CHAPITRE 16 : En immersion

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STAN

Ça fait deux semaines que je suis rentrée des Etats-Unis et ça fait deux semaines que Samantha ne m’adresse plus la parole, même pas un regard. J’ai tenté à plusieurs reprises, de lui parler, mais à chaque fois elle a fait comme si j’étais totalement invisible. J’ai eu une explication avec Etienne et Isabelle. Ils ont très bien compris mes intentions et ne m’en veulent pas du tout.

Isabelle est vraiment mal pour moi, pour nous deux. Elle aussi a essayé de parler à sa fille, mais elle aussi s’est retrouvée face à un mur.

Elle a interdit à Axel et Mégane de venir me voir, mais le jeune homme m’a rapporté qu’il s’était opposé à sa mère.

- J’ai presque dix-neuf ans maman. Je suis adulte et tu n’as pas à décider pour moi qui je dois voir ou non. On s’entend super bien avec Stan et je n’arrêterai pas d’être ami avec lui sous prétexte que tu n’arrives pas à lui pardonner un petit mensonge. Au passage, c’était pour se protéger, te protéger et protéger votre relation et non pour te faire du mal.

Il avait dit à sa mère avant de partir en claquant la porte pour me rejoindre. Je suis très touché qu’il ait prit ma défense et qu’il ait tenté de la raisonner, mais elle est tellement têtue qu’elle ne m’a même pas laissé m’expliquer. Je ne demande que ça, juste qu’elle me donne l’occasion de lui parler. Je sais, j’ai compris et j’ai accepté le fait que je ne la récupèrerais pas. Enfin non, je n’ai pas accepté, pas encore. Je n’accepterais que lorsque je serais convaincu que je n’ai vraiment plus aucune chance avec elle. Je veux y croire encore.

Je dois repartir un mois aux Etats-Unis travailler pour le tournage avec Martin Scorsese. Je dois rester en immersion totale dans un service d’urgences hospitalier. Même si je suis à des milliers de kilomètres, je veux essayer de rétablir le contact avec Samantha, coûte que coûte. Cette fois, je vais me servir de son amour pour les animaux, donc de Kitty. J’ai fait exprès de ne pas encore avoir effectué les démarches pour la faire venir aux Etats-Unis. Isabelle et Etienne vont être mes complices. Je vais leur laisser mes clés pour qu’ils viennent s’occuper de Kitty en mon absence et eux vont prétexter qu’elle connait mieux l’animal et la maison pour l’envoyer chez moi à leur place. On sait très bien tous les trois, qu’elle ne pourra pas refuser par amour pour ma chatte.

J’ai fait installer des caméras de surveillance dans toutes les pièces de la maison. Je peux voir et les contrôler depuis mon téléphone portable. Axel m’a aidé à programmer une alerte pour m’avertir lorsque Samantha sera chez moi.

En quoi le fait qu’elle vienne prendre soin de mon chat, va-t-il nous faire nous rapprocher ? C’est très simple. Le fait qu’elle accepte de venir chez moi, en mon absence, là où elle a des souvenirs de nous, de notre intimité, c’est déjà un point positif. Ça veut dire qu’elle ne m’a pas totalement rayé de son cœur et que je compte encore pour elle. Ensuite, grâce aux caméras, je pourrais étudier son comportement et ses réactions. Ça va me permettre de mieux cibler mes choix pour la reconquérir.

Je pars donc pour le Pennsylvania Hospital situé à Philadelphie. L’un des médecins en chef du service des urgences a accepté que je le suive vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il est très important pour que mon personnage soit au plus près de la réalité, que je vois par moi-même les conditions professionnelles et personnelles dans lesquels vit un médecin urgentiste.

************

SAMANTHA

Maman vient de m’annoncer que Stan est rentré aux Etats-Unis pour le travail et que je dois aller m’occuper de Kitty durant son absence, la femme de ménage étant en arrêt maladie. Il doit normalement rentrer dans un mois.

- Attends maman, c’est à toi que Stan a confié ses clés de maison, c’est à toi d’aller nourrir Kitty.

- Enfin ma chérie, tu sais très bien qu’à cause de mes mains, je ne peux pas.

- Et papa ?

- Ton père en mettrait partout et la maison serait dans un état déplorable au retour de Stan. En plus tu sais qu’il oublie déjà de donner à boire à Charly, alors on risquerait de retrouver cette pauvre chatte, tout desséchée. Honnêtement, tu connais mieux cette petite boule de poil et la maison que nous.

Je soupire. Ils me fatiguent tous, vraiment.

- Axel ou Mégane ont qu’à y aller alors, parce qu’il est hors de question que je remette les pieds dans cette maison, compris ? je dis d’une voix ferme.

- D’accord, d’accord, pas la peine de t’énerver.

- Je ne m’énerve que lorsque vous vous mêlez de ma vie sentimentale.

- C’est parce que l’on t’aime et que l’on s’inquiète pour toi.

- Vous n’avez pas besoin de vous en faire. Je suis une grande fille, maintenant.

- Tu es mon bébé et je ne cesserais jamais de m’inquiéter pour toi. Quand tu es heureuse, je suis heureuse et quand tu vas mal, je vais mal. Et en ce moment mon cœur est brisé parce que le tien est en miette.

- Maman s’il-te-plait, ne revenons pas là-dessus, je dis d’un air las.

- Il faudra pourtant qu’un jour tu en parles et l’idéal même, ça serait que vous en parliez tous les deux.

- Je n’ai rien à dire de plus et surtout pas à lui. Tu sais très bien ce que j’en pense et il n’y a pas à revenir dessus. J’ai bien compris que vous, vous lui avez pardonné, mais pour moi il en est hors de question.

Je lui prends les clés de chez Stan, des mains et me dirige vers l’escalier qui mène à ma chambre.

- Tu as gagné, je m’occuperais de Kitty, mais vous n’aurez rien de plus de ma part, je dis en montant les marches, furieuse.

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STAN

Ça fait un peu plus de trois semaines que je suis en immersion au Pennsylvania Hospital et je suis déjà sur les rotules. On fait deux fois plus d’heures qu’une personnes normales, sans compter les gardes de nuit et les remplacements. Ces hommes et ces femmes passent plus de temps à l’hôpital que chez eux avec leur famille.

Lorsqu’ils sont de garde, ils ne dorment que par petites tranches de vingt minutes et encore s’ils ont la chance de ne pas être appelé sur une urgence. Je n’ai jamais été autant fatigué, même lors du plus difficile et du plus long des tournages que j’ai pu faire. Je ne sais pas comment ces personnes font pour résister et surtout je ne comprends pas qu’on les laisse s’épuiser autant. Je n’admets pas que l’on puisse mettre entre leur main, la vie d’autres personnes. Je ne renie pas leurs compétences, loin de là, au contraire je les admire. Ça me révolte de constater que des vies humaines sont mises entre les mains d’un personnel soignant à bout de force. Je suis persuadé que beaucoup d’erreurs médicales pourraient être évitées s’il y avait plus de personnel et de rotation dans les gardes. Comment une personne qui n’a dormi que vingt minutes en vingt-quatre heures, peut-elle avoir l’esprit assez clair pour faire un diagnostic correct ? J’espère que grâce à ce film, les choses vont bouger un peu, dans le bon sens.

Je crois que le service des urgences est le pire service dans lequel puisse travailler le personnel soignant. Ils sont constamment sous pression, à courir dans tous les sens. Ils passent d’un patient à l’autre, parfois sans même avoir le temps de consulter leur dossier. Ils voient tous types de blessures, de douleurs physiques mais aussi psychologiques. Ils passent d’une fracture de la jambe à un infarctus, d’une crise aigüe d’asthme à une grave accident de la route, d’une petite plaie à la tête à un traumatisme crânien important.

Ils doivent réagir au quart de tour, faire un diagnostic et trouver le bon remède en un clin d’œil, mais aussi gérer les familles des patients et leur douleur. Ils doivent être capable de suturer une plaie, de retirer un clou planté dans un pied, de clamper une artère, de calmer un ivrogne ou maitriser un drogué en pleine crise de manque. Ils doivent être à la fois rapides, efficaces et rassurants.

Ils voient passer des bébés, des enfants, des adolescents, des adultes et des personnes âgées. Ils voient une mère donner la vie et le box d’à côté la mort en prendre une autre. Il faut non seulement une grande résistance physique mais aussi mentale pour supporter tout ça.

En plus, il faut avoir l’estomac bien accroché. Lorsqu’un homme arrive avec un bras qui ne tient plus que par quelques tendons parce qu’il se l’est sectionné accidentellement avec sa tronçonneuse, qu’un ivrogne vous vomi dessus, qu’un énorme abcès vous explose au visage ou encore qu’un blessé par balle arrive avec une partie de ses tripes en dehors de son abdomen, j’avoue à plusieurs reprises j’ai dû courir aux toilettes pour vomir.

Et les odeurs ! Les odeurs corporelles des patients qui ne se sont pas lavés depuis des jours, voir des semaines, les produits désinfectants, les blessures infectées et le sang. Le sang a une odeur bien particulière. Heureusement une gentille infirmière m’a donné une astuce pour être moins incommoder. Elle m’a montré qu’en se mettant un petit peu de baume du tigre sous le nez, ça masquait presque totalement les odeurs ou les rendait plus supportable. Et c’est vrai. Ça marche. Ça m’a sauvé la vie plus d’une fois.

Quand les médecins rentrent chez eux, surtout après une garde, ils sont tellement fatigués qu’il passe la moitié de leurs jours de récupération, à dormir. Leurs conjoints et leurs enfants sont habitués à vivre en colocation avec eux et ne font pas vraiment de projets à l’avance. Ils savent que même lorsqu’ils sont en congés, ils peuvent être appelé sur une urgence et devoir quitter ce qu’ils font, sur le champ.

Je les admire vraiment et je ne les verrais plus avec le même œil désormais.

************

Le dispositif de surveillance que j’ai fait installer chez moi et l’alerte qu’Axel a programmé, fonctionnent à la perfection. La première fois que Samantha est entrée chez moi, pour prendre soin de Kitty, j’ai ressenti une telle joie, que j’avais envie que tout le monde le sache. Mon plan fonctionnait. Elle était chez moi. Elle a fait un pas vers moi, vers la réconciliation. Bon je sais que rien n’est gagné, mais c’est déjà énorme vu le fossé qu’elle avait creusé entre nous. Ce fossé, elle a construit un pont qui le traverse et le passe pour venir de mon côté.

Désormais, tous les jours, j’attends avec impatience le moment où les caméras de surveillance vont se déclencher. C’est devenu mon rendez-vous quotidien, mon rituel, mon échappatoire aussi à tout ce que je peux voir dans cet hôpital. Ça pourrait s’apparenter à du voyeurisme, mais j’espionne chez moi, pas chez quelqu’un d’autre, donc on peut considérer que c’est de la surveillance.

Chaque soir, dès qu’elle rentre du travail, Samantha vient directement voir Kitty. Je le sais car elle dépose ses affaires sur l’îlot de la cuisine. Les premiers jours, je la voyais mal à l’aise, tendue. Elle s’empressait de remplir les gamelles, de nettoyer la litière et même pas cinq minutes plus tard, elle était déjà repartie. Et puis, au fil des jours, elle s’est mise à prendre du temps pour jouer avec Kitty ou s’installer sur le canapé à la câliner. Depuis trois jours, je le vois qui fait le tour de la maison. Elle vérifie les fenêtres, que tout fonctionne correctement, qu’il n’y a pas de fuite dans les pièces d’eau et que Kitty n’ait rien abîmé ou salit. Je l’ai vu hésiter, à la porte de ma chambre. Elle est restée un moment sur le seuil de la pièce avant de se décider à entrer pour remettre en place le dessus de lit que Kitty avait mis sans dessus-dessous. Je ne sais pas qu’elles étaient ses pensées à ce moment-là, mais elle s’est mise à pleurer et est partie précipitamment en s’essuyant les yeux. J’ai senti mon cœur ses serrer et une larme rouler sur ma joue.

Je dois rentrer dans deux jours et je crois que Samantha est prête.

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