Chapitre 13 – La magie des petites horreurs
Qwilo tenait son thé rouge entre ses mains. La chaleur se répandait dans ses doigts, refroidis par l’automne. Après tout ce temps, les écailles sur sa peau s’étaient rétractées. Il les sentait tout de même en dessous, en attente que son pouvoir les réveille.
Installé à la terrasse d’un café de la ville, le faux humain regardait les voitures et les passants dévaler la pente avec précaution, ou les joggers et cyclistes la monter avec effort. De la vapeur se formait à chacun de ses souffles et une brise moite l’emportait dans son sillage. Sur un poteau, il y avait son portrait avec la mention « DISPARU » en gras et en rouge, avec le numéro de téléphone de ses pères. Il ne les avait appelé qu’une seule fois avec un téléphone jetable pour leur dire qu’il reviendrait et qu’il les aimait. Son regard passa dans le café et il croisa son reflet dans la vitre.
Des cheveux rouge sombre, un nez retroussé sur un visage brut et carré, couvert de vitiligo. L’expression habituelle de son nouveau visage était renfrognée, peu amène ; on ne risquait de venir naturellement lui demander quelque chose. Soudain, une main posa devant lui une assiette sur laquelle trônait un cheesecake à la cannelle. André apparut dans son champ de vision pour s’asseoir en face de lui, et le regarder avec une grimace.
— Ça fait bizarre, même après six mois.
— À qui le dis-tu, grommela Qwilo en attaquant sa pâtisserie, puis leva les yeux au ciel, la bouche pleine : Putain, que c’est bon !
— C’est le Frondeur de Sorts qui fait les meilleurs goûters de la ville, selon moi.
L’autre acquiesça pour le confirmer puis posa sa cuillère dans son assiette dans un tintement. Il s’enfonça dans sa chaise sans quitter l’ustensile des yeux, puis invoqua son pouvoir. Quelques écailles minuscules apparurent entre ses doigts et la magie obéit, se glissa jusqu’à la cuillère qui lévita jusqu’à sa main, sans vibrer ni tressauter. Les écailles se rétractèrent. Satisfait, Qwilo l’agita triomphant et André sourit.
— Tu t’es vraiment amélioré, c’est super.
— Je suis toujours insatisfait.
— Ah ?
Oui, il l’était. Le ventou n’acceptait toujours pas l’idée que sa magie vienne de quelque chose qui lui avait fait autant de mal pendant si longtemps : le sexe. En tout cas, parler d’« insatisfaction » était réellement ironique, ce qui le fit sourire à son tour. André prit un air inquiet.
— Quoi ? maugréa le ventou.
— Tu changes d’expressions comme de chemises.
— Tout le monde fait ça.
L’autre croisa ses bras sur sa poitrine, avant de hausser des épaules et changer de sujet :
— Ally nous contactera d’ici ce soir pour la première mission. L’attaque est pour bientôt, et nous serons Réparés.
Ce mot vibra dans l’air avec la promesse d’une guérison parfaite. Qwilo frissonna : d’après Siesseir, une fois le palomin détruit, elle retrouverait ses pouvoirs d’antan et permettraient aux Brisés de ne plus l’être, ou de devenir des dragons. Pour des gens comme Ally ou André, le choix était sans équivoque le second ; pour lui, c’était un peu plus délicat. Mais il y penserait une fois l’arbre détruit. En attendant…
— Je préfère ta tête qui réfléchit que cette trogne, commenta André en avalant son café frappé.
— Plusieurs se sont déjà retournés dans la rue, tu sais ?
— Pitié ! Ne me dis pas que tu crois que les gens s’intéressent à… (il désigna Qwilo) à ça ?
— Tous les goûts sont dans la nature, j’imagine.
André lui lança un regard si entendu qu’il éclata de rire, attirant l’attention d’un autre groupe attablé. Il y remarqua un tarchon ou une tarkine, il n’aurait su dire, parler activement à ses potes ondin et célestin en tournant successivement la tête vers le ventou/humain, avant que ces derniers ne l’envoient en rigolant vers leur table. Qwilo se pencha vers son ami, réellement inquiet : avaient-ils vu au travers du déguisement magique ?
— Je crois qu’ils nous ont grillé.
Il ne reçut en guise de réponse qu’un vent remarquable de sa part, le laissant stresser jusqu’à l’arrivée de lae tarchione :
— Hello ! Je disais à mes amis que tu étais très mignon. Ça te dirait qu’on échange nos numéros de téléphone ?
André fit une grimace d’encouragement vers un Qwilo désoeuvré mais néanmoins peu enclin à donner ses coordonnées à n’importe qui alors qu’il était sous couverture :
— Désolé… T’es pas trop mon genre !
— Oh ! (Son petit accent anglais disparut un instant et lae tarchione se tourna une fois vers ses amis) Et c’est quoi ton genre ?
L’image d’une poitrine jaillit dans son esprit et faillit le faire vomir. Des déhanchements, une cadence, une odeur de mazout et de bitume. L’envie de vomir s’accentua, et André, qui sentait que les choses dégénéraient, prit les devants :
— Mon ami n’est pas très en forme ces mois-ci. Il le fait juste par nécessité.
— Oh ! Combien de fois par mois ?
Combien de f… ? Le fait qu’on lui pose la question avec autant de naturel ne l’avait jamais choqué jusqu’à alors, mais maintenant, c’était comme si on lui demandait combien de cadavres de bébés il mangeait. André, de nouveau, répondit :
— Huit fois fois, le strict nécessaire.
Ça représentait deux fois par semaine. Deux ! Pour le ventou, une fois dans sa vie avait été de trop. Il imaginait donc vraiment pas comment…
— Ah oui, quand même ! pouffa lae tarchione, puis se tournant vers lui : Bonne chance avec ta santé !
Iel leur fit un clin d’oeil avant de partir, laissant André se caler dans son dossier.
— Ça va ?
Qwilo sursauta, la sueur au front, et il acquiesça lentement.
— Ça doit vraiment être horrible. Je suis désolé.
— Ils t’ont fait pire, à la DSSM.
Les traits de l’humain s’endurcirent dans le genre de colère froide qui le suivait du berceau et qui avait tant attiré le ventou. Puis s’adoucirent. Le ventou marmonna une excuse qu’André balaya.
— C’est pas pareil. Je connaissais pas ces gens. Toi, c’était ton amie.
Qwilo, dans un élan de compassion, posa sa main sur celle de son ami. C’était fou qu’il ne sente pas dans son geste les mille et unes suggestions possibles ; il n’y en avait qu’une et toujours une pour ça. André, sans répondre, lui fit un signe de tête. Ils restèrent là tous les deux jusqu’à ce qu’ils décident de partir : rester trop longtemps au même endroit commençait à les ennuyer.
André l’entraîna à travers le métro jusqu’à une station bien familière.
— Ne me dis pas que…
— Tu m’avais dis que c’était important pour toi.
— On va pas aller sur le lieu de l’attaque avant l’attaque ! persifla Qwilo en suivant son ami dans les escaliers, vers la sortie.
Les étudiants affluaient. il y a à peine six mois, Qwilo ne les avait jamais remarqué mais là, il avait l’impression d’être une sorte d’imposteur à suivre leur flot. Comme à l’ordinaire, André se fondait dans la masse mouvante.
— On va assister à un de tes cours.
— Pourquoi ? On risque de se faire griller !
— C’est pas une université privée de un, de deux comment tu crois qu’on a brûlé les arbres sans se faire repérer ?
D’accord, il avait un point. Mais en quoi ça lui donnait le droit de courir un tel risque juste pour… assister à des cours ?
— Je vois ce que tu veux me dire. Mais sache, mon p’tit ventou, minauda l’humain en les écartant de la foule, que je peux pas tout t’enseigner. Et quoi de mieux qu’un terrain libre pour tester les limites de ta magie et faire des duels en toute légalité ?
— Attends, tu vas me dire que toi et les autres, c’est ce que vous faites depuis le début ? Mais tu avais dis que tu détestais les universités !
André resta silencieux quelques instants avant de répondre :
— Tu peux pas combattre l’ennemi si tu connais pas ses armes.
Face à une réponse aussi directe, Qwilo sut que la discussion était close. Il aurait bien dit : « Les étudiants, les enseignants… c’est pas mes ennemis ; c’est le système qui l’est » mais il se sentait mal d’argumenter autour de ce terrain-là avec André alors qu’ils venaient de renouer il y a peu. Voyant qu’il était agacé, André ajouta :
— T’as mérité ta place ici, Qwilo, et ça c’est quelque chose que j’ai pas envie de te prendre.
— Je… (ça le libéra de tout son agacement et il baissa les yeux) Désolé de m’être énervé.
— Y a pas de mal. Tiens, regarde, ils ont commencé.
Ils approchèrent d’un des petits terrains sableux où étaient rassemblés un groupe d’étudiants en uniforme bordeaux et sarcelle, le dragon doré brodé à leur dos, quelques passants ainsi qu’un professeur, reconnaissable à ses vêtements noirs. Avant d’arriver à portée de voix, André montra à Qwilo sa fausse carte d’identité et enjoint ce dernier à la sortir aussi. Ils se mirent derrière le groupe en attrapant le reste des paroles de l’enseignant :
—…et je veux que tout le monde respecte strictement les consignes de sécurité ! On est en cours d’auto-défense, ça veut dire pas de blessés.
— Cool, murmura André. On est au meilleur cours.
Qwilo s’apprêta à demander « comment ça meilleur cours ? » mais son ami le fit taire d’un geste alors que le professeur demandait aux candidats libres de bien présenter leurs papiers d’identité. Quand arriva le tour de Qwilo, le braiseur qui leur servait d’enseignant provisoire leva les yeux vers lui, puis vers André.
— Ah, donc vous êtes un ami de notre cher Andreas. J’espère que vous n’êtes pas un faire-valoir.
— Euh…
— Allez, au suivant !
La rapidité et le laxisme du professeur le prit de court. Pourquoi il ne vérifiait pas plus ? Enfin, j’imagine que c’est pas pareil quand on veut entrer dans les salles de classe…
— Bon, tout le monde est prêt ? Super !
Le professeur fit survoler ses mains sur ses manches et des runes s’illuminèrent autour de ses poignets. Une cage de lumière en forme de dôme se forma autour d’eux, étouffant les sons et semblant légèrement changer la luminosité. Qwilo se tourna vers André en quête de réponse, mais ce dernier lui fit un signe de tête pour signifier qu’il ne savait rien.
— C’est une mesure restrictive pour éviter d’avoir des petits problèmes. Vous savez que depuis peu, Hallioce a eu quelques attaques de monstres métamorphes. Si l’un d’entre vous en est un… (il se lissa la moustache) Je me ferais un plaisir de l’atomiser.
Quelques rires nerveux se firent entendre, mais la vraie nervosité venait surtout de Qwilo qui se disait qu’il n’était plus vraiment ventou, sans parler de son apparence. Se faire « atomiser » ne faisait pas partie de son programme mais, s’il voulait rester incognito, le mieux serait de ne pas agir de manière suspecte.
— La première chose à savoir en magie de combat, commença le praticien sur un staccato militaire, c’est d’avoir la bonne réaction au bon moment ! Vous pourrez le faire seulement après beaucoup, beaucoup d’entraînement. Mais pour l’instant, je vais juste vous envoyer une pierre dans le visage et on verra si vous parvenez à la détruire.
Pour faire bonne mesure, il frappa le sol du pied, un petit rocher sauta du sol dans un élan de poussière et aussitôt, le braiseur le frappa du poing avec un « ah ». Qwilo pensait que les sorts de foudre étaient les plus rapide. Il n’eut pas le temps de respirer que le caillou frôla sa tête et s’éclata contre la grille de lumière. Il déglutit.
— Allez, à la file indienne !
— Il disait quoi à propos des blessés…, marmonna quelqu’un dans le groupe.
— Et pas de babillages ! Je veux des gens qui peuvent arrêter un dragon en pleine charge.
André, qui passa à côté de Qwilo, lui lâcha un haussement de sourcils complice qui fit presque rire ce dernier avant de se placer entre deux étudiants qui le regardèrent avec un respect non dissimulé. Il a visiblement sa petite réputation, pensa le ventou avant de voir un jeune célestin manger le sol à côté de lui.
— Suivant !
Il fallait dire que, malgré les méthodes très orthodoxes de cette armoire à glace, le ventou voyait que les élèves réagissaient assez bien. Jusqu’à que le ventou voit une malheureuse se faire balayer à la deuxième pierre – le professeur tirait jusqu’à qu’on soit plus capable de soutenir les coups – et prit sa place. Le braiseur le jugea quelques instants avant d’envoyer la première pierre. Le coup fut rapide, précis et douloureux : le déguisé roula boula en arrière en laissant quelques débris derrière lui.
— Suivant !
Un mal de chien, que ça faisait. André aida Qwilo à se relever pour qu’ils puissent continuer l’exercice.
À la fin de la journée, le ventou avait réussi à monter son score à deux pierres successives, se montant dans la moyenne. Le professeur, rayonnant de sueur et de sourire, les remercia pour leur participation et ouvrit la cage de lumière – un psychopathe à n’en point douter, ce type-là, mais c’était pas mon problème. Ce fut en se tenant les côtes que notre faux humain geignit :
— J’ai l’impression qu’un troupeau de buffles s’est amusé à danser la samba sur moi.
— J’imagine que tu as envie de recommencer demain ?
Le regard horrifié qu’il lança à André le fit éclater de rire. Il le tapa sur l’épaule plusieurs fois quand son téléphone sonna. Il le porta à son oreille :
— Ouais, Ally ?…Ok, on arrive ! (Il raccrocha.) On va pas pouvoir se reposer. Désolé, Qwilo !
— Je suis prêt, répondit ce dernier, grisé à l’idée de faire sa première mission pour le compte des Brisés.
Ally les attendait juste à la sortie du métro. Elle était accompagnée d’un gobelin et d’un ondin, Mokto et Aïade. Ils portaient tout.e.s des cargo et des grosses bottines, des vestes en cuir sombre et des bonnets. André s’approcha d’Ally qui l’embrassa, ou plutôt pourlécha les lèvres de Qwilo s’il était honnête avec lui-même. Il n’arrivait toujours pas totalement à accepter le fait qu’André et Ally sortent ensemble de cette manière, hanté par l’impression que son amitié avec l’humain n’était que secondaire. Il ravala ce sentiment, se concentrant sur la mission.
La kaillaisse se tourna vers le ventou et lui lança d’un signe de tête :
— T’es prêt ?
— Allons-y.
Ils s’engouffrèrent dans le métro. Ils partirent vers le terminus Gévadin et prirent le bus jusqu’au stade sportif de la ville, situé en périphérie. Ally, pendant le trajet, expliqua :
— On a besoin de lancer des messages. Tant qu’on a pas détruit le palomin, ce qui est pas prêt d’arriver vu les mesures de sécurité que la ville a pris pour la fac, on doit disperser leurs forces en faisant des sales coups à droite à gauche. On va frapper là où ça fait mal. L’important est de lancer un message à tous les Brisés qui se cachent, pour les faire rejoindre notre rang (elle montra du doigt les deux autres camarades, qui restaient silencieux, les bras croisés et le regard tourné vers la vitre) Mokto s’occupe d’ouvrir les portes du stade et Aïade, André et moi, on s’occupe des tags. Toi, tu feras le guet et tu nous préviens par téléphone si quelqu’un débarque. Ok pour toi ?
Qwilo adhéra à l’idée sans protester ; il n’avait pas la fibre artistique comme André et d’ailleurs, il préférait rester seul dehors à attendre que d’être en compagnie des effusions amoureuses. Ça lui rappelait trop… Bref. Tout ce qu’il tentait de faire, c’était d’éviter de se dire que les Brisés à la tête du groupe couchaient ensemble. Ça le dépassait, ça l’agaçait.
La nuit tomba quand ils arrivèrent à la station bus « Stade Unitech ». Ally confia à André et Qwilo des foulards noirs pour masquer leurs visages ; ils n’avaient pas de quoi se déguiser magiquement et le ventou était l’exception, puisque sa disparition était publique. En tout cas, Mokto affirmait qu’il n’y aurait aucune voiture de milice dans les environs.
Pour donner une idée assez précise de l’ordre de grandeur de ce stade, un paquebot entier pouvait tenir à l’intérieur en long et un petit yacht en large. La forme était la même qu’une saucière, sauf que les grumeaux, c’étaient les gens qui hurlaient et beuglaient et suaient pour lier la sauce. Néanmoins, si le Stade pouvait accueillir énormément de personnes lors des-dits rassemblements, il servait également pour des concerts, des pièces de théâtre en 4D et du cinéma.
Au lieu du grandiose et lumineux palace, les cinq réfractaires furent accueillis par le silence et l’obscurité parsemée de phares vagabonds, sur la route en contrebas. Qwilo observa avec une détermination froide le grand bâtiment qui avait servi, dans son souvenir, à jouer la pièce Rêves Éveillés de l’Hiver sans fin d’Enacruel Mamon, une tragi-comédie romantique à propos d’un ado qui faisait du théâtre et de son amour inconditionnel et charnel pour sa professeure et metteuse en scène. La pièce était à vomir de rire, enfin surtout à vomir, et le ventou était heureux de pouvoir bafouer l’endroit sacralisé par ce que le bon peuple considérait comme « un chef d’oeuvre ».
— J’y vais, fit Mokto en retirant ses gants.
Il s’approcha des portes du bâtiment et Qwilo vit entre les doigts du gobelin des petits arcs électriques. L’ouvreur de portes plaqua ses mains, prit une grande inspiration et se tendit ; une vague bleue parcourut le métal de la porte, un grzzt se fit entendre et un petit claquement. Le gobelin expira, poussa contre les battants qui s’ouvrirent. D’une pose théâtrale, il s’inclina.
— Après vous.
Ally et les autres le remercièrent d’un signe de tête en passant, puis le gobelin se tourna vers Qwilo pour faire ce geste très lisible : « Je te vois venir. Viens pas ou tu le regretteras ! ». Le ventou fit un haussement d’épaules agacé pour laisser le gobelin rejoindre les autres, avant de s’adosser à côté de l’entrée, le regard dans le vague.
Ses pensées dérivèrent vite : Tac, d’abord. Dès qu’il pensait à elle, c’était comme si sa magie se remettait à remuer, comme avant. Alors il chassait directement son image malgré sa proximité et passait à ses pères. Aubélin qu’il avait vu presque en lambeaux en tentant de l’atteindre, sur son lit. Louisard qui l’avait empêché de faire s’effondrer la maison sur son père. Mais la douleur de ce souvenir était encore trop vivace, alors il le chassait également. Venaient ses amis de lycée : Joan, Lou et Syndara. Il se demandait s’ils avaient appris la nouvelle, et si oui, comment ils avaient réagi. Mais là encore, il se força à chasser ces visages. Ceux de Léandre et de Maël. Ceux de M. Yvain.
— Tu reviendras plus fort, se dit-il à voix basse. Réparé.
C’était le cas, il le savait : malgré sa récente entrée dans le monde de la magie, il sentait toujours cette barrière, ce mur infranchissable quand il poussait son pouvoir un peu trop loin. Une fois le palomin détruit, en revanche, Siesseir le…
Des cris. Il entendit des cris résonner dans le bâtiment. Sans penser à son rôle de guet, il s’enfonça à toute allure dans le bâtiment. Heureusement, il prit la peine de survoler le plan du stade pour trouver son chemin et pire, les cris le guidèrent. Quand Qwilo débarqua aux alentours d’un couloir, il vit son meilleur ami aux prises avec trois types en armure noire complète, des battes à la main. Ally, Mokto et Aïade étaient déjà au tapis. Soudain, un soldat frappa André au visage et du sang jaillit.
— LÂCHEZ-LE !!! beugla le ventou en levant la main vers eux.
Les gardiens casqués se tournèrent vers lui mais c’était déjà trop tard : la force télékinétique balaya l’espace en rafales, s’écrasant contre eux avec la force d’une hydre. Deux s’envolèrent pour s’écraser quelques mètres plus loin. Le troisième, celui qui avait frappé André, résista et s’approcha lentement de Qwilo, ce malgré le vent.
Qu’il ne put maintenir plus longtemps avant de le relâcher, haletant. Merde. Il lui était toujours impossible de rester concentré plus de quelques secondes sur un sort. Le gardien, profitant de ce répit, bondit et lui asséna un coup de batte. Qwilo se jeta sur le côté, l’arme frôlant sa tête. De nouveau, il invoqua la force de poussée mais cette fois sans le maintien. La répulsion percuta le gardien qui grogna en reculant de quelques pas, la main sur le torse. Ce fut là qu’André débarqua en hurlant, les mains rougies par la magie. Il les enroula autour de la tête du soldat qui lâcha un cri abominable, de la fumée sortant des orifices de son casque. André le lâcha, le type tomba au sol. Une odeur de viande cramée parvint aux narines du ventou.
— Restons pas là, fit l’humain.
Son ami, sous le choc de ce geste meurtrier, ne put qu’acquiescer mollement, et les deux se précipitèrent pour remettre leurs trois compères sur pied. Ally, encore un peu dans les vapes, marmonna une question. André lui répondit doucement qu’il n’y avait plus à s’en faire.
Une fois sortis, l’alarme fut déclenchée. Apparemment, ceux que Qwilo pensait avoir mis au tapis avaient sonné l’alerte. Sous peu le stade croulerait sous la milice citadine et les journalistes ; il fallait partir.
— Pas le métro ni le bus, dit l’humain en rajustant Ally sur ses épaules. C’est là qu’ils nous chercheront en premier.
Cela aurait été pratique de retrouver le pouvoir de créer des portes dimensionnelles comme à l’hopitâl, sauf que le temps comptait et le ventou ne souhaitait pas rejoindre une cellule de prison ou pire, une de la DSSM. Le poids de Mokto et Aïade étaient amoindris par sa télékinésie, pourtant au bout de quatre cent mètres le ventou dut faire une pause. Au stade résonnaient et rayonnaient les inquiétantes voitures miliciennes.
Qwilo jeta un œil sur l’ondin et le gobelin, avant de se tourner vers André. Du sang coulait encore sur son front et son visage était froid. Froid comme le sang cuit qu’il avait sur le mains. Cette vision d’horreur, ce beuglement d’animal… Un relent de vomi accompagna les mots du ventou :
— Pourquoi tu l’as tué ?
André tourna vers lui un regard vide, avant de fermer les yeux.
— J’ai merdé.
— T’as merdé ? (Qwilo lâcha un rire cassé et se tapa la tête d’une main) Oh, pardon ! T’as merdé, on va juste régler le problème, alors ! André, t’as tué quelqu’un.
Au début, il aurait pensé que l’humain l’avait déjà fait, qu’il lui aurait répondu ça et tout serait rentré dans l’ordre. Mais non : à la place, son ami fondit en larmes sanglotantes comme Qwilo l’avait vu faire une ou deux fois avant qu’ils ne se quittent. Désemparé, le ventou s’approcha de lui et le prit dans ses bras, le berça. L’autre lui agrippa le vêtement à s’en faire blanchir les jointures et ils restèrent dans le noir, dans le repli d’un taillis.
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