Chapitre 2 : Pierre-Blanche

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A l’aube naissante, un voile de lumière éclairait le village serein de Pierre-Blanche. Les volets gémissaient en s’ouvrant, les draps dansaient au gré du vent matinal, tandis que le chant du coq résonnait comme une fanfare annonçant l’aube imminente. Les miliciens arpentaient les rues avec la précision d’une horloge, tandis que les marchands s’affairaient à déballer leurs denrées sur la place principale.

Dans cette symphonie de vie quotidienne, le marché prenait forme, où les figures familières de Pierre-Blanche se retrouvaient pour troquer bien et services selon un rituel immuable. Rose, une fermière et commerçante bien établie, excellait dans l’art du marchandage de ses légumes frais.

Au fil des heures, l’animation du marché atteignait son paroxysme, créant un bourdonnement harmonieux qui imprégnait l’air. Mais ce jour-là, une excitation particulière régnait, car un marchand ambulant venu de la lointaine capitale de Vanareim avait fait escale, offrant des marchandises rares et convoitées, accompagné de missives tant attendu.

— Sois prudent, Julas, lança une voix féminine alors qu’il quittait précipitamment la chapelle.

Saluant chaleureusement sa tante, Julas hâta le pas, ses pensées déjà tournées vers sa première journée en tant que citoyen, un devoir redouté depuis des générations. A l’aube de ses dix-sept ans, chaque fils du pays se voyait appelé à l’ardente tâche de servir la couronne, que ce fût en arborant l’uniforme des soldats ou en se plongeant dans l’apprentissage d’un métier crucial pour le royaume.

Dépourvu d’aspirations particulières, Julas se dirigea d’un pas mesuré vers la milice pour sa première journée de service. Mais à mesure qu’il s’approchait du marché, l’atmosphère envoûtante l’attira irrésistiblement.

Avec sa peau claire, accentuée par une cascade de cheveux blancs, Julas ne passait pas inaperçu. À sa vue, bon nombre de passants le saluaient.

— Ecartez-vous !

L’ordre fusa tel un fouet et Julas se fondit dans la foule compacte, laissant la voie libre à un cavalier imposant. Derrière lui, une procession militaire se dessinait, ses armures étincelantes reflétant les rayons du soleil. Des chariots regorgeant de vivres et de munitions suivaient, escortés par une troupe de cavaliers disciplinés. L’armée traversa la place principale en quelques minutes, laissant dans son sillage une brume de poussière et d’admiration silencieuse.

Sans plus tarder, Julas reprit sa trajectoire vers la caserne de la milice, une grande bâtisse de pierre se distinguant des autres. Les portes béantes, il croisa deux miliciens en poste de garde devant l’entrée. Saluant respectueusement les gardiens, Julas franchit le seuil du baraquement, incertain.

Une ambiance empreinte de camaraderie régnait dans l’enceinte du bâtiment, alors que les hommes se préparaient pour leur entraînement matinal ou leurs patrouilles. Parmi eux, Tiusk se démarquant aisément, une imposante figure sculptée dans le roc, tandis que Julas, élancé et agile, constituait un contraste saisissant. Ces deux-là étaient liés par une amitié indéfectible depuis leur plus tendre enfance.

Apercevant son meilleur ami, Tiusk se dirigea vers lui, le saisissant dans une étreinte franche.

— R’gardez ce grand gaillard ! s’exclama-t-il en entraînant son ami vers un bureau. « Capitaine, une recrue fraîche. »

L’intonation dont il usait envers le chef de la milice, également père de Tiusk, attristait toujours Julas. Il évitait généralement d’aborder le sujet, mais l’odeur d’alcool émanant du vieil homme ne passait pas inaperçue.

Le chef de la milice releva la tête, son visage fatigué et sa chevelure blanche en désordre ne contribuaient guère à rehausser son apparence.

— Le neveu de Yéthère… bienvenue parmi nous, déclara-t-il d’une voix grave. Désormais, tu m’appelleras Capitaine ou Capitaine Elmo. Tu te présenteras ici à sept heures chaque jour pour l’entraînement. Vu ton oncle, je présume que tu sais lire ? (Julas acquiesça) Sur ce parchemin, tu trouveras l’ordre de patrouille, ton nom y sera ajouté prochainement. Des questions ?

— Aucune, pour le moment.

— Bien, Tiusk prendra en charge ta formation pour aujourd’hui. Vous pouvez disposer.

A peine le Capitaine acheva-t-il sa phrase que Julas se fit entraîner à l’autre extrémité de la pièce, devant une imposante armoire en bois. De celle-ci, Tiusk extirpa une tunique de lin blanc, un pantalon à ceinture couleur marron, et un tabard bleu et blanc, l’emblème du Morgenstyr.

Après avoir troqué sa tenue, Julas remarqua que celle-ci était légèrement trop ample. Tiusk plaisanta en lui disant qu’avec un peu d’exercice physique, il remplirait sa tunique de muscles.

— En avant, mauvaise troupe ! clama-t-il. Donc ici c’est le bâtiment principal, on y mange, reçoit nos ordres, faisons les rassemblements. A l’étage, tu trouveras un petit cloché avec une cloche, désigna Tiusk avant d’ouvrir la porte menant à l’arrière.

Dans la cour intérieure, les miliciens s’affairaient : certains effectuaient des exercices physiques, d’autres des étirements, tandis que quelques-uns répétaient des passes d’armes devant des mannequins. La plupart semblaient peu à l’aise, issus principalement de familles roturières. Cependant, quelques-uns se distinguaient par leur rigueur et leur discipline.

— Tel que tu peux le constater, une partie de tes journées se réduira à l’entraînement et à la maîtrise des armes. Pourquoi cela, me demanderas-tu ? Parce que dans l’éventualité d’une invasion du royaume, le roi exige que chacun soit prêt à se battre. Ainsi donc nous débuterons par les bases…

Tiusk s’avança vers un râtelier d’armes et délogea une épée de son emplacement.

— Grâce à la générosité du bourgmestre, nous avons de l’équipement de qualité, donc prends-en soin.

Tiusk fit jouer la lame dans sa main avant de la lui tendre.

— L’épée…

Julas enveloppa la poignée de ses doigts, sentant instantanément leur ajustement précis sous la direction du brun. Une fois son emprise assurée et solide, une sensation de facilité s’empara de lui.

— Quand tu manies une lame ou toute autre arme, elle ne doit pas peser sur toi, mais devenir une extension de toi-même, voire une continuation naturelle de ton corps. Si elle te semble lourde, c’est qu’ton bras manque de force. J’ai moi-même rencontré des défis avec certaines, mais avec persévérance et entraînement, ces obstacles finissent par s’effacer.

Tiusk empoigna une seconde épée et se planta devant un mannequin, avant d’ajuster sa position. Son bras se tendit, armant la lame d’un geste calculé, délié, sous le regard scrutateur de Julas.

— Imite moi.

Julas se tint alors dans la même posture que son mentor et imita le geste avec une aisance apparente. Cependant, l’œil expert de Tiusk repéra une légère insuffisance dans la force de la saisie et il lui demanda de recommencer. Julas resserra sa prise sur la poignée et répéta le mouvement. Un éclair de fierté illumina son visage lorsque Tiusk lui adressa un léger hochement de tête approbateur.

Pour les prochaine minutes, Julas reproduisit à la perfection non seulement les mouvements, mais aussi les enchaînements des passes d’armes. Sa dextérité et son assurance sidérèrent Tiusk, qui ne put retenir sa curiosité :

— As-tu déjà manié l’épée ?

— Non, c’est une première… et toi ? A part pour maitriser les ivrognes à la taverne.

Tiusk ne répondit pas immédiatement. Il y avait bien une fois où il s’était servi de son arme. Néanmoins, il n’était guère fier de son acte.

— Le bourgmestre m’enseigne quelques rudiments à ses moments perdus. Et lors d’un de ces entraînements, j’parvins à lui porter un coup via une feinte. Heureusement qu’il portait des protections, sans quoi il aurait eu une belle cicatrice.

Un éclair de surprise illumina les yeux de Julas.

Reus Kogg, ce vétéran chevronné au service du défunt roi dans sa prime jeunesse, incarnait un adversaire d’une autre trempe. Cependant, depuis cet épisode, il ne ménagea aucun effort pour pousser Tiusk dans ses retranchements, prouvant que cet incident demeurait bel et bien une occurrence singulière.

— Tu l’admire n’est-ce pas ?

— C’est sûr qu’mon père ne risque pas d’avoir mon admiration, rétorqua Tiusk avec déception et une pointe de colère. Bref, des questions ?

— Juste… une certaine réticence lorsque je tiens la lame.

— Le pouvoir de prendre une vie n’est jamais agréable, à mon sens. Mais j’doute que tu aies besoin de recourir à ton arme dans tes obligations seigneuriales. Pierre-Blanche est paisible. De plus, tu n’es pas obligé de suivre une carrière militaire, cela me surprendrait d’ailleurs, tu es bien trop intelligent pour ça. N’oublie pas que tu as une décade avant qu’ton choix ne soit définitif.

— Si je trouve quelque chose d’autre à faire dans la vie que d’être milicien.

— Probablement érudit ou quelque autre fumisterie du genre, bien que j’doive admettre que tu manies sacrément bien cette épée. Si je n’avais pas su que c’était ta première fois, j’aurai juré que tu avais manié une lame toute ta vie.

Tiusk replaça les deux épées dans le râtelier d’un geste fluide avant de saisir une masse, provoquant une expression de surprise sur le visage de Julas. Sans un mot ni geste de prévenance, son ami avait déjà placé la masse entre les mains. Mais le poids était trop grand pour sa musculature, et Julas la laissa choir, poussant un juron frustré.

Au cours de l’heure qui s’écoula, Julas se familiarisa avec plusieurs armes : de la lance au couteau, du bâton à l’arc. Tiusk ne fut guère étonné par l’habileté de son ami avec l’arme de chasse ; chaque année, le village tenait un concours pour les adolescents, et Julas se distinguait toujours par ses tirs d’une précision remarquable. Ce qui stupéfia le plus Tiusk, cependant, ce fut la facilité avec laquelle son ami parvenait à rapidement manier une arme tant que cette dernière était légère.

— Franchement, tu as un talent presque dérangeant.

— Comment ça ?

— Il m’a fallu des mois pour affiner mes mouvements avec précision, et pourtant, tu sembles le faire sans même y penser.

Julas haussa les épaules, presque humble.

— C’est instinctif, je suppose.

— J’en parlerai à Reus. Ce serait un gaspillage de ne pas exploiter un tel talent, même si tu ne continues pas la milice.

— Et qu’en est-il du reste de notre programme ?

— Tout d’abord, des exercices physiques pour le reste de la matinée, puis une patrouille cet après-midi.

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