Quand la peur se brise
Une nouvelle nuit étend son voile sombre sur le monde. Je me retrouve, comme à mon habitude, tapi dans l'ombre sous un lit. L'attente est toujours la même, lourde et suffocante. Je commence mon manège habituel, des grattements légers, presque imperceptibles, qui résonnent sous le lit. Je sens l'enfant se réveiller. Ses mouvements sont hésitants, puis il se cache sous la couette, un réflexe de protection illusoire.
Lentement, je me rapproche. Je tends la main, mes doigts crochus effleurent la couverture. Je sens sa tête, petite et fragile, trembler violemment. La peur est palpable, presque palpable. Je me prépare à agir, à saisir, à arracher.
Mais soudain, un cri. Un cri strident, déchirant, qui brise le silence de la nuit. Un cri de terreur pure, mais aussi... de surprise ? Comment est-ce possible ? En des années de monstruosités, jamais un enfant n'a crié. La peur les paralyse, les mutile avant même que je ne puisse les toucher.
La lumière du couloir s'allume brusquement. Des pas précipités résonnent. Les parents ! Ils accourent, alertés par le cri. La panique me saisit. Je dois disparaître, vite. Sans un regard en arrière, je me téléporte.
Je suis en sécurité, pour le moment. Mais quelque chose a changé. Le cri de l'enfant résonne encore dans ma tête, un écho perturbant qui remet en question mon existence monstrueuse. Pourquoi a-t-il crié ? Comment a-t-il pu briser le sortilège de la peur ? Et surtout, qu'est-ce que cela signifie ? Suis-je en train de perdre mon pouvoir ? Les fantômes sont silencieux, comme s'ils étaient eux aussi déconcertés. Une fissure s'est ouverte dans ma routine infernale, une fissure qui pourrait bien tout changer.
La nouvelle se propage comme une traînée de poudre. Un simple cri suffit à me faire disparaître. L'information se répand de bouche à oreille, transformant la peur en une forme de résistance. Les fantômes sont furieux. Ils hurlent, m'insultent, me traitent d'incapable. "Comment est-ce possible d'être aussi stupide ?", leurs voix résonnent dans mon esprit, emplies de mépris.
Ils ont raison. J'ai commis une erreur. Une erreur fatale. J'ai offert aux humains une arme contre moi, une arme simple, primitive, mais terriblement efficace : leur cri. Et ils l'utilisent.
Les parents enseignent à leurs enfants à crier au moindre bruit suspect, à la moindre ombre perçue. Les nuits sont devenues un concert cacophonique de hurlements stridents. Près d'une fois sur deux, mon approche est éventée, mon repas gâché. Les enfants n'ont plus peur. Ou du moins, pas de la peur paralysante qui me permettait d'agir. Ils ont appris à transformer leur angoisse en un signal d'alarme, en un appel à l'aide.
Les conséquences sont désastreuses. Plus le temps passe, moins je me nourris. Cela fait maintenant cinq nuits que je n'ai rien arraché. Ma force décline, mon corps se fait plus lourd, plus lent. Je sens le masque peser sur mon visage, comme un fardeau. Les runes palpitantes semblent pulser avec moins d'intensité, comme si elles aussi étaient affaiblies.
Les fantômes sont de plus en plus pressants. Ils me harcèlent, me tourmentent, me rappellent ma mission, ma vengeance. Mais leurs mots sonnent creux, comme s'ils savaient que leur pouvoir sur moi s'amenuise.
Je suis pris au piège. Piégé par ma propre monstruosité, piégé par la résistance des humains, piégé par la malédiction du masque. Je suis affamé, faible, et la nuit qui s'annonce promet d'être encore plus difficile que les précédentes. Je dois trouver une solution, vite, avant de perdre tout ce qui me reste.

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