Le cycle infernal
Je continue ainsi, nuit après nuit, années après années, prisonnier de ce cycle infernal. Le temps n'a plus de prise sur moi, les jours se fondent en un long cauchemar sans fin. Chaque aube est une nouvelle condamnation, chaque crépuscule une promesse d'horreur. Je tente, souvent, de résister. Je rassemble mes forces, mon humanité résiduelle, et je lutte contre la bête qui sommeille en moi. Je veux en finir, une bonne fois pour toutes, avec cette existence misérable, avec ce monstre qui se nourrit de la peur des enfants. Je veux arrêter le massacre, briser les chaînes de cette malédiction qui me ronge.
Mais mes efforts sont vains. À chaque tentative de rébellion, ils reviennent. Les fantômes. Ces entités spectrales, mes anciens tortionnaires, sont de retour, plus puissants que jamais. Ils se manifestent sous des formes spectrales, des silhouettes indistinctes flottant dans les ténèbres, leurs voix résonnant comme des chuchotements glacials. Ils me contiennent, me subjuguent, me réduisent à l'état de marionnette désarticulée. Ils puisent dans mes plus profondes angoisses, dans mes remords les plus tenaces, pour me paralyser, pour étouffer toute velléité de résistance.
« Tu es à nous, Luc », murmurent-ils en chœur, leurs voix se mêlant en une cacophonie effrayante. « Tu ne peux pas nous échapper. Nous sommes liés à toi pour l'éternité. » Leurs visages spectrales se rapprochent, leurs mains fantomatiques m'étreignent, m'enserrent, me privent de toute liberté. Je sens leur présence froide et suffocante m'envahir, me consumer de l'intérieur.
Ils me rappellent Henry, le petit garçon que j'ai assassiné, son regard accusateur me hantant sans cesse. Ils me montrent mes parents, leurs visages déformés par la douleur et la terreur, leur sang coulant sur l'asphalte. Ils ravivent les images de mes victimes, leurs corps mutilés, leurs yeux remplis de larmes et de désespoir. Ces visions atroces me brisent, me paralysent, me réduisent à l'état de loque humaine.
Alors, je cède. Je me soumets. Je laisse le monstre prendre le contrôle, je me laisse guider par sa soif de sang et de terreur. Je deviens son instrument, son arme, son prolongement. Et le cycle infernal reprend. La nuit tombe, les enfants s'endorment, et je me prépare à recommencer. Je suis condamné à errer dans les ténèbres, à semer la terreur et la mort, pour l'éternité. Les fantômes veillent, ils sont mes gardiens, mes bourreaux, mes maîtres. Je suis leur prisonnier, à jamais.
Je poursuis mon œuvre macabre, obéissant aux injonctions des fantômes et à ma propre soif de vengeance. Je cible les villages isolés, ceux où les lumières faiblissent et les ombres s'épaississent dès le coucher du soleil. Ces communautés rurales, paisibles en apparence, sont des proies faciles, leurs habitants naïfs et vulnérables. Je me téléporte sous les lits des enfants endormis, les arrachant à leurs rêves innocents pour les plonger dans un cauchemar sans fin.
Après mon passage, les villages sont marqués à jamais. Les survivants, traumatisés, errent comme des spectres, leurs regards vides et leurs corps tremblants. Ils parlent d'une créature monstrueuse, d'une ombre difforme qui se glisse sous les lits pour dérober les enfants. Mais leurs récits sont incohérents, fragmentés, et la police, impuissante, les prend pour des fous. Ils cherchent un homme, un psychopathe ordinaire, incapable d'imaginer l'horreur qui se cache dans les ténèbres.
Pourtant, un mythe grandit autour de moi. On murmure mon nom dans les chaumières, les enfants sont menacés de ma visite s'ils ne sont pas sages. Certains, plus rationnels, rient de ces contes de bonnes femmes, les attribuant à l'imagination fertile des villageois. Mais dans les villages que je hante, la peur est palpable. Chaque bruit suspect, chaque ombre fugitive, ravive le souvenir de mon passage. Les parents veillent tard, scrutant les ténèbres, une arme à la main. Les enfants dorment mal, hantés par des visions d'horreur. Sous chaque lit, un espace vide, angoissant, où la mort peut surgir à tout moment.
Je suis devenu une légende, une créature des temps modernes. Un monstre tapi dans l'ombre, attendant son heure pour frapper. Mais au fond de moi, une étincelle d'humanité subsiste. Je suis conscient de la terreur que je sème, de la souffrance que j'engendre. Je me demande parfois si je ne suis pas devenu pire que ce que j'ai combattu. Si les fantômes n'ont pas réussi à me transformer en l'incarnation même du mal.

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