Chapitre 3

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 La main sur son oreillette, Lise observait son frère assis sur la banquette face à elle. Les coudes posés à plat sur les genoux, le jeune homme fixait, tête basse, le plancher du convoi les menant au champ de bataille. Sa tignasse blanche lui tombait devant les yeux, ne dévoilant de son visage qu’une mâchoire carrée et glabre.

 Lise n’avait cependant nul besoin de croiser son regard pour le deviner mélancolique.

 « Bien reçu », conclut-elle à l’adresse de l’opérateur.

 La jeune femme garda le silence un instant, occupée à resserrer les lanières de son plastron en Kevlar.

 « Un commandant est apparu sur le front ouest, informa-t-elle son frère. C’est notre cible prioritaire. Ordre de Maximilien.

 — Ça marche, je m’en charge », répondit Abel sans redresser la tête.

 Devant sa nonchalance, Lise adopta une approche plus frontale.

 « Je peux savoir à quoi tu penses ? changea-t-elle de sujet.

 — À rien en particulier.

 — Aucun lien donc avec Ayame Sato ? »

 Abel leva vers elle ses iris vert émeraude. Une expression de surprise traversa son regard.

Touché, pensa-t-elle.

 Ces yeux-là étaient incapables de lui mentir. Pour une raison simple : elle voyait les mêmes, chaque matin dans le miroir.

 « Tu la fixais, tout à l’heure, au Groenland, ajouta-t-elle.

 — Bah ouais, elle est canon », plaisanta-t-il.

 La dérision avait toujours été sa manière de camoufler ses inquiétudes ; Lise ne le savait que trop bien.

 « Tu as parfaitement compris ce que je voulais dire, le sermonna-t-elle. Ce n’est pas le moment de culpabiliser ; on a d’autres préoccupations.

 — T’en fais pas, c’est qu’un commandant. »

 Lise souffla.

 « Je ne te parle pas de lui, mais de l’après. Et puis, tu réalises ce que cette phrase a de prétentieux, si d’autres que moi l’entendaient ?

 — Justement, y a que nous deux, là. À quoi bon faire semblant ? »

 Machinalement, le jeune homme tira sur ses manches et réajusta son col d’uniforme, comme pour s’assurer que les arabesques blanches tatouées sur son corps n’étaient pas apparentes.

 « Désolé, s’excusa-t-il, je voulais pas être vexant ».

 Lise secoua la tête. Puis, avec délicatesse, elle prit les mains d’Abel dans ses paumes calleuses. Les doigts de son cadet dépassaient les siens d’une phalange, mais se révélaient tout aussi fins.

On les croirait presque fragiles, songea-t-elle.

 « Écoute, petit frère…

 — Lise, j’ai vingt ans, soupira-t-il. Je suis plus un gosse.

 — Et tu restes toujours mon petit frère, répliqua-t-elle. Je ne te laisserai pas franchir la porte si je ne te sais pas à cent pour cent. Et même comme ça, je ne suis plus sûre de vouloir. Donc, tu as deux solutions : soit tu te reconcentres sur l’objectif, soit on annule tout.

 — On peut éviter des milliers de morts, Lise. En plus, c’est la française, la nôtre ! On sait tous les deux que je peux la refermer. »

 La jeune femme réaffermit sa poigne.

 « Et tu peux aussi mourir de l’autre côté. Tu n’es pas invincible, Abel.

 — J’ai jamais prétendu l’être.

 — Je sais, mais on n’a qu’un aperçu de ce que tu peux trouver là-bas. Alors, s’il te plaît, oublie ce dont tu te crois responsable et ressaisis-toi ! »

 Plus encore que sa voix, l’expression de son visage trahissait son angoisse.

 D’un geste bienveillant, Abel ébouriffa ses cheveux châtains.

 « T’as raison, sœurette. T’inquiète pas, je serai prudent.

 — Je suis sérieuse, Abel.

 — Moi aussi. Juré. »

 Son frère lui adressa un sourire rassurant et Lise lâcha ses mains.

 « Bien », acquiesça-t-elle tandis que le convoi s’arrêtait.

 La guerrière se leva, puis noua autour de sa taille la ceinture où pendaient ses deux glaives. D’une pression du pouce, elle sortit l’un d’eux de son fourreau, juste assez pour en contempler la lame. Des reflets nacrés miroitaient sur le métal.

 « Tu veux que je te l’imprègne ? proposa Abel.

 — Ça ira, merci. Garde ton mana en vue de la porte.

 — C’est qu’une infime quantité, tu sais ? »

 Lise lui jeta un regard en coin.

 « Comme tu voudras, céda son frère.

 — Ça vaut aussi pour le commandant : pas d’excès de zèle. Et, autant que possible, laisse-moi les mineurs.

 — Oui, chef ! répondit Abel avec un enthousiasme exagéré.

 — Tsss… un gosse de vingt ans, oui. »

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