Les murmures
Six ans. L’âge où le monde était encore une vaste plaine de jeux, où le rire était aussi naturel que la respiration. Je me souviens du soleil couchant, peignant le ciel de teintes orangées et violettes. Nous étions en famille, serrés dans la voiture, l’air empli de nos rires. Un souvenir qui se fissure, se déforme sous le poids du cauchemar qui le suit. L’envie soudaine, impulsive, de faire peur à mon père. Un cri, un mouvement brusque, et la terreur qui se lit dans ses yeux avant l’impact. Le métal qui se tord, le verre qui éclate, le hurlement du métal froissé contre l’asphalte. Un chaos de sons et de sensations, puis… le silence. Le silence lourd et suffocant d'un monde devenu vide. Je suis le seul survivant, un îlot de survie dans un océan de mort.
L’orphelinat. Un lieu froid, où les murs semblent respirer la solitude. Les autres enfants m’évitent, leurs regards empreints de peur et de répulsion. "Fou", me murmurent-ils dans le dos. Ils ont raison, peut-être. Je suis différent. Je ne suis pas seul. Des visages fantomatiques se manifestent autour de moi, des silhouettes vaporeuses qui me chuchotent des secrets à l’oreille. Ce sont mes amis, les seuls qui comprennent.
Mais parfois… parfois, leurs murmures deviennent des ordres, des injonctions glaçantes. Je les vois, je les sens, ils m’entourent et m’envahissent. Leurs mains froides touchent les miennes et m’obligent à agir. Ils m’ont forcé à… à… à cacher un chaton vivant dans le mur. À briser intentionnellement la jambe d’un poussin. À enterrer un chien en et y ajouter une poupée décapitée. Des actes horribles, exécutés sans que je puisse les empêcher, poussé par une force invisible, par la pression insidieuse de mes compagnons spectrales. Leur influence grandit chaque jour un peu plus. Et je ne sais pas comment m’en défaire.

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