Chapitre 1 : Serment.

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Soixante-six ans auparavant.

Sur l’immense étendue d’Annatär, le continent dominant de Pléaide, s’étiraient sur des distances incommensurables : plus de vingt mille kilomètres d’est en ouest et treize mille kilomètres du nord au sud. C’était une mosaïque de diversité, aussi bien sur le plan géographique que météorologique, culturel et politique. Les civilisations ne se confinaient pas dans les limites restreintes ; elles s’épanouissaient dans les pics glacés des montagnes escarpées, se nichaient au cœur des forêts profondes et denses, ou osaient même affronter les déserts impitoyables et désolés. Au sein de ce vaste territoire, plusieurs royaumes s’étalaient, chacun ayant ses particularités, parmi lesquels brillait le royaume du Morgenstyr, niché dans les confins sud du continent.

En cette nuit d’été douce, les terres royales étaient baignées par la lueur de la lune blanche, l’une des sept émanations lunaires de Pléiade. Son éclat argenté se réverbérait sur les plaines, les vallées et les bois, tandis que la brise fredonnait une douce mélodie à travers les feuillages. Les champs de blé et de maïs étendaient leur splendeur à l’infini, leurs chuchotements se mêlant à la symphonie naturelle de la nuit.

Pourtant, au cœur de la somptuosité nocturne, un homme sombrement vêtu ne prêtait guère attention à l’éclat environnant. Chaque pas qu’il faisait était une danse de prudence, conscient que la visibilité accrue se payait au prix de sa discrétion. Sa mission, d’une importance capitale, exigeait le secret malgré les dangers imminents. Ayant quitté la capitale plusieurs jours auparavant, sa route le conduisait désormais vers le paisible hameau de Pierre-Blanche, célèbres pour sa quiétude et son emplacement stratégique.

La silhouette encapuchonnée émergea d’un fourré dense, débouchant sur le chemin menant au village. Avant de s’aventurer plus loin, il évaluait la vigilance de la milice, se déplaçant tel un spectre silencieux. Il contournait les habitations, se servant de l’ombre des toits de chaume pour rester dissimulé. A travers les fenêtres ouvertes flottaient les sons apaisants des habitants endormis, leurs rythmes s’accordant au pas furtif de l’intrus. Tenté d’accélérer, il réfrénait son élan, serrant un précieux colis dans ses bras : un sac de lin, fragile mais d’une valeur inestimable.

Poursuivant sa progression à travers le village, il atteignit un édifice de pierre rare en ces contrées. La porte était ornée d’une gravure représentant une femme aux teintes d’or et de bleu, incarnation de Talas, la déesse des Humains. Il savait alors être arrivé à destination. Après avoir minutieusement scruté les alentours, il laissa échapper un soupir intérieur avant de frapper deux fois sur le heurtoir en fer, un son qui résonna à l’intérieur sans éveiller de curiosité à l’extérieur.

Le son sourd du heurtoir brisa abruptement le sommeil du prêtre, l’arrachant à son repos paisible. Les paupières à demi closes, Frère Yéthère s’interrogea sur la raison de cette intrusion nocturne. Les tourments de l’insomnie n’étaient pas coutumiers pour lui, et aucun cauchemar ne perturbait ses souvenirs. Jetant un regard vers sa compagne endormie à ses côtés, il constata qu’elle demeurait plongée dans une quiétude profonde. Alors, pourquoi cette soudaine perturbation ? La réponse ne tarda pas à se manifester d’elle-même : le heurtoir résonna une nouvelle fois.

Qui donc venait déranger son sommeil à une heure si tardive ? Frère Yéthère marmonna entre ses dents, repoussant les couvertures qui l’enveloppaient. Saisissant le bougeoir sur sa table de chevet, il constata que la mèche était courte mais encore suffisante.

Après un soupir, il se dirigea lentement vers l’escalier menant au rez-de-chaussée. Alors que Yéthère attrapait la clé pendue à son cou, un nouvel impact résonna. Dès qu’il ouvrit la porte, il dirigea le bougeoir devant lui.

— Qui êtes-vous ?

— Il est temps d’honorer votre serment.

Au mot « serment », le prêtre entrebâilla davantage la porte. Approchant le bougeoir, Yéthère tenta de percer le voile de mystère qui entourait l’inconnu, en vain. Ce dernier dissimulait sa physionomie derrière un sombre foulard.

Toutefois, un détail captiva son attention : il portait un paquet soigneusement enveloppé.

— Vous l’élèverez, l’éduquerez, et en prendrez soin comme s’il était un membre de votre famille.

— Ai-je le choix ?

— Non, répondit l’homme, défaisant l’amas de tissu collé à son torse.

Une fois dénoué, il tendit sa précieuse charge dans les bras du prêtre. Yéthère saisit le colis, dévoilant une petite tête pâle coiffée d’une touffe de cheveux blancs.

— A-t-il un nom ?

— Nommez-le à votre guise.

— Mais encore ?

L’inconnu fouilla dans les replis de son manteau sombre avant d’en extraire une enveloppe.

— Julas, annonça-t-il, tendant le précieux document au prêtre.

Le sceau apposé sur la lettre était familier à Yéthère. Aucun doute n’était permis : il devait assumer la charge de ce nourrisson. Les fantômes du passé l’avaient finalement rattrapé, et toute échappatoire semblait désormais impossible.

— Je suppose qu’il est comme les autres.

— Oui. Vous transmettrez cette lettre à qui de droit.

Déposant l’enveloppe sur l’amas de tissus et sans attendre de réponse, il se détourna et fondit dans les ténèbres de la nuit.

Quelques instants passèrent, le prêtre demeurant immobile sur le seuil de sa paroisse, scrutant l’obscurité environnante. Puis, il regagna lentement l’intérieur, verrouilla la porte derrière lui et porta son attention sur le nouveau-né paisiblement endormi. Cette nuit serait à jamais gravée dans sa mémoire. En cette nuit d’été, au vingt-quatrième jour de l’an de grâce 642 du calendrier Impérial, un sixième nourrisson était confié à la bienveillance d’une famille de Pierre-Blanche. Yéthère contempla l’enfant pendant de longs instants avant de murmurer son nom :

— Julas…

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