Chapitre 7 – La magie roule toujours sur la 34

12 minutes de lecture

André emmena Tac et Quilo jusqu’au Nord profond du parc. Ils y croisèrent beaucoup de sans-abris échevelés, éméchés ou méfiants de ces nouveaux arrivants, leurs yeux tournés vers le groupe. Ils n’osaient cependant pas s’approcher d’eux : André semblait posséder une aura d’autorité semblable à un chef de la Cour des Miracles. Il y avait énormement de races humanoïdes parmi les habitants de la forêt, certaines même inconnues du ventou. La braiseuse et lui restaient collés et marchaient sur les talons de leur guide humain, en essayant au maximum de ne pas croiser des regards.

Au bout d’un moment, le sol se fit pentu et Quilo sursauta : devant eux, un trou de ténèbres insondable. Il mit quelques instants avant de comprendre qui’l s’agissait d’une caverne aux dimensions gargantuesques. André se retourna et s’inclina de façon grotesque en présentant l’endroit.

— Après vous.

Tac s’apprêta à dire quelque chose mais Quilo la dissuada d’un geste. Il sentait… de fortes émanations de magie. Des odeurs, mais aussi des vibrations et des impressions de malaise. Heureusement qu’il avait pris ses médicaments avec lui ! Il sortit son flacon, versa quelques gélules et partit pour les avaler quand :

— Je t’interdis de prendre cette merde.

C’était André : son visage, auparavant amical et amusé, ne trahissait rien d’autre qu’un profond mépris et une colère noire. Quilo abaissa sa main et fronça des sourcils ; l’humain soupira et leur intima de s’enfoncer dans la noirceur totale. Enfin, pas totale pour tous : Tac était naturellement nyctalope. Néanmoins un rapide coup d’oeil vers elle apprit au ventou qu’elle n’y voyait pas plus que lui. Alors, après avoir pris son courage à deux mains, il s’enfonça dans le trou de nuit.

Comme il n’y voyait rien, Quilo tendit les mains devant lui. Quelque chose tira sur le bas de son t-shirt : Tac. Elle s’était accrochée à lui pour ne pas se perdre. Tu m’étonnes ! Elle ne devait pas être souvent confrontée à l’aveuglement né de la pénombre. Il avançait pas à pas, prenant le temps de bien tâter l’obscurité pour ne pas se prendre un stalagmite ou un mur. Leurs pas résonnaient et leurs échos se propageaient dans l’espace comme des applaudissements. Quilo se retourna : dans la lueur du dehors se dessinait la silhouette d’André, qui lui intima :

— Avance. C’est plus très loin.

Malgré la situation un peu étrange, Quilo lui fit confiance. Il se rattacha à l’idée qu’il allait enfin pouvoir faire de la magie. De la vraie magie, pas de la poudre de perlimpinpin ou des sorts créés à l’aide de cristaux. Plus de tricherie aux examens, plus de mensonges envers quiconque… Plus de crises. L’appréhension était telle qu’il en oubliait de respirer, lui offrant un léger mal de crâne et des fourmis dans les doigts.

Tout à coup, il eut l’impression de toucher une sorte de voile d’air et là, tout devint lumineux. Face à lui se présentait une salle immense : des piliers de pierre sculptés à même la roche qui soutenaient la voûte, des fresques murales aux contours argentés et surtout de l’or, en si grande quantité que l’odeur métallique envahissait toute la pièce. Celle-ci était éclairée de torches bleus et blanches, accrochées ça et là. Au fond, le ventou remarqua qu’il y avait un groupe de personnes. Personnes qui se tournèrent vers lui et Tac dès qu’ils entrèrent dans la salle.

— Chérie, je suis rentrée ! lança André à tue-tête.

Il passa un bras autour des épaules de Quilo et l’entraîna jusqu’aux personnes au fond de la salle. S’y trouvait un trône en platine si large et si massif qu’il n’aurait jamais été conçu pour un postérieur humanoïde. Le ventou se tourna vers son ami : elle avait l’air fascinée par le trésor autour d’eux, mais aussi par les fresques et les piliers. Les gens qu’André avait interpellé étaient une petite dizaine, tous d’une race différente, et la personne qui paraissait être leur cheffe était une kaillaisse de deux mètres avec des biceps gros comme des bûches.

André se délaissa de Quilo pour sautiller jusqu’à la masse de muscles, qui le prit par la taille et l’attira contre elle en un baisé passionné. Quelque chose se brisa en Quilo alors qu’André s’écartait en se pourléchant la lèvre et que la kaillasse lançait :

— C’est eux tes nouvelles recrues ?

— Moi aussi, je t’aime, répondit André et son amante le foudroya du regard. Lui, plutôt, mais l’autre je sais pas. À voir.

Elle tchipa, puis regarda Quilo de la tête aux pieds. Ses sourcils se haussèrent quand il soutint son regard et dit :

— Je veux une audience avec votre boss, Siesseir Vive-Albâtre.

— Ah ouais ? (elle et ses acolytes rirent ; même André, qui pourtant détourna la tête, sourit) Et qu’est-ce qui te fait croire qu’elle va s’intéresser à toi.

— Je suis un Brisé, et j’ai des crises de magie.

Pour preuve, il sortit de sa poche le flacon. Dès qu’elle le vit, la kaillasse parut flancher et un voile passa devant ses yeux. Elle tendit la main vers celle de Quilo qui comprit le geste et lui passa les gélules. Sans prévenir, elle les écrasa dans sa paume comme une poignée de chips ; les débris s’effritèrent et ne laissèrent rien derrière eux. Les autres poussèrent des vivas et applaudirent le geste, alors que la cheffe tendait sa main.

— Mon nom est Ally Burnam. Ravie de faire ta connaissance.

— Quilo Tramontane et voici…

— Tacmek Idoine !

Ally se tourna vers la braiseuse au grand étonnement du ventou. Son amie se figea.

— Vous vous connaissez ? demanda-t-il en regardant Tac.

— Pour sûr ! On était au lycée ensemble, hein, Tacky ?

Tacky… Ce n’était pas le surnom péjoratif qu’il avait entendu en classe, mais qui laissait entendre une familiarité. Quilo chercha le regard de Tac mais celui-ci était rivé sur la kaillasse, qui souriait de toutes ses roches. Après un instant de flottement, Tac répondit :

— Désolé, Ally, mais je pensais que t’étais en centre de redressement.

Sa voix était si froide et si maîtrisée que Quilo en déduit qu’il y s’était quelque chose de grave entre elles deux. Ally haussa un sourcil de nouveau et son sourire disparut. André arriva à la rescousse en agitant ses mains.

— Hey, hey, hey ! On va continuer les présentations, si vous voulez bien…

Il passa entre Tac et Ally et entraîna la première avec Quilo pour rencontrer les différentes personnes présentes. Quilo était trop plein de sentiments contradictoires pour pouvoir retenir des visages et encore moins des noms : alors comme ça, André était en couple ? Une part du ventou voulait se réjouir que son ami d’adolescence ait pu trouver quelqu’un, mais une autre voix hurlait en lui que ce n’était pas juste, qu’il connaissait André depuis bien plus longtemps que ça. L’impuissance et l’injustice en fond de bile, ce fut avec la gorge serrée que Quilo hocha la tête à chaque personne qu’André présentait avec une ferveur qui lui ressemblait tant :

—…et ici, on a Flavio qui a dégommé sa sœur… adoptive ! ajouta l’humain en voyant le braiseur se renfrogner.

— Attends, fit Tac. Vous êtes tous et toutes des Brisé.e.s ?

— Pas tout le monde, argua Ally en s’approchant. On a, en tout cas, de l’expérience avec les Brisés. Pas vrai, Tacky ?

Elle se renferma sur elle-même et Quilo lui prit la main pour la soutenir, geste qu’elle accueillit en serrant plus fort. Ally continua en balayant la salle d’un large geste :

— Ici, c’est un endroit sûr pour les gens qui refusent le sexe comme la seule issue vers la magie. Pas besoin de coucher avec quelqu’un pour avoir des pouvoirs.

— Si c’était aussi simple de ne pas faire comme ça, ça se saurait ! lui rétorqua Quilo.

— Parce c’est ce qu’ils veulent te faire croire.

— Qui ?

Ally sourit et ne répondit pas. Cette façon de faire des mystères pour paraître plus théâtral agaça Quilo, qui prit un ton plus âpre :

— Alors quoi ? Siesseir vous donne de la magie ?

— Tout dépend ce que tu entends par « donner ».

La voix résonnait partout à la fois dans la pièce et Quilo ressentit un frisson, une présence dans son dos. Il fit demi-tour vers l’entrée de la salle, et personne… Quand il se retourna, il sursauta en même temps que Tac : devant lui sur le trône se prélassait une créature serpentine et féline, aux ailes étendues comme les voiles d’un navire. Sa queue glissait sur les pièces en les faisant cliqueter, ses cornes recourbées lui donnaient l’allure d’un bouc, mais avec des écailles blanc nacre qui lançaient des reflets irisés et infinis des torches. Quand elle ouvrit les yeux, la dragonne découvrit à l’assemblée deux énormes perles sans iris, aux couleurs tourbillonnantes de magie. Quilo en eut le souffle coupé. Tac se serra contre lui en balbutiant des mots incompréhensibles. Tous deux avaient l’impression d’être des fourmis devant un enfant avec une loupe. Siesseir le remarqua et sa gueule se fendit d’une expression presque souriante, comme si elle s’en amusait.

— Je sens que l’on va s’amuser… (elle pencha son énorme tête pour la poser devant eux deux) À qui ai-je l’honneur ?

Ils répondirent par leurs noms, prénoms et deuxième prénoms. L’oeil de la dragonne disparut derrière une membrane un instant avant de revenir.

— Hmmm… André, ce ventou est-il ce Quilo dont tu m’avais parlé ?

Du coin de l’oeil, Quilo vit André acquiescer sereinement. Toutes les personnes présentes semblaient obnubilées par la créature. Siesseir Vive-Albâtre se redressa et sa griffe cliqueta sur son trône.

— Je vois. Quilo, donc ! (il comprit qu’elle s’adressait à lui) Tu es venu pour retrouver ce que tu as perdu ?

— Ce que j’ai… perdu ?

— Cette manie qu’ont les bipèdes de répéter ! Oui, perdu, disparu, enfui… tant de mots qui ne signifient qu’une infime partie de ce que j’entends ! Ce que le similisme peut-être contraignant… Je me perds !

La puissante dragonne souffla par ses naseaux une buée blanche et la température de la pièce s’abaissa légèrement. Ce fut à cet instant que Tac se pencha vers Quilo pour dire :

— Je le sens pas.

Pour quelqu’un qui rêvait depuis toujours de trouver un dragon, cela signifiait que la situation était vraiment mauvaise. Quilo déglutit et attira l’attention de la dragonne avant de dire :

— Comment je peux regagner ma magie ?

— Regagner ? C’est le mot parfait ! (elle se mit à rire ; on aurait dit un tonnerre asthmatique) Il y a nombre de moyens pour vous, les bipèdes, de regagner votre magie. L’acte charnel en est un…

Quil était accroché à ses « lèvres ». Grossière erreur, selon moi et pour une raison précise : malgré mon amitié et mon respect inconditionnel pour les dragons, je les considère comme de facétieux parieurs, d’incorrigibles manipulateurs et d’affreux menteurs. Affreux dans le sens où l’effroi vous saisit quand vous commencez à croire à leurs sottises. La dragonnes Siesseir se laissa choir de son trône telle une nappe de brouillard, sans un bruit. Dans sa gestuelle, il y avait le mouvement d’une bête qui avait autant l’habitude de tuer que de respirer.

—…et j’en connais quelques uns de plus, au vu de mon expérience. Le problème est qu’une méthode ne marche qu’une fois sur deux, et jamais on n’utilise la même méthode avec tel individu. Comprends-tu, la science magique n’est pas un sujet très apprécié par mon espèce ! (Une note de mépris teinta sa voix) Nous sommes si instinctifs que nous ne prêtons pas attention à la nature de notre pouvoir.

Elle s’assit sur son derrière comme un chien et tendit sa griffe vers le ventou, qui recula :

— Être « Brisé », par exemple ! Quelle idiotie avez-vous été, les bipèdes, de nommer la chose ainsi. Il ne s’agit pas d’une rupture, mais d’un blocage.

— Que vous pouvez retirer, osa dire Quilo en tremblant comme une feuille.

— Que je pourrais retirer. Vois-tu, ton espèce a eu l’idée incongrue de traquer la mienne parce qu’elle la considérait comme mauvaise. Alors je te propose un marché pour enterrer la hache de guerre : tu fais quelque chose pour moi et je te débloquerais.

Tac prit sa main et tira légèrement dessus. Quilo l’ignora en se sentant si près du but.

— Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ?

La dragonne sourit :

— C’est simple : tu brûles le palomin qu’Hallioce a planté.

— Quoi ? Pourquoi je ferais ça ?

— Pour la simple raison que c’est lui qui l’a planté là. Non, plutôt… par acquis de conscience. Hallioce a toujours été un salopard arrogant qui ne souhaitait pas qu’un humain devienne mon partenaire, alors il l’a tué. Ce n’est que justice que je détruise enfin ce qui lui est cher.

Quoi ? Il avait appris… Il avait appris dès la primaire le récit légendaire d’Hallioce terrassant Abraxas, le grand dragon rouge qui terrorisait la région. Le héros avait sauvé le pays en plantant un arbre sacré qui désorientait et affaiblissait les dragons.

— Oh, pauvre ventou… pauvre bipède qui découvre qu’on lui a menti comme à tous ses semblables. André avait lui aussi accusé le coup, je m’en souviens : il était resté prostré pendant deux heures dans un coin !

Des rires survinrent et Quilo se tourna vers son ami de collège, qui fit une moue disant : « Eh ouais mais bon, on s’y fait ». Tac en profita pour prendre la parole :

— Le palomin détruit, des monstres afflueraient dans toute la ville. Ce serait le chaos !

— Et qui serait là pour vous venir en aide, hmm ? (Tac blêmit, la dragonne s’emballa) Moi, évidemment ! Imaginez… une dragonne qui repousse l’ennemi, et jamais plus on ne chassera le dragon dans la contrée ! Et avec un peu chance, je pourrais devenir bourgmestre de la ville… non, du pays !

— Techniquement, on ne fait plus de bourgmestres depuis 1212, lui apprit Ally avec un sourire crispé.

La dragonne chassa cette réplique d’un coup de queue agacé, sans toutefois se départir de sa bonne humeur. Les sous-fifres de Siesseir se mirent à discuter joyeusement et à féliciter leur supérieure, et même André s’y mettait ! Toute cette mise en scène pour flatter la créature, lui donner raison… juste pour quoi ? Ne pas se faire « rebloquer » ? Non, ce n’était pas ça qui rendait Quilo malade…

— Quil…, commença Tac en remarquant son malaise, mais il avait déjà fait son choix :

— Non.

La dragonne arrêta de faire ses monologues, les flatteries s’arrêtèrent et tous les yeux se braquèrent sur lui. Une peur primale, d’animal piégé, enserra Quilo qui se rapprocha plus de Tac.

— Ah ?

La dragonne se gratta derrière la corne, visiblement contrite.

— Je pensais que tu accepterais mais c’est noble de ta part de refuser : après tout, tu peux craindre de me voir prendre le pouvoir ou de voir ta contrée se faire attaquer… Bon, eh bien tant pis ! Vous pouvez y aller.

— Quoi ? (Tac s’avança malgré tout) Vous allez nous laisser partir ? Alors qu’on sait ce que vous voulez faire ? On pourrait le dire à n’importe qui !

Tac… pensa très fort Quilo en voyant les visages amicaux devenir menaçants. La dragonne, elle, déclara simplement :

— Trésor, l’université est déjà au courant.

Cela suprit autant le duo que les sous-fifres. Ally sembla vouloir prendre la parole mais la dragonne la coupa d’un regard autoritaire, avant de continuer :

— Ils savent très bien où s’arrête la légende et où commence la vérité. Tout ce qu’ils désirent, c’est de protéger le palomin et m’empêcher de leur venir en aide. Tu peux leur dire que je suis une dragonne dangereuse et visionnaire, braiseuse, mais ils le savent déjà. Tu peux leur raconter comment je compte détruire leur arbre sacré, mais de toute façon, entre un arbre et moi, nous savons très bien qui mourra de vieillesse le premier.

— Donc si je comprends bien, commença Quilo, vous accélerez les choses…

—…parce que je m’ennuie, voilà tout.

Le ventou sentit ses entrailles tomber dans ses chaussettes. Il avait d’abord crû à un désir de vengeance de la part de Siesseir, et il y avait de ça. Mais finalement, ce n’était qu’un prétexte pour s’amuser dans une fantaisie où la dragonne était l’héroïne. Cette dernière perçut son malaise avec le bon plaisir que ces créatures ressentent quand ils permettent enfin à leurs proies de remarquer les constrictions si bien placées. C’est pour cela que je déteste aussi les dragons : à force d’ennui immortel, ces lézards finissent toujours par opter pour le plan le plus insidieusement cruel.

— Partez, mes chers bipèdes. Répandez ou non mes paroles, je n’en aurais rien à faire. Tout ce qu’il vous reste, c’est d’attendre ma venue.

Le rugissement qu’elle poussa fit trembler les fondements de la terre. Quilo et Tac en perçurent l’avertissement et se précipitèrent vers le mur illusoire du fond. Juste avant de l’atteindre, le ventou se retourna et croisa le regard d’André pendant une fraction de seconde. Il n’y lut que de la déception.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Reydonn ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0