Chapitre 5

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 En difficulté quelques minutes auparavant, les troupes humaines du front ouest regagnaient désormais sensiblement du terrain, galvanisées par la mise à terre du commandant ennemi. Tirée de sa torpeur, l’unité italienne tenait de nouveau son rang, avec une volonté redoublée. Ils avaient à cœur de venger la mort de leur équipier.

 Avec l’aide de Lise, Damien était parvenu à se frayer un chemin jusqu’à Richard. La cage thoracique du colosse français figurait dans un sale état. Afin qu’il puisse se concentrer sur les soins, la jeune femme lui assurait un espace protégé, lacérant avec une précision chirurgicale quiconque approchait. Le soigneur se retrouva bientôt entouré de corps décapités, tandis que, sous l’effet de sa magie, Richard reprenait lentement connaissance.

 Le commandant ennemi aussi.

 Les doigts griffus plantés dans le bâti de la devanture dans laquelle il s’était encastré, le démon émergea péniblement des décombres. Une toux secoua sa carcasse par deux fois. À la troisième, il déversa une abondante gerbe de sang sur le trottoir ; plusieurs de ses organes étaient en bouillie. Du dos de la main, il chassa le liquide visqueux de son menton, puis tourna vers l’Aegis sa face hideuse écumant de rage

 Malgré l’hémorragie, le commandant avança, le pas déterminé et les sens en alerte ; toute son attention tournée vers l’insignifiante créature qui, profitant de sa négligence, l’avait mis dans cet état. Cette fois-ci, il ne se laisserait plus surprendre par ses tours de magie. Il passa à côté de sa hache, mais ne prit pas la peine de la ramasser : nul besoin d’une arme pour écraser un insecte.

 « Ça risque de devenir dangereux ici. Tu crois que tu peux marcher ? » s’enquit Abel auprès d’Émilie.

 Dans un effort manifeste, cette dernière tenta de se relever ; ses jambes l’abandonnèrent aussitôt. Le jeune homme la rattrapa juste avant qu’elle ne s’écroule.

 « Doucement, dit-il en l’accompagnant jusqu'au sol.

 — Je suis désolée, s’excusa-t-elle.

 — C’est rien. »

 Cependant, il considéra alternativement le commandant et la jeune femme clouée au sol. Celle-ci devina son dilemme.

 « Tu ne pourras pas te battre avec moi dans les pattes, fit-elle remarquer d’un ton las. T’occupe pas de moi. »

 Elle semblait à bout, tant physiquement que psychologiquement.

 Abel soupira.

 « Je vais encore me faire engueuler. »

 Ce disant, il avança de quelques pas à la rencontre du commandant. Moins de dix mètres les séparaient désormais.

 Il s'apprêtait à tendre le bras dans sa direction quand, du coin de l’œil, il aperçut un démon chétif se précipiter sur la mage à terre. Il leva la main vers la créature et crispa les doigts. Celle-ci se retrouva aussitôt happée jusqu’à lui, la nuque au creux de sa paume. Sous l’effet de la décharge de mana, les cervicales se rompirent dans un craquement éloquent.

 Abel relâcha son étreinte ; le corps sans vie s’affaissa mollement. Puis, il tendit à nouveau le bras vers le commandant. Lorsque la tête de ce dernier lui apparut au travers de ses doigts écartés, il bloqua son geste.

 Le monstre s’arrêta net. Cette fois, il pressentait le danger.

 « Abel ! » entendit soudain l’Aegis crier dans son dos.

 L’intéressé jeta un regard par-dessus son épaule. Sa sœur se tenait aux côtés d’Émilie ; elle secouait vigoureusement la tête.

 « Je m’occupe d’elle », déclara Lise en aidant la mage à se relever.

 Abel reporta son attention sur le commandant, puis abaissa son bras.

 Un rictus barra le visage du monstre qui fondit aussitôt sur lui.

 Lise déposa Émilie non loin de Richard, en retrait du combat. Grâce à la magie curative de Damien, le guerrier recouvrait peu à peu ses forces. Même s’il demeurait très affaibli, au moins ses côtes fracturées s’étaient en partie ressoudées et ses tissus régénérés. Son pronostic vital n’était plus engagé. Il avait toutefois l’impression de s’éveiller d’un long cauchemar.

 La vue trouble, il percevait la haute silhouette du commandant se détacher de la mêlée. Celui-ci paraissait déchaîné. Des frappes, rapides et puissantes, pleuvaient sur son adversaire dans un déluge de fureur.

 D’un bref coup d’œil, Richard aperçut les camarades de son unité à proximité.

 « Contre qui il se bat ? parvint-il à articuler. Les Italiens ? Les renforts nordiques ?

 — Ni l’un ni l’autre, répondit Damien. Contre Abel.

 — Abel ? répéta Richard. Seul ? »

 Devant le hochement de tête du soigneur, il fit mine de se lever.

 « Mais, qu’est-ce que vous foutez tous là ? s’emporta Richard. C’est pas moi qu’il faut aider, c’est lui !

 — Pop, pop ! On se calme, mon grand ! intervint Damien en le faisant se rasseoir. Tu n’iras nulle part dans ton état.

 — Mais, il faut aller l’aider ! insista-t-il, comme si lui seul comprenait la situation.

 — T’en fais pas pour lui. Il s’en sort très bien sans nous.

 — Qu’est-ce que tu m’chantes, là ? C’est un mage ! Il est pas fait pour le corps à corps ; il va se faire défoncer ! »

 Damien haussa les épaules.

 « Le fait est que le commandant ne parvient pas à le toucher. Il esquive tout.

 — Oui bah ça ne durera pas, rétorqua Richard. Dès qu’il aura épuisé son mana, ce sera terminé. Elle est comment, d’ailleurs, sa flamme ?

 — J’en sais rien, avoua Damien.

 — Comment ça, t’en sais rien ? Tu es bien mage, non ?

 — Ouais.

 — Et lui aussi ?

 — Il paraît.

 — Donc, tu dois bien la voir ! »

 Damien nia d’un signe de tête.

 « Je croyais que vous la voyiez tous, s’étonna Richard. Ce n’est pas le cas ?

 — Si, normalement. Mais là, j’vois rien. »

 Puis, il marqua une hésitation avant d’ajouter :

 « Tout ce que je vois, c’est un espace un peu déformé autour de lui.

 — Hein ?

 — Tu sais, comme pour les mirages de chaleur, quand il fait super chaud et que tu regardes quelque chose au loin, genre une route. Tu as l’impression qu’elle gondole, non ?

 — Ouais, c’est la réfraction de la lumière qui donne cette impression.

 — Bah, quand je le regarde se battre, c’est ce que je vois. »

 Devant l’incrédulité de Richard, Damien poursuivit.

 « Écoute, je sais, c’est fou et je n’y comprends rien moi-même ; alors, ne me demande pas comment ou pourquoi, j’en sais foutre rien. Tout ce que je sais, c’est que, mage ou pas, ton commandant se fait balader. »

 Le monstre enrageait. Aucun de ses coups ne parvenait à atteindre sa cible : soit elle les esquivait, soit elle les détournait d’une décharge émanant de la paume. Et lorsqu’il tentait de s’en saisir, il se voyait repoussé de la même façon. Chaque fois, son adversaire lui glissait entre les doigts. Le pire, c’est que celui-ci paraissait s’en amuser.

 Aveuglé par la colère, le commandant mettait de plus en plus le poids de son corps dans ses assauts. Un puissant direct du droit, esquivé de justesse, le fit s’emporter dans son élan. Précisément le moment qu’Abel attendait pour contre-attaquer. À une vitesse prodigieuse, ce dernier exécuta deux ondes de choc successives. La première, de la main gauche, mit en miettes les os du bras dont il venait d’éviter l’attaque. Puis, profitant de l’impulsion générée par l’onde, il virevolta jusqu’à la hauteur du géant où, du plat de la main droite, il vint gifler l’arrière de sa tête. La décharge qu’il déclencha alors plaqua brutalement le commandant au sol.

 L’ennemi ne s’en relèverait pas et, à en juger par l’état de sa boîte crânienne, il était mort avant même de s’effondrer.

 Cette fois-ci, en dépit du chaos ambiant, le combat n’avait échappé à personne, pas plus que son issue spectaculaire. Une question brûlait dès lors les lèvres de tous. Et bien que chacun l’exprimât dans sa langue maternelle, tous la comprenaient à l’identique :

 « C’est qui ce mec ? »

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