n’osait pas étaler les pensées sombres qui ornaient sa tête. Il devait la détestée, car elle ne lui avait rien dit. Elle n’avait pas fait appel à lui, et puis, elle avait fauté. Elle n’avait pas été sérieuse, et maintenant, elle risquait de rater son année en loupant les révisions, les examens, peut-être…
- Il ne te déteste pas, insista Katerina en attrapant sa main, ce qui l’aida à sortir de sa torpeur.
- Tu crois ? demanda-t-elle, les yeux remplis de larmes.
- Oui ! Ton père est simplement… Il est vraiment maladroit. Il n’est pas très doué avec ses émotions, et il se met bien trop vite en colère quand il est triste. Crois-moi, il préférait ne pas avoir à te montrer tout ces côtés de lui.
- Mais moi, je m’en fiche ! Je voudrais…
- Oui ? Que voudrais-tu ?
Scotchée à ses yeux, Faye fit face à l’espoir qui se dessinait chez Katerina. À cet appel, elle n’avait pas de réponse.
- Je ne sais pas.
- Ce n’est pas grave, lui répondit-elle, en pressant sa main contre son bras.
Progressivement, Katerina déposa sa tête contre la sienne. Ses pleurs, qu’elle entendit résonner, lui brisèrent le cœur.
- Ne doute pas de l’amour de ton père. Il t’aime, et il n’est pas le seul. Tes amis t’aiment, et…
- Non, ce n’est pas vrai.
Faye se rigidifia.
- Je t’assure que…
En se redressant, elle vit toute la noirceur étalée dans son regard.
- Ils ne m’aiment pas !
- Penses-tu vraiment que Selim ne t’aime pas ?
Faye grimaça. Elle n’était pas prête à l’accepter. Tous ses amis l’avaient mise de côté. Mais il était vrai que Selim, lui, l’avait soutenu.
- Je… peut-être que… Selim c’est autre chose ! Mais Laure…
- Elle est venue avec toi à l’hôpital.
- Et Nice…
- M’envoie un message tous les jours pour prendre de tes nouvelles. Elle n’est pas la seule, d’ailleurs.
Elle se retrouva bête, bouffée par une rage qui refusait de s’amoindrir.
- Peut-être, mais je suis certaine que les autres n’en ont rien à faire. Kimi, c’est compliqué, et Loyd et Sky, je n’en parle même pas… Au fond, on n'a jamais été si proches. Je suis sûr qu’ils s’en fichent de tout ça, ou bien qu’ils se disent que c’est du Faye tout crachée ! C’est ça ! Ils ne doivent même pas être étonnés ! Parce que moi, je suis toujours celle qui fait les mauvais choix ! Celle qui…
- Tu ne dois pas t’en vouloir, Faye.
La douce voix de Katerina lui sembla éloignée. Elle la regardait de haut. Sans s’en rendre compte, elle s’était mise debout. Tout son corps était crispé.
- Ce n’est pas ta faute.
Le soufflé coupé, elle se laissa tomber sur sa chaise. Elle avait envie de hurler, mais à la place, elle agrippa son visage entre ses mains, comme si elle s’apprêtait à le déchirer. Katerina l’en empêcha. Elle resterait à ses côtés. Le plus qu’elle pouvait.
***
- À quoi tu penses ?
La voix insistante de Loyd sortit Sky du long tunnel dans lequel il s’était engouffré et n’arrivait plus à sortir. Il se rassit alors correctement sur sa chaise, en s’étirant le dos, avant de s’avachir à nouveau à son bureau.
Le poing dans la joue, il lui répondit en marmonnant :
- À rien, dit-il, en déplaçant sa main sur sa nuque.
Depuis le temps qu’il fixait sa feuille, celle-ci aurait bien mérité un massage. Il en était certain maintenant, ces notes n’étaient définitivement pas complètes. Dans un geste désespéré, il retourna la page plusieurs fois, comme si ce procédé allait amener les mots à se jeter dessus par magie.
- Tu as des notes sur ce chapitre ? demanda-t-il à Loyd à voix basse.
À la bibliothèque, il y avait lieu de parler le moins possible. Brièvement, Loyd jeta un œil à sa feuille et manqua de rire en constatant à quel point elle était peu fournie.
- Alors ? s’impatienta Sky.
- Peut-être, répondit-il, amusé.
Fatigué, Sky leva les yeux au ciel et entreprit de retourner dans son classeur. Il devait absolument remettre ses dernières notes en ordre avant que les révisions commencent et il n’était pas le seul dans ce cas. À une autre table, non loin de la leur, Kimi semblait s’être donné le même objectif, bien que le chantier autour d’elle relevait plutôt du site archéologique. La musique dans les oreilles, elle parcourait les pages, la tête en pagaille.
La vision parut doucement risible à Sky. Avec un sourire en coin, il revint progressivement à ses feuilles, puis à celles que Loyd était gentiment en train de lui tendre.
Leurs regards se croisèrent à ce moment-là. Quand Loyd haussa les sourcils, il fronça les siens, en lui arrachant les feuilles des mains.
- Merci, grogna-t-il.
- Dépêche-toi de recopier, j’en ai besoin pour étudier.
Il n’avait pas besoin d’insister autant. Sky savait très bien qu’il était à la bourre, ou bien, c’était Loyd qui avait trop d’avance. Cela le rassura de voir que Selim se retrouvait dans la même situation, à remplir des fiches, tandis que Nice s’était déjà plongée dans les révisions. Son regard croisa alors celui de Jena, qui avait choisi de s’isoler seule à une table. Il lui sourit brièvement avant de retourner à ses occupations.
Comme un moustique dont on ne pouvait se débarrasser, Loyd se faufila jusqu’à son oreille :
- Il y a un malaise ?
- Nan, il y en a pas !
Toutes les têtes se relevèrent en sa direction, et notamment celle de la surveillante, qui se leva avec la ferme intention de le réprimander.
- Que se passe-t-il, ici ? Pourquoi criez-vous ?
Vite, vite, vite, il fallait penser à quelque chose.
- Désolé, je suis sous pression. C’est à cause des révisions, dit-il, en se dégonflant comme un ballon.
- Enfin, Monsieur Makes, reprenez-vous !
De ton son saoul, il maudit Loyd qui était fendu en deux. Pourquoi fallait-il qu’il l’embête, maintenant ? Ce n’était pas le moment. Loin de là.
À nouveau, son regard s’égara. Puis, se planta voracement dans celui de Loyd, dont l’insistance persistait. Alors qu’il tentait de l'ignorer, ce dernier réitéra l’expérience en inscrivant sa question sur un coin de feuille. Sky la fixa longuement, absent. À quoi tu penses ? Il glissa ses doigts sur ces mots auxquels il s’apprêtait à répondre.
- Je pense à Faye, murmura-t-il.
Loyd ne fit aucune blague. À la place, il affaissa son épaule contre la sienne. Plus loin, Selim déposait son stylo afin d’étirer son poignet qui le faisait souffrir. Aucun des mots qu’il avait recopiés jusque-là ne l’avait percuté. En regardant Nice, il se demanda comment cette dernière arrivait à étudier. Alors, il lui posa la question.
Ce à quoi, elle répondit :
- Je n’y arrive pas. Pas vraiment.
Malgré tout, elle garda le nez plongé entre ses livres. Chacun d’entre eux pensait à Faye. Kimi, davantage, depuis que la surveillante était venue lui confisquer ses écouteurs qui lui avaient servi jusque-là de distraction. Maintenant, affalée contre son bureau, elle avait trop à penser. Si ce n’était pas à propos de Faye ou d’Alex, alors elle revenait à Sky, qui faisait de la bascule avec sa chaise.
- Je suis triste pour elle, avoua Sky. Pour eux, rectifia-t-il. Je ne sais pas trop comment ça ira pour Faye, mais j’espère qu’Alex pourra passer les examens.
Ce dernier avait décidé de rester chez lui le temps des révisions.
- Moi aussi, dit Loyd.
- J’espère que - il se pinça la lèvre inférieure avant d’en dire plus - ils pourront se réconcilier.
En constatant que son meilleur ami ne répondait rien, mal à l’aise, il rechigna.
- Tu crois que ce n’est pas possible ?
- Eh bien, ça me semble peu probable.
- C’est con ce que tu dis, répondit Sky, un peu contrarié.
- Peu de couples arrivent à se remettre de la perte d’un bébé.
- Qu’est-ce que tu en sais…
Un instant, ils se turent.
Tout en rongeant l’intérieur de ses joues, Sky arrachait compulsivement des morceaux de sa gomme.
- Ou peut-être que le temps arrangera les choses, mais…
- Ouais, ils sont faits pour être ensemble.
- C’est juste que parfois, même lorsque deux personnes s’aiment très fort, ou sont faites pour être ensemble, dit-il en reprenant ses mots, il n’est pas toujours possible qu’elles finissent ensemble.
Sky lâcha sa gomme, frustré, sans voir la peine qui traversait le visage de Loyd.
Il haussa un sourcil :
- Subtil, lui envoya-t-il.
- … Comment ? répondit-il, surpris. Oh. Non, je ne voulais pas…
Ce dernier se tut, piqué d’une idée.
- Tu ne vas pas lui proposer ton aide pour les révisions cette année ? ajouta-t-il, en glissant un œil vers Kimi.
Il se fit aussitôt foudroyé du regard.
- Nan, Laure devrait s’en charger. Ha ! Elle est où, en fait, Laure ? Pourquoi elle étudie pas avec nous ?
- Tu sais bien qu’elle est occupée.
Un orage passa au-dessus de leurs têtes. Le temps de se jauger, il disparut. Bêtement, les deux amis se mirent à ricaner.
- T’es con, lui balança Loyd.
- Pas moins que toi.
Mais Sky soulignait une réalité. Habituellement, Laure supervisait les révisions d’une main de fer. Loyd espérait au moins qu’elle étudiait, terrée dans sa chambre. Ce fut à ce moment-là qu'une ampoule s’alluma dans son esprit.
La façon dont il ferma son cahier captiva l’attention de ses amis autour, qui étaient déjà prêts à abandonner leurs révisions.
- Et si on se faisait un truc ce soir ?
Sky le dévisagea :
- Euh… je suis vraiment pas à jour dans mes cours…
Il fut coupé par le soupir de Loyd, un peu moqueur.
- C’est bon, aucun de nous n’a vraiment envie d’étudier, dit-il en tapant déjà sur son téléphone. Je propose un bowling.
En se retournant vers Selim, il leva son pouce, attendant une réponse. Dans un premier temps, ce dernier scruta la réaction de Nice, qui après s’être penchée sur l’écran, répondit à sa place. Il sourit en la voyant lever le pouce à son tour.
Quant à Kimi, elle parut plus qu’emballée, la façon dont elle tapa ses deux mains sur la table en témoignant.
- Et toi, tu viens avec nous ?
Sky lança un sourire à son meilleur copain.
- Ouais, bien sûr, je viens.
- Jena sera de la partie, tu penses ?
- Non. Elle va au spa, ce soir. Elle a besoin de se détendre pendant les révisions.
- Je vois, répondit-il, en pinçant doucement les lèvres. Parfait, dans ce cas ! J’irais directement demander à Laure ce qu’elle en pense.
Au fond, il espérait surtout la faire sortir de sa chambre. L’idée d’une soirée tous ensemble, ou presque, aurait dû lui remonter le moral. C’est ce que Loyd pensait.
***
Faye était encore assise à table et enroulée dans sa couverture lorsque Katerina descendit, apprêtée. Même si cela l’embêtait de quitter le manoir, cette dernière devait impérativement rejoindre Marry pour une dernière réunion.
En attrapant son sac à main, elle se rapprocha de la grande table et attira son attention à contre-cœur.
- Je vais devoir y aller, dit Katerina, en première.
- Oui… Je sais, répondit-elle, d’une voix maigre.
Elle ne voulait pas la laisser seule.
- J’attends simplement que Mélane arrive. Il ne devrait plus tarder.
- Oui, d’accord.
Le silence qui s’installa entre elles deux la mis mal à l’aise.
- Tu sais… ! Je peux peut-être rester avec toi ? Il suffit que je lui passe un appel.
- Non, ne t’inquiète pas. Je sais que c’est un rendez-vous important. Vous avez tous travaillé dur sur cette collection…
En effet, ils s’étaient tous beaucoup impliqués dans leur projet. Marry, Alex, Blear, qui avaient travaillé sur les bijoux et elle-même, bien sûr. La campagne n’attendait plus que d’être lancée. Enfin, leur collection de sous-vêtements allait être dévoilée au grand jour.
- Tu es certaine que ça ne t’embête pas ? Si cela te fait mal au cœur que je côtoie Alex, alors que vous vous êtes séparés, je préférais que tu me le dises. Tu vois, je ne voudrais pas…
Elle avait l’impression de la trahir.
- Je ne veux pas te rendre malheureuse.
La façon dont Faye la regarda lui fit remarquer qu’elle était malheureuse de toute façon. Aujourd’hui, ce n’était plus ce qui l’importait le plus.
Elle secoua la tête faiblement :
- Ça ne me fait rien, vas-y. Je suis contente que votre projet puisse aboutir.
- … Merci.
Katerina vint glisser sa main sous son menton.
- Tu es courageuse.
Elle se pencha ensuite pour la serrer et l’embrasser avant de partir. Il était vrai qu’au départ, Faye n’avait pas compris la nouvelle passion d’Alex. Elle ne l’avait pas accepté et encore moins qu’il travaille avec Katerina. Puis, elle avait reconnu son talent et appris à mieux connaître sa belle-mère.
En aucun cas, elle ne voulait ralentir cette dernière dans son projet.
- S’il y a quoi que ce soit, appelle-moi.
… La ralentir dans son projet.
Tout d’un coup, Faye pensa à Laure. À la façon dont cette dernière lui avait avoué être la propriétaire du KY.E.SS ? Et comment, même si elle n’avait pas donné de détails, elle avait pour projet de se venger de son père, ainsi que de Marry Stein.
- Ha…
- Oui, qu’y a-t-il ? lui lança Katerina, prête à se débarrasser de son manteau.
Son geste la toucha.
Devait-elle lui dire ? La prévenir que la fille de l’amant de sa collaboratrice allait peut-être faire capoter tout leur projet ? C'était ridicule. Elle n’avait pas l’énergie, et quelque part, elle n’y croyait pas. Après tout, Laure avait fini par l’aider.
- Non, je… je voulais juste te remercier. Pour tout ce que tu fais pour moi.
La façon dont Katerina lui sourit lui signifia qu’il n’y avait rien de plus normal. Elle partit ensuite. En la regardant s’éloigner, Faye commença à grignoter son pouce. Tout s’était passé si vite de son côté… Elle n’avait pas la tête à ça, mais elle y songea. Aurait-elle dû lui dire ?
Avait-elle fait le bon choix, cette fois ?

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