Chapitre 8 – La magie vous travaille le fondement

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Jeudi. Kwilo n’avait pas fermé l’oeil de la nuit, hanté par le spectre rugissant de Siesseir. Lorsqu’il arriva à l’université, tôt le matin devant l’amphi où se pressait déjà de nombreux élèves, il aperçut Tac. En s’approchant, il constata à sa mine qu’elle avait subi le même traitement que lui. Normal, après… Elle l’accueillit d’un « bonjour… » aussi fatigué que rembruni, auquel il répondit par un sourire léger.

— Sommeil léger ? lança-t-elle après un bâillement.

— Tu peux parler. T’es prête pour l’examen au moins ?

— J’ai pas pu réviser de la soiréééée ! gémit-elle, avant de lui lancer un regard complice : On se met à côté ?

— Pour que tu triches et nous entraîne dans ta chute ? Jamais. De. La. Vie ! chantonna-t-il alors que les portes de l’amphi s’ouvraient.

M. Yvain les accueillit. Sur son visage s’exprimait une fatigue qui mit Kwilo mal à l’aise ; d’accord, les étudiants étaient crevés parce que tout le monde bachotait ou stressait, ou au moins faisaient un meeting avec une espèce jugée disparue. En revanche les professeurs étaient toujours frais pour les examens – quoique de mauvaise humeur, certes.

— J’espère que vous avez tous révisé, dit-il aux jeunes adultes qui rentraient dans la salle.

Quand Kwilo passa, le métamage le fixa juste un trop longtemps à son goût avant de passer aux autres. Il chercha Tac du regard et lui posa une question silencieuse, laquelle répondit par un haussement d’épaules et un signe de têtes vers les tables du milieu, déjà à moitié remplies. Ils s’installèrent tous deux à côté, à la bonne distance selon les chartes de sécurité. Le professeur revint au bureau et attrapa la chemise contenant les sujets du premier examen de session. C’est là que le malaise du ventou fut confirmé par ces mots :

— En raison du changement de direction au sein de l’école et de… décisions du conseil d’administration et d’éducation, le programme a été légèrement changé – les étudiants commencèrent à protester mais une main levée de leur professeur les fit taire – Le contenu du contrôle n’a pas été modifié, soyez en certains : il s’agit du cours que vous avez suivez depuis deux semaines. Néanmoins, les modalités…

Le cœur de Kwilo rata un battement. Même M. Yvain semblait bouleversé, quand il reprit après une pause :

—…les modalités ont été changées. Vous aurez un examen écrit, comme convenu, mais l’épreuve pratique facultative est devenue obligatoire.

Quelques étudiants grognèrent de façon fade, pour signifier que ça les embêtait sans vraiment les incapaciter. Pas Kwilo : lui voyait son monde se rétrécir de noirceur et sa respiration s’apensantir. Il leva la main en tremblant et eut l’impression – fausse, évidemment ! – que le professeur lui renvoyait un regard compatissant en lui laissant la parole :

— Vous serez le seul examinateur de l’épreuve pratique ?

Ce serait sa seule chance de tricher, sans être vu : un examinateur seul, si doué soit-il, ne se douterait pas qu’il utilisait des champignons pour faire des explosions et de la lumière.

— Non, je ne serais pas le seul. Le chercheur Montgomery et l’examinatrice Tarchan superviseront l’examen pratique à mes côtés.

Tandis que le professeur continuait sa diatribe sur quand et comment l’examen se déroulait, Kwilo priait tous les dieux souterrains d’ouvrir une faille sismique pour l’engloutir et ne plus jamais le laisser sentir le vent dans ses cheveux. Tac se pencha sur le côté pour lui prendre la main, le soutenir. Il la serra dans la sienne, retenant ses larmes du mieux qu’il pouvait ; faire une scène n’arrangerait rien, pire, cela accélérerait le processus. Ou peut-être… peut être qu’il y a une chance, pensait-il en s’accrochant à un espoir futile. Peut-être qu’il y a une chance qu’ils remarquent mais ne disent rien, qu’ils acceptent de me laisser continuer le cursus comme si de rien n’était ! Cet espoir, Kwilo s’en nourrit comme un rat affamé dans une poubelle. Il n’y avait rien d’autre à faire, de toute façon.

Au moins cela lui permit de se ressaisir assez pour se concentrer sur le sujet que M. Yvain venait de distribuer. Quand le professeur lui passa les feuilles, il lut dans son regard une forme de pitié… ou peut-être l’imaginait-il dans son désarroi. Il lut le sujet : il s’agissait de décryptage de runes, de tracés de cercles alchimiques, de questions de cours et d’un essai en bonus. Une respiration, puis il commença à entrer dans son monde.

Ce que je peux vous dire de Kwilo Tramontane, c’est qu’il est à l’opposé de ma modeste personne. Cette dernière est d’un flegme travaillé au travers d’une procrastination intelligente, de beaucoup de mensonges houleux et d’un complexe de Dieu très prononcé. Certes, je me trouve être le magicien le plus doué des sept empires et de toute l’histoire de l’Ultimonde – sans exagérer – et mon génie est si grand qu’il me rend allergique à toute forme d’effort conséquent.

Kwilo restait tout de même très semblable à mon genre : l’indicible sentiment qu’une chose doit être faite de la manière la plus efficace qui soit.

Il commença par s’attaquer aux questions de cours, vomissant ses connaissances sur le papier avec la clarté qu’un étudiant émérite peut employer. Exemple peu exhaustif : « Quels sont les cinq principes de la loi d’Everdy Brown sur la conservation de l’énergie arcanique dans un milieu à faible émission lumineuse ? » et il répondit : « Principe un : l’énergie volatile s’accroche aux minéraux les moins ionisés. Principe deux : l’énergie se rassemble par les points les moins éclairés pour compenser le manque d’énergie thermique. Principe trois : l’énergie s’accumule jusqu’à atteindre une masse critique. Principe quatre : l’énergie se cristallise à la surface du minéral. Principe quatre : l’énergie stockée accumule des empreintes lumineuses, sonores et odorantes. ». Il vint à bout des cinq questions similaires suivantes et regarda l’horloge : il y avait passé dix minutes. Plus que cent-dix.

Le décryptage fut plus difficile : les runes étaient une matière pour le ventou depuis cette année. Certes, il s’était avancé durant les dernières grandes vacances, mais malgré tout cela ne lui suffit pas à tout saisir. À la fin, sa phrase ressemblait à ceci : « Les étoiles planchent sur [] du matin, devenant plus sombres à mesure que la grenouille se met à mugir ». Il était persuadé d’avoir eu bon sur « étoiles », « matin » et la partie de l’assombrissement, en revanche, il peinait à traduire le reste et une bonne partie de l’énoncé de la formule lui échappait complètement. Au moins se espéra-il que cette partie avait pour but de trier les élèves qui ne lâchaient pas le morceau et ceux qui passaient à côté sans chercher plus que ça.

Les cercles alchimiques furent une partie de plaisir : déjà tout petit, il adorait voir les anciens ouvrages en vélin au musée, couvert de formules étranges et de formes géométriques stylisées. Ceux qu’on lui présenta valaient un pet de lapin à côté du Rosaire de Quinlior de la Faore, ou des Goéties Imperméables d’Alberto Sarrezzini. Kwilo, plus que confiant, s’amusa à donner des anecdotes sur les inspirations des cercles de l’examen, citant les ouvrages de bibliographies de collège et de lycée que peu consultaient. Quatre pages plus tard, il décida de s’arrêter au risque de gaver son correcteur.

Il regarda l’horloge : diverger sur l’alchimie lui avait coûté trois gros quarts d’heure. Il ne lui restait moins d’une heure pour s’occuper de l’essai. Quand son regard glissa sur la question, il retint un juron :

« Pour vous, qu’est la magie ? »

Trop vaste ! Trop personnelle ! Trop cruelle ! Moi-même, du haut de mon grand-âge, j’aurais bien pris une année entière ne serait-ce que pour écrire quelques lignes ! Bon, j’exagère… Kwilo et les autres étudiants n’étaient pas face à une de ces questions de vie qu’on vous pose quand vous allez passer l’arme à gauche, et qu’on veut profiter de votre sagesse gériatrique avant de vous débrancher. Le sous-texte précisait tout de même d’écrire un maximum de cinq cent mots, donc il fallait organiser sa réponse. Voyons…

Personnellement, j’aurais écris que la magie fut ma plus vieille amie, et la seule qui ne m’avait jamais trahi. Je dis « fut » car aujourd’hui, je n’en suis plus si sûr… Ah ! Je parle de moi, alors que je ne devrais pas ! Intéressons-nous plutôt à la réponse de notre ventou : d’un spectateur externe – vous, par exemple – coincé au fond de la salle derrière M. Yvain, la vision serait austère. Mais alors que vous auriez parcouru la salle du cours, vous l’auriez vu. Il était rayonnant et inquiet à la fois, comme une fleur du désert à peine éclose, alors que le soleil va bientôt se lever et qu’il sera l’heure de partir en attendant la prochaine nuit.

Il se mit à écrire. Pas comme moi quand je suis pris de folie créatrice, non ; une écriture soignée, des gestes précis qui ne laissent paraître qu’un soupçon du désarroi, de la peine et de l’immense frustration que Kwilo avait accumulé et nourri pendant toute son existence :

« Je ne considère pas la magie comme un don, ni comme une forme d’énergie à exploiter pour un but noble. Je ne considère pas la magie comme un art à pratiquer, une science à explorer. Je ne considère pas plus la magie comme une force divine ou naturelle. Pour moi, la magie est tout ça pour les autres et rien de tout ça pour moi. La magie est différente pour chacun d’entre nous, alors elle est pour moi tout ce que les autres n’ont pas pu dire d’elles. Mais que puis-je dire moi ? La magie m’a toujours accompagné comme un parent qui prend la main d’un enfant, comme quand il le gronde alors qu’il a traversé la route sans regarder à droite et à gauche. Elle est la somme des douleurs que j’ai vécu, une somme si dense que parfois, je me dis qu’il doit y avoir un résultat. La magie est pour moi une attente, à la façon d’un train qui a du retard. Je sens les rails vibrer, le vent se charger d’une odeur d’ozone et le retard, toujours le retard. Ma magie à moi, c’est un monde invisible et merveilleux qui échappe à toute emprise, à toute explication sans arrêt. C’est la magie que j’aime, comme la douceur du chocolat sur les lèvres. Elle est le souvenir qui reste accroché au travers de la gorge, quand les mots ne sortent pas. Elle est le temps qui passe sans qu’on s’en rende compte, quand on est heureux et en vie. J’ai toujours senti la magie en moi et je la sens encore : elle bouge, elle est vivante. Elle s’exprime de sa manière la plus virulente parfois mais je sais l’attendre de pied ferme. La magie, c’est pour moi l’expression saine que nos rêves sont encore vivants. ».

Ce fut en écrivant la dernière phrase que Kwilo sentit la crise arriver, fulgurante et nocive. Heureusement, les cachets pris ce matin combattirent l’effet néfaste de la magie, lui donnant l’impression que ses os passaient en mode vibreur. Désagréable sensation néanmoins supportable. Le ventou grimaça durant les dernières minutes à relire son essai, sa traduction et même son analyse alchimique jusqu’à que la sonnerie de fin d’examen retentisse.

— Bien, on lâche son stylo ! Oui, même vous, M. Tramontane…

Le ventou s’excusa mais le prof n’en tint pas plus compte – mieux, il jeta un rapide coup d’oeil sur sa copie en la prenant et eut un sourire contenté. Une bonne nouvelle ? espéra Kwilo en se tournant vers Tac pour prendre la température. Ses yeux enflammés l’étaient d’autant plus, puisqu’elle avait réussi à répondre aux questions de cours, à analyser l’alchimie sans se sentir « abyssalement débile » selon ses mots, et même faire un essai de cent mots !

Mais l’épreuve n’était pas terminée. Le professeur les fit d’abord sortir de la salle : en sortant, Kwilo vit deux adultes arriver pour rejoindre M. Yvain. Le premier, sûrement M. Montgomery, était un kaillaisse à la barbe si longue qu’elle lui arrivait au bassin et si frêle qu’on eut crû à un morceau de silex ayant pris vie. La seconde, Mme Tarchan, avait l’air sévère d’une drow, des elfes des souterrains, et la carrure d’une naine championne de catch plus le gros tatouage d’as de pique sur son bras. Ils discutèrent brièvement avec le métamage avant d’entrer dans l’amphi en refermant derrière eux. Au bout d’une minute, une élève fut appelée.

Deux heures et demi d’une longueur angoissante. Deux heures et demi durant laquelle chaque élève était appelé comme à l’échaffaud, puis ressortait après une ou deux minutes, la mine parfois déconfite, parfois soulagée. Quand ce fut au tour de Tac, Kwilo lui souhaita bonne chance en toute sincérité, trop avide de rejeter son angoisse dans un coin de son crâne et la laisser dévorer son courage avec sérénité. En sortant, Tac avait l’air si heureuse qu’il se força à lui demander ce qu’il venait de se passer :

— Ils m’ont demandé de faire de la magie, c’est tout. Et ils m’ont félicité de maîtriser plus d’un sort sur ma magie perso ! T’y crois ?

— Félicitations, ânonna-t-il pour cacher son désarroi.

Elle le sentit forcément, car elle s’approcha pour lui prendre la main. Kwilo croisa son regard de braises – littéralement – et son sourire de charbon encourageant. Pas de pitié dans son regard, pas d’espoir mal placé non plus : juste de la confiance. Elle ne dit rien, cependant ; qu’y avait-il à dire ? Les deux amis restèrent là, face à face, se regardant dans les yeux. Le ventou se sentait bien avec Tac, et ce depuis qu’il l’avait rencontré. C’était réciproque, il le sentait dans la chaleur de sa main, sa manière de nouer ses doigts autour des siens. Ce courage qu’elle lui transmettait comme les flammes que possèdent les héros en eux. Kwilo entendit son nom dans l’interphone et lâcha la main de Tac, et son regard resta accroché quelque instants au sien, pendant un souffle, avant de se détacher et se tourner vers la porte.

* * *

L’intérieur de l’amphithéâtre avait été drastiquement transformé : la salle était passée d’un espace classique à une scène quadrifrontale. Aux trois côtés de la scène opposés à la porte, M. Yvain, M. Montgomery et Mme Tarchan levèrent la tête de leur carnet et suivèrent le ventou du regard, qui était obligé de monter sur la scène car le chemin depuis l’entrée ne menait qu’à là. En face de lui, son professeur principal prit la parole :

— M. Tramontane. Magie des lumières dansantes ?

Il acquiesça. Il n’allait pas changer d’avis et dire : « Euh, et des explosions aussi ! » alors que son dossier d’étudiant ne le laissait pas entendre. Du coin de l’oeil, Kwilo vit les deux examinateurs l’étudier et échanger des regards discrets. Il inspira un grand coup et attendit que M. Yvain reprenne :

— Veuillez nous faire une démonstration de votre sort.

Kwilo commença à faire le geste mécanique – son bras qui se plie légèrement, sa main ouverte vers la petite sacoche à sa ceinture, les doigts prêts à plonger dans la poudre – puis s’arrêta. Les examinateurs attendirent quelques instants avant de s’impatienter. D’une voix surpranemment douce pour un vieux kaillasse, M. Montgomery dit :

— Tout va bien, M. Tramontane ?

Le ventou ne pouvait pas répondre. Il ne pouvait rien faire. À l’instant même où il plongerait ses doigts dans la substance alchimique, les examinateurs en triangle le verraient. Leur disposition saugrenue était là pour éviter que les étudiants ne sortent en douce un cristal magique – inutilisables pour un Brisé – ou d’autres substances magiques. Kwilo commença à paniquer, jusqu’à que Mme Tarchan lui ordonne :

— Faites votre magie ou sortez, M. Tramontane. Nous n’avons pas toute la journée devant nous.

Que faire ? Que choisir ? Le ventou tremblait de tous ses membres, fébrile, les mains si moites que lancer de la poudre lumineuse serait presque suicidaire à ce stade. Il croisa le regard de M. Yvain et une chose le saisit : il n’était pas sous traitement spécial parce qu’il avait menti sur son dossier. Il aurait pu ne pas le faire. Protester, dire qu’il avait le droit de participer au cursus malgré le fait qu’il était Brisé. Mais il avait choisi d’être malhonnête, et maintenant une personne comme le métamage humain le regardait avec espoir, parce qu’il espérait un résultat à la hauteur de ses résultats théoriques.

Alors, au lieu de continuer à mentir, de faire semblant, Kwilo fit un choix.

* * *

Lorsque Tac le vit sortir les larmes aux yeux, quatre minutes plus tard, elle se précipita vers lui et le prit par les épaules, le secouant presque en lui disant :

— Alors ? Alors ?!

Il mit un petit moment avant d’engloutir le reste de ses larmes, pour gargoter :

— Je leur ai dis, Tac. Je leur ai tout dis.

Le teint de son amie vira à l’incarna et il lui raconta, à voix basse, comment il avait craqué et raconté comment il avait falsifié son dossier, triché aux examens d’entrée pratiques et mentit tout au long du début de session à son professeur principal quant à ses compétences en magie. Il lui narra leurs réactions, allant de la plus délétère – M. Montgomery qui prétextait qu’il devait immédiatement être envoyé dans un centre d’élagage – à la plus positive – Mme Tarchan qui considérait ses aveux comme une preuve de bonne volonté en faveur de son prochain conseil de discipline – là où M. Yvain était resté fermé comme une huître. Tac écouta tout ça avec attention, avant d’exploser carrément, faisant sursauter le reste des étudiants qui attendaient à être appelés :

— Punaise, mais ils sont gonflés ! T’as fais plus d’efforts que n’importe qui pour entrer dans cette université, ils doivent s’en douter, alors pourquoi ils sont aussi virulents ?

— J’ai triché, Tac.

— Et alors ? L’examen pratique, c’est lancer un sort pour prouver que tu sais faire de la magie basique ! (Elle se renfrogna) Franchement, je me demande s’ils ont pas raison…

— Quoi ? Qui a raison ?

— André & Co ! Ok, ils sont un peu timbrés de suivre une dragonne mégalo, mais… tu crois pas qu’ils ont raison ? On a là une preuve que le système marche pas !

— Je suis un Brisé, répondit-il comme une fatalité.

Elle le prit dans ses bras. Serra fort, au point de presque l’étouffer. Même si c’était par surprise, il n’en ressentit aucun malaise. Les mots qu’elle lui glissa dans l’oreille lui donnèrent tellement de force qu’il put respirer de nouveau :

— Tu es Kwilo Tramontane, Kwilo. Depuis que t’es arrivé dans ma vie, j’ai l’impression que l’air est moins lourd. Tu me regardes pas comme les autres le font, tu m’écoutes comme personne le fait. Chaque fois que tu ouvres la bouche, c’est pas pour te lamenter mais pour dire que tu existes, que tu es vrai et que tu sais aimer les autres. Que tu sais m’aimer – puis, elle dit plus bas, presque en murmure – et que moi aussi, je peux aimer comme tu le fais toi.

Elle s’écarta. Le ventou, essoufflé, avait l’impression qu’un ouragan lui était passé sur le corps : son visage laissait apparaître le même choc. Il toucha l’endroit de sa poitrine où il avait senti le cœur de Tac battre contre le sien.

— C’est… Merci.

— Tu es mon meilleur ami, Kwilo. Je suis sérieuse.

Il grimaça.

— On se connaît depuis deux semaines.

— Deux semaines qui ont plus compté que deux, trois ans avec d’autres.

C’était vrai, ce qu’elle disait. Il le comprenait si bien maintenant qu’elle avait mis des mots sur cette réalité : en peu de temps, lui et Tac s’étaient rapprochés à toute vitesse, fer et aimant attirés par une histoire commune, celle de la perte. Tac, son frère. Kwilo, l’espoir de faire un jour de la magie. Il la regarda et vit quelque chose de franchement différent de chez André. Chez l’humain, c’était un sentiment de solitude comblé. Chez elle, c’était juste… heureux. Heureux que Kwilo était là. Lui, heureux que Tac était ici.

Il acquiesça à sa dernière réponse et parvint à dire :

— Tu veux aller manger un tacos en ville ? Le gras console à ce qu’il paraît.

— Ah ! Que de mauvaises habitudes, M. De Tramontane ! se moqua-t-elle gentiment en lui tapant dans le bras.

— Hé ! « De » Tramontane ? Depuis quand je suis noble ?

— Depuis que tu fais comme si t’étais un héros de tragédie…

Ils s’éloignèrent en se bisquant comme le font les bons amis, pour oublier. S’il y a une chose que j’envie vraiment chez Kwilo Tramontane, c’est bien ça.

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